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Le blog de Lucien PONS

Le TAFTA, nature et enjeux (1/2)

11 Juillet 2014 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Europe supranationale, #Economie, #Europesupranationale, #Le traité Transatlantique., #Politique intérieure

Le TAFTA, nature et enjeux (1/2)

Le TAFTA, nature et enjeux (1/2)

Publié le 22 juin 2014 par Jordane Feuillet dans : Économie, Europe, Politique ou Mots-Clefs : Etats-Unis, libre-échange, tafta, traité transatlantique, union européenne

Le TAFTA, nature et enjeux (1/2)

Les acronymes sont légion qui désignent le traité transatlantique qui se « négocie » actuellement dans le dos des peuples : GMT, TAFTA, TTIP, APT, TCE, PTCI etc. On y reconnaît les T de « transatlantique », les T de « traités », les I des « investissements », le M du grand « marché », le C du « commerce ». Un foisonnement de sigles qui symbolise assez bien le flou qui entoure ce mystérieux traité transatlantique. Comme si la difficulté de cerner la chose rendait inévitable la profusion des mots. TAFTA est le sigle retenu par ATTAC, l’association en première ligne dans cette bataille. TAFTA évoque NAFTA (North American Free Trade Agrement), en français l’ALÉNA (Accord de Libre-Échange Nord-Américain), l’alliance économique entre les États-Unis, le Canada et le Mexique. Cela n’est pas pour plaire aux promoteurs du traité, qui ont décidé de ne jamais parler de TAFTA. Nous emploierons donc le sigle TAFTA.

Venons-en au vif du sujet. Le TAFTA est un accord de libre-échange actuellement en cours de négociation entre la Commission européenne et les Etats-Unis. L’ accord vise à instituer le plus grand marché du monde, un marché qui représenterait plus de 800 millions de consommateurs, un tiers des échanges commerciaux et la moitié du PIB mondial. L’objectif affiché de ce marché, qui sert d’argument à nos politiciens : la croissance et l’emploi. Un beau nuage de fumée comme nous le verrons.

I / Une idée qui ne date pas d’hier

Le temps de la maturation : les « dialogues transatlantiques »

Les racines du « grand marché transatlantique » plongent dans une profondeur historique que l’on ne soupçonne pas. De plus de vingt ans en réalité. Ce n’est par conséquent pas une idée nouvelle, loin de là. Le projet d’une « union transatlantique » a surgi au tout début des années 1990, aux lendemains de l’effondrement de l’Union soviétique. L’objectif était de resserrer les liens entre les deux principaux blocs du monde occidental et d’assurer l’hégémonie de son modèle de développement. La fin du monde bipolaire aurait pu donner naissance à un monde multipolaire et remettre en question le leadership états-unien. Dès le début, le marché transatlantique a été motivé par des enjeux non seulement économiques, mais aussi géopolitiques.

L’histoire du grand marché transatlantique est dominée par trois acteurs publics et un certain nombre d’acteurs privés : le Président des Etats-Unis, le Président de la Commission européenne, le Président du Conseil européen et les lobbys privés. Tout commence le 22 novembre 1990 avec la déclaration transatlantique et l’institution d’un sommet transatlantique réunissant les quatre acteurs cités. Un sommet destiné à se réunir régulièrement pour développer les relations transatlantiques. 1990 est la première grande date.

La deuxième est 1995. En décembre 1995, le sommet se réunit à Madrid, élabore le nouvel agenda transatlantique et donne naissance au « grand marché transatlantique ». La formule est lancée. Dans la foulée, un lobby est créé à l’initiative des Etats-Unis et de l’Union européenne : le TransAtlantic Business Dialogue (TABD), réunissant une centaine de multinationales. Les trois années qui suivent sont marquées par les négociations de l’AMI, l’accord multilatéral sur l’investissement. Cet accord contient déjà le mécanisme permettant aux entreprises d’attaquer directement les Etats, soit l’un des deux mécanismes centraux du TAFTA. Fort heureusement, grâce à la mobilisation des populations, le projet AMI est abandonné.

L’échec de l’AMI est acté, ce qui n’empêche pas les acteurs du dialogue transatlantique de poursuivre leur projet. L’idée du grand marché transatlantique n’est pas abandonnée. Le sommet transatlantique de mai 1998, qui se tient à Londres, inaugure le Partenariat économique transatlantique (PET). Ce partenariat contient les articles de foi du projet transatlantique : le renforcement des échanges économiques bilatéraux, l’ouverture accrue et réciproque des marchés européens et états-uniens, l’abattement de toutes les barrières aux échanges, quelles qu’elles soient etc. On le voit, le refus populaire de l’AMI n’a pas du tout fragilisé la détermination des dirigeants politiques.

Cependant rien n’aboutit. L’agenda économique positif est adopté en 2002, mais rien ne concret ne parvient à se mettre en place. Des mots, des mots, des mots, mais rien d’autre. Cerise sur le gâteau, la guerre d’Irak qui débute en 2003 refroidit les relations atlantiques.

Le temps de l’accélération et de la concrétisation

C’est à partir de 2007 que le projet transatlantique s’accélère franchement et tente enfin de se concrétiser. Pourquoi ? Pour une raison majeure : les blocages au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC, créée en 1994). A partir des années 2000, les pays émergents sont de moins en moins enclins à signer des accords multilatéraux, car ils perçoivent non sans lucidité les effets catastrophiques dont ils sont porteurs pour leurs économies. Et surtout le fond politique dans lequel ils s’enracinent, à savoir la domination du modèle de développement occidental. Face à ce nouvel état de fait, qui est la conséquence d’une nouvelle configuration du monde et de l’émergence de nouvelles puissances, nous obtenons le syllogisme suivant : majeure : les grands accords de l’OMC sont multilatéraux et supposent l’unanimité ; mineure : des pays « en voie de développement » et émergeants refusent de signer et font échouer les accords (exemple : le cycle de Doha de 2001). Conclusion : il faut, pour les puissances occidentales, parvenir par d’autres moyens à imposer leur stratégie économique au monde. Soit : en revenir au bilatéralisme, et donc accélérer les négociations transatlantiques. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces notions de bilatéralisme et de multilatéralisme en temps voulu.

Le projet de grand marché transatlantique n’est pas moins inspiré de l’idéologie libre-échangiste que ne l’est l’OMC. Article 2 du TAFTA [1] : « L’accord sera ambitieux, global, équilibré, et pleinement compatible avec les règles et obligations de l’OMC ». Il s’agit même de faire plus fort que l’OMC, comme l’exprime l’article 3 : « L’accord prévoit la libéralisation réciproque du commerce des biens et services ainsi que des règles sur les questions liées au commerce, avec un haut niveau d’ambition d’aller au-delà des engagements actuels de l’OMC ».

Le 1er juin 2006, le Parlement européen, qui a toujours soutenu le projet transatlantique, souligne « l’impérieuse nécessité (de) parachever, sans entrave, le marché transatlantique d’ici 2015« . « Parachever le marché transatlantique » : on passe, comme qui dirait, aux choses sérieuses. En avril 2007, à l’occasion du sommet de Washington, réunissant le président de la Commission européenne José-Manuel Barroso, la chancelière allemande Angela Merkel (alors présidente du Conseil européen) et le président Georges W. Bush, est crée le Conseil économique transatlantique (CET) qui se donne pour mission d’harmoniser les législations européennes et américaines, en même temps qu’est adopté un « accord-cadre pour la promotion de l’intégration économique transatlantique entre les Etats-Unis et l’Union européenne ». Les tractations se multiplient, des groupes de travail, composés des représentants de multinationales, réfléchissent aux modalités de mise en œuvre d’un tel accord. Un Groupe de travail de haut niveau (GTHN) sur l’emploi et la croissance est même mis en place le 28 novembre 2011.

Puis vient la date du 13 février 2013, date fatidique au cours de laquelle le président Barack Obama, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso et le président du Conseil européen Herman Van Rompuy annoncent l’ouverture des négociations pour un partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement. Le projet sort de l’ombre et fait l’objet des premières communications publiques, communications assez parcimonieuses toutefois pour ne pas transformer le TAFTA en objet de débat public.

Quatre mois plus tard, le 14 juin 2013, la Commission européenne reçoit le mandat de négociation. C’est elle qui négociera avec les Etats-Unis l’accord bilatéral transatlantique. Quelques précisions à cet égard : la Commission européenne en vertu des traités détient le pouvoir de proposition au sein de l’Union européenne. C’est elle qui, avec l’appui des lobbys économiques et financiers installés à Bruxelles, a rédigé les recommandations sur la base desquelles a été élaboré le projet de mandat. Curieuse façon de procéder… Le Conseil des ministres de l’Union européenne a examiné le projet avant de l’approuver ce 14 juin 2013. C’est à cette date que le mandat est devenu officiel.

Encore faut-il préciser ceci : si la Commission est le négociateur unique, on oublie trop souvent, comme le rappelle Raoul-Marc Jennar, qu’elle est épaulée, aidée, assistée par un comité spécial – le « comité 207″ (en référence à l’article 207 du TFUE) -, désigné par le Conseil des ministres et composé des représentants des 28 Etats membres. Les gouvernements nationaux, par l’intermédiaire de ce comité, sont donc associés en permanence à la négociation, contrairement aux idées reçues. Idées reçues qui permettent à peu de frais de toujours reconduire cette doxa selon laquelle « c’est Bruxelles qui nous oblige et nous dirige ». Rejeter la responsabilité sur les commissaires européens est souvent pour les politiciens nationaux une manière de ne pas afficher en public leur soutien aux propositions néolibérales auxquelles ils se rallient en fait.

Le Parlement européen a donné son feu vert à l’ouverture des négociations le 23 mai 2013, sans en connaître le contenu. Les Parlements nationaux n’ont pas été consultés. Le 8 juillet 2013 débutent les négociations à Washington, malgré le scandale de la NSA qui éclate à ce moment-là. Depuis cette date, des sessions de négociations (appelées « rounds ») sont organisées tous les trois mois.

II / Un traité de libre-échange, deux mécanismes

Cet accord – le TAFTA, qui a pour ambition de devenir l’accord commercial bilatéral le plus important jamais négocié est un traité de libre-échange. Avant d’en approcher sa structure et sa matière, il est utile de rappeler en quoi consiste un traité, et plus spécifiquement un traité de libre-échange.

Qu’est-ce qu’un traité ?

Un traité est un contrat juridique de droit international contracté entre deux ou plus de deux sujets dotés de la personnalité juridique internationale – le plus souvent des Etats. Les premiers sont qualifiés de bilatéraux, les seconds de multilatéraux. Ils lient – c’est la définition même d’un contrat – la volonté des parties. Un traité est au-dessus des lois dans la hiérarchie des normes, comme l’exprime la formule latine pacta sunt servanda (les conventions doivent être respectées), une coutume au fondement du droit international public. L’article 55 de la Constitution française énonce ainsi que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Certains Etats placent leur Constitution au-dessus des traités, les traités ayant de ce fait une valeur infra-constitutionnelle, bien que supra-légale. C’est le cas en France : en conséquence de quoi l’adoption d’un traité comportant des dispositions contraires à la Constitution nécessite préalablement la modification de la Constitution. C’est une procédure fréquente depuis le Traité de Maastricht, qui a en l’occurrence conduit à l’insertion d’un titre XV dans la Constitution.

La convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, sorte de « traité des traités », énonce les principes du droit international public : son article 26 stipule que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi », et plus loin son article 46 : « Le fait que le consentement d’un Etat à être lié par un traité a été exprimé en violation d’une disposition de son droit interne ne peut être invoqué par cet Etat comme viciant son consentement ». Autrement dit un Etat ne peut se prévaloir de la violation d’une partie de son ordre juridique interne pour contester l’application d’un traité. Seule la Charte des Nations Unies est au-dessus des traités, et peut les contester [2].

Plusieurs étapes marquent la genèse d’un traité. Dans l’ordre : la négociation, l’adoption, l’authentification, la signature, la ratification (par le Parlement européen pour le TAFTA) et enfin l’entrée en vigueur. Ces étapes jalonnent le passage du projet à la mise en oeuvre, de l’idée à la réalité. Plus le processus est avancé, plus il est difficile de revenir en arrière. D’où l’urgence de combattre le TAFTA maintenant.

Qu’est-ce qu’un traité de libre-échange ?

Un traité de libre-échange est un traité destiné à diminuer ou à supprimer complètement les barrières protectionnistes qui constituent autant de freins au commerce international. La visée d’un traité de libre-échange est de favoriser le commerce entre les pays signataires par l’ouverture respective de leurs marchés. Les mesures protectionnistes peuvent prendre deux formes : les mesures tarifaires et les mesures non-tarifaires.

Les droits de douane sont les principales mesures tarifaires. Ils consistent en un impôt prélevé sur les marchandises importées. En augmentant le prix des marchandises en provenance du reste du monde, les droits de douane ont pour fonction, en plus de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, d’inciter à la consommation des produits nationaux, et donc de favoriser la production nationale. Les quotas sont une autre forme de mesure tarifaire et consistent pour un Etat donné à limiter la quantité de produits importés.

Les mesures non-tarifaires renvoient à l’ensemble formé par les législations et les réglementations des pays. Certaines de ces règles comportent indirectement ou directement des effets protectionnistes : c’est le cas des normes sanitaires, phytosanitaires, sociales, environnementales ou encore techniques. L’interdiction réglementaire des OGM au niveau européen constitue par exemple un frein aux exportations pour les firmes étrangères productrices d’OGM. Les barrières tarifaires étant désormais très faibles entre les pays de l’Union européenne et les Etats-Unis, le TAFTA s’attaque en priorité aux barrières non-tarifaires.

Ce sont les pays anglo-saxons qui historiquement ont été à l’origine de la promotion de ces traités commerciaux. Au XIXème siècle, l’Angleterre. Au XXème siècle, les Etats-Unis. Cette « politique » repose sur une idéologie, le libre-échange, défendue par les économistes classiques de la fin du XVIIIème siècle et du début du XIXème siècle. Pour ceux-là – Adam Smith et Ricardo en tête – le commerce et l’ouverture des frontières aux produits étrangers développent la production et enrichissent toutes les nations. Le commerce international est un jeu à somme positive et tout le monde y gagne. Les traités de libre-échange peuvent être bilatéraux, comme c’est le cas du grand marché transatlantique, qui concerne les Etats-Unis et l’Union européenne, ou multilatéraux et aboutir parfois à la constitution de blocs régionaux de libre-échange : l’ALENA et l’Union européenne entre autres. Mais pas toujours : les traités de libre-échange adoptés au sein de l’OMC sont multilatéraux sans conduire à la constitution de zones de libre-échange régionales et intégrées [3].

Caractéristiques du grand marché transatlantique

Il est évident que les Etats-Unis et l’Union européenne n’auront pas attendu le traité transatlantique pour commercer entre eux. Le TAFTA n’est pas le premier traité commercial signé entre ces deux régions du monde. Il vise à amplifier, à élargir le libre-échange entre les deus zones. Et ceci par l’intermédiaire de deux mécanismes qui font toute l’originalité du TAFTA.

==> L’instauration d’un « mécanisme investisseur-Etat » qui stipule qu’un investisseur (une entreprise) pourra attaquer une collectivité publique devant un tribunal arbitral, composé d’avocats et de juges privés.

==> Un mécanisme de convergence réglementaire visant à une harmonisation des normes réglementaires (sociales, environnementales, sanitaires, phytosanitaires, techniques) en vigueur dans les différents Etats concernés par l’accord.

Avant de préciser davantage ces deux points, l’article 7 du TAFTA énonce l’enjeu global de l’accord en ces termes : « L’objectif de l’Accord est d’accroître le commerce et l’investissement entre l’UE et les USA en réalisant le potentiel inexploré d’un véritable marché transatlantique, générant de nouvelles opportunités économiques pour la création d’emplois et la croissance grâce à un accès accru aux marchés, une plus grande compatibilité de la réglementation et la définition de normes mondiales ».

Pour mieux comprendre l’enjeu du traité, sa structure et ses mécanismes, on peut se mettre à la place d’une multinationale. C’est en fait le point de vue adopté par les promoteurs du TAFTA. Une multinationale cherche à accroître sa production pour accroître ses profits. Pour ce faire, il lui est nécessaire d’élargir sans cesse son marché afin de pouvoir rencontrer le plus grand nombre possible de consommateurs potentiels. Pour qu’il y ait plus de profits, il faut qu’il y ait plus de production ; pour qu’il y ait plus de production, il faut qu’il y ait plus de demande – solvable si possible, et donc un marché plus large. Pour une multinationale, la conquête de nouveaux marchés est consubstantielle à son désir d’expansion. Aujourd’hui les droits de douane sont quasiment inexistants. Entre l’Union européenne et les Etats-Unis, ils ne sont en effet que de 2% – 3% en moyenne, ce qui n’empêche pas l’accord de prévoir l’élimination de ceux qui restent, comme en témoigne l’article 10 du TAFTA : « Le but sera d’éliminer toutes les obligations sur le commerce bilatéral avec l’objectif commun de parvenir à l’élimination substantielle des droits de douane dès l’entrée en vigueur et une suppression progressive de tous les tarifs douaniers les plus sensibles dans un court laps des temps (…) Tous les droits de douane, taxes, redevances ou taxes sur les exportations et les restrictions quantitatives à l’exportation vers l’autre partie qui ne sont pas justifiés par des exceptions découlant de l’accord seront supprimés dès l’application de l’accord ». Sont ici visés notamment les produits agricoles, qui en Europe restent l’objet de mesures spécifiques (PAC).

Le commerce des services est moins libéralisé que celui des biens. L’article 15 du TAFTA entend remédier à cette anomalie : « L’objectif des négociations sur le commerce des services sera de lier le niveau autonome existant de la libéralisation des deux parties au plus haut niveau de libéralisation tel qu’il existe dans les accords de libre échange existants, tout en cherchant à atteindre de nouveaux accès au marché en éliminant les obstacles d’accès au marché de longue date restants, reconnaissant le caractère sensible de certains secteurs ». Les secteurs « sensibles » évoqués désignent entre autres les services publics, lesquels auraient bien à pâtir d’une « libéralisation » [4]. La libéralisation des services est d’ailleurs une des raisons d’être de l’OMC, alors qu’ils étaient absents des accords du GATT qui l’ont précédé. Là encore, le TAFTA prend le relais d’une OMC ankylosée.

Les barrières non-tarifaires sont LA cible du TAFTA. Si les multinationales européennes ne rencontrent à peu près plus d’obstacles tarifaires pour investir le marché états-unien, et réciproquement, il demeure ces barrières dites non-tarifaires. Le mécanisme d’harmonisation des règles a pour objectif de réduire les barrières non-tarifaires.

Ceci concerne le commerce et la libre circulation des marchandises. Concernant maintenant le deuxième volet du TAFTA, l’investissement, l’article 22 déclare que « l’objectif des négociations sur l’investissement sera de négocier la libéralisation des investissements et des dispositions y compris les zones de compétence mixte, tels que les investissements de portefeuille, les biens et les aspects d’expropriation protection, sur la base des niveaux les plus élevés de la libéralisation et les normes les plus élevées de protection que les deux parties ont négocié à ce jour « . De protection…des investisseurs bien entendu. Il s’agit de garantir une liberté d’investissement totale aux entreprises. Permettre par exemple, et pour que les choses soient plus parlantes, à une entreprise d’exploitation du gaz de schiste d’investir en France, pays qui interdit jusqu’à présent cette activité. Pour faire respecter cette liberté d’investissement, un mécanisme d’arbitrage est prévu par le TAFTA. Il suffira qu’une entreprise se sente lésée, qu’elle constate une entrave (réglementaire par exemple) à la liberté totale d’investissement pour qu’elle convoque un Etat auprès de tribunaux arbitraux (privés).

Nous reviendrons sur ces deux mécanismes qui constituent deux éléments cruciaux du TAFTA. Si l’on voulait résumer ce que l’on sait désormais : le TAFTA est un traité de libre échange qui a pour projet, selon les formules mêmes de l’article 23, d’une part « une interdiction des mesures déraisonnables, arbitraires ou discriminatoires » et d’autre part « la pleine protection et la sécurité des investisseurs et des investissements ». Ces deux volets, l’un étant plus accès commerce, l’autre plus accès investissement, même si les deux s’entremêlent [5], forment les deux premiers angles du quadrilatère du TAFTA. On peut en effet s’imaginer le traité transatlantique sous la forme d’un quadrilatère dont les deux premiers angles s’identifieraient aux deux mécanismes évoqués, le troisième à la fuite en avant néolibérale impliquée par le TAFTA, le quatrième aux intérêts géostratégiques plus ou moins implicites du grand marché. Les deux diagonales du quadrilatère se croisent en un point central correspondant à la question de la démocratie, véritable point noir ou angle mort du TAFTA.

[1] L’essentiel de nos informations sur le TAFTA provient du mandat européen accordé à la Commission européenne, lequel a été divulgué grâce à des fuites. C’est à ce document que renvoient « les articles du TAFTA » que nous rapportons. Vous trouverez le mandat traduit en français à cette adresse : « http://www.contrelacour.fr/marche-transatlantique-le-mandat-definitif-de-negociation-de-la-commission-europeenne-traduit-en-francais/ ». La traduction française laisse parfois à désirer, mais nous avons préféré ne pas y toucher.

[2] A noter, et cela a son importance, que les Etats-Unis, à la différence de tous les pays de l’Union européenne, n’ont pas ratifié la convention de Vienne. De manière générale, les Etats-Unis refusent qu’aucune réglementation ne leur soit imposée du dehors. L’attitude des Etats-Unis vis-à-vis du droit international public est par ambiguë, ce pays jouant en définitive souvent le rôle de passager clandestin.

[3] Cette idéologie du « doux commerce » est exprimé avec un certain lyrisme dans cette belle formule de Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC et « socialiste » français : « Je pense, pour des raisons historiques, économiques, politiques, que l’ouverture des échanges va dans le sens du progrès de l’humanité. Que l’on a provoqué moins de malheurs et de conflits quand on a ouvert les échanges que quand on les a fermés. Là où le commerce passe, les armes s’arrêtent » . Le Nouvel Obs, Paris, 4 septembre 2003, citation reprise dans l’article de Serge Halimi du Monde Diplomatique du mois de juin 2014, intitulé « Les puissants redessinent le monde ».

[4] Faut-il le rappeler, le modèle économique des services publics en France et dans la plupart des pays européens s’oppose historiquement et encore largement à l’économie de marché.

[5] Les normes et les barrières non-tarifaires impactent à la fois la liberté du commerce et la liberté de l’investissement. C’est sur la base d’une réglementation jugée « déraisonnable, arbitraire et discriminatoire » que des multinationales pourront attaquer des Etats via le mécanisme investisseur-Etat. Le deuxième mécanisme s’appuie par conséquent sur le premier. Dit autrement et à l’envers : le mécanisme d’harmonisation des règles ne vise pas seulement à faciliter le commerce (sous-entendu : le commerce des marchandises et des services), mais aussi l’investissement. Une entreprise exerçant, pour reprendre notre exemple, une activité d’exploitation du gaz de schiste ne pourrait pas investir en France si les règles n’étaient pas harmonisées.

Contributeur aux inénarrables. Diplômé de philosophie et de Sciences Po (IEP). Mes centres d'intérêt sont assez larges et aiment à se rencontrer : philosophie, littérature, politique, économie, sciences.

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