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Le blog de Lucien PONS

SNCF: un audit interne détaille la dégradation du réseau Paris-Nord.

11 Juillet 2014 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #SNCF; l, #Services publics, #Servicespublics, #Economie, #Europe supranationale

SNCF: un audit interne détaille la dégradation du réseau Paris-Nord

11 juillet 2014 | Par André Forghieri

Il n'y a pas que Brétigny-sur-Orge et le « délabrement jamais vu ailleurs » de ses voies. Mediapart révèle un audit interne à la SNCF qui détaille les innombrables manquements à la sécurité, ainsi que la dégradation des infrastructures et de la maintenance dans une autre « zone », celle de Paris-Nord, qui recouvre quatre départements. L'audit souligne combien de précédentes alertes sont restées sans suite.

Mediapart révèle un audit interne de la SNCF, réalisé fin 2012 et qui concerne le secteur Paris-Nord. Ce document confidentiel recense une pléthore d’anomalies sur la portion du réseau inspectée. Il détaille les innombrables manquements à la sécurité et la dégradation des infrastructures comme de la maintenance dans cette « zone ferroviaire » qui recouvre quatre départements. Au moment où les dirigeants de la SNCF contestent les conclusions du rapport fait par les deux experts mandatés par la justice après la catastrophe de Brétigny-sur-Orge (7 morts lors du déraillement du train Paris-Limoges, le 12 juillet 2013), ce document éclaire crûment la situation du réseau ferré.

La gare du Nord, un demi-million de voyageurs par jour. © Reuters

La gare du Nord, un demi-million de voyageurs par jour. © Reuters

Car à sa lecture, il apparaît que Brétigny n'est pas une malheureuse exception. Dans une autre « zone », celle de Paris-Nord, l'état du réseau apparaît presque tout autant dégradé. Et les formulations des experts judiciaires, qui ont constaté à Brétigny « un état de délabrement jamais vu ailleurs », font directement écho aux différents éléments de cet audit interne. Ce document, que nous publions en intégralité, vient contredire la communication de la SNCF et de Réseau ferré de France (RFF) qui « contestent formellement tout état de délabrement du réseau, à Brétigny comme ailleurs ».

Le document que publie Mediapart est l’avant-projet d’un audit de sécurité national opérationnel (ASNO), réalisé fin 2012 par la direction des audits de secteur de la SNCF. Les auditeurs ont procédé à l’inspection minutieuse du réseau ferré qui s'étend sur la gare de Paris-Gare du Nord (y compris la gare souterraine avec liaison sur le RER B), sur les départements de la Seine-Saint-Denis, du Val-d’Oise et de l'Oise, entre le 10 septembre et le 12 octobre 2012. Ce rapport confidentiel a été remis à la direction de la SNCF en novembre 2012. Il peut être lu ci-dessous :

Ce rapport peut être lu sur le site Médiapart

Sa lecture présente un florilège d’anomalies. Au fil de ses 67 pages, rares sont les points positifs : paragraphe après paragraphe, tout semble aller de travers. Les appréciations s’échelonnent de « globalement affecté » et « partiellement affecté » à « fragile » voire « très fragile ».

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Pire : l’évolution de la situation entre cet audit 2013 et un audit précédent réalisé en 2011 montre une absence de progrès, voire une détérioration de la situation (tableau page 8). En clair, les erreurs constatées fin 2010 n’étaient, deux ans plus tard, toujours pas corrigées. À la lecture de cet audit, l’impression générale est celle d’un laisser-aller pour le moins surprenant, cette portion de réseau irriguant la plus grande gare d’Europe, et transportant chaque jour plus d’un demi-million de voyageurs, dont quatre cent mille banlieusards, notamment les usagers du RER B. Revue de détail page suivante.

  • Maintenance

« Le domaine maintenance Voie est globalement affecté suite au constat de plusieurs anomalies partielles affectant un nombre important de sous-domaines… De nombreux points ne sont ni repris ni suivis… Des manques importants sont constatés. » Les contrôles et leurs suivis laissent visiblement à désirer : « Des tournées de conformité ne sont pas tracées voire pas réalisées… Il existe des défauts de surveillance des rails… Il existe des écarts dans l’application de la réglementation… Des procédures sont incorrectes… » (page 4). « De nombreuses erreurs ne sont pas redressées dans les délais, parfois de longue date. Un secteur n’est pas en capacité de connaître la liste des défauts classés en urgence. »

À Saint-Ouen, les dernières interventions de maintenance sur certains appareillages datent de 2004 et 2006 (page 26). La recherche d’anomalies sur les rails souffre parfois d’importants retards : ainsi, dans le secteur de Saint-Denis, « 256 kilomètres de voie n’ont pas été visités en 2011 » (page 29). Des inspections ne sont pas répertoriées : « Des visites ne sont pas intégrées dans les tableaux de suivi » (page 5). « La détection des incidents précurseurs existe, mais elle est incomplète » (page 9). « Plusieurs défauts repérés sur des rails n’ont été rectifiés qu’avec des semaines de retard » (page 29).

Travaux de maintenance à Compiègne. © (dr)

Travaux de maintenance à Compiègne. © (dr)

Dans le secteur de Creil, la maintenance de plusieurs installations présente carrément des mois de retard (page 38). Un défaut repéré sur un éclissage (sorte d’agrafe maintenant un aiguillage en place, dont la défection est la cause probable de la catastrophe de Brétigny) a été réparé avec deux jours de retard (page 29). Des aiguillages, qui doivent être contrôlés tous les quatre ans, ne l’avaient pas été depuis six ans (page 38). « D’autres installations n’ont pas subi de contrôles techniques depuis 2007, voire 2005 » (page 41).

  • Chantiers

« Il est constaté des erreurs dans la mise en service des zones de chantier » (page 4). Cela signifie, en clair, que les chantiers sont mal balisés, ou qu’il existe des écarts entre la portion de voie à rénover et la portion de voie effectivement rénovée. Des ouvriers paraissent mal informés de la largeur réelle des trains, susceptibles d’entrer en collision avec des engins de chantier garés trop près des voies : « L’interdiction de stationner dans le gabarit d’une voie ferrée n’a pas de signification pour un transporteur non averti du risque ferroviaire » (page 20).

  • Outillage :

Sur les voies, les ouvriers ne travaillent pas toujours avec le matériel adéquat : « Des appareils de mesure ne sont pas vérifiés. Il existe des outillages non conformes » (page 5). Les agents chargés de vérifier les appareils électriques « n’ont jamais ce niveau de compétence » (page 11). Les outils ne sont parfois même pas répertoriés : un secteur « ne dispose pas de la liste exhaustive de son outillage ».

  • Sécurité du personnel

Pas moins de trois quarts des chantiers inspectés présentent des risques pour l’intégrité physique du personnel, notamment des sous-traitants, à l’évidence mal informés quant aux conditions de sécurité. « Neuf chantiers sur douze visités font l’objet d’au moins une remarque : des mesures de prévention sont insuffisantes et ne permettent pas de garantir la sécurité de l’intervention. Des risques ne sont pas abordés. Des mesures de prévention sont imprécises » (page 6). Faute de respect des procédures, des ouvriers risquent de se faire faucher par les trains : « L’interdiction de l’accès à une partie de voie n’est pas toujours réalisée » (page 6). Dans un cas, la fiche répertoriant le passage des trains est périmée de plus de trois années : les ouvriers à l’ouvrage sur les voies pouvaient donc être surpris par un convoi (page 19). D’autres travaillent sans formation adéquate, l’un d’eux ayant été vu au volant d’un engin qu’il n’était pas apte à conduire : « Un agent de desserte manœuvre des appareils de voie pour lesquels il n’est pas habilité » (page 6). Des ouvriers ne portent même pas de casque (page 13).

  • Passage à niveau

Même sur les très « accidentogènes » passages à niveau (plusieurs dizaines de collisions chaque année), les auditeurs s’étonnent que les erreurs relevées lors de précédentes inspections ne soient pas toujours corrigées : « Il existe un retard très important dans l’amortissement des anomalies détectées lors des visites » (page 4). L’audit déplore que des inspections soient réalisées « avant la période de poussée de la végétation, sans visite complémentaire » (page 5, page 40) : la végétation peut cacher, à la belle saison, la visibilité des panneaux signalant aux automobilistes la présence du passage à niveau. « Suite au constat de ces manques », des « relances » ont bien été effectuées, mais sont restées « sans suites » (page 40).

  • Ponts et tunnels

Les auditeurs constatent que, faute d’inspections, l’état réel de plusieurs ouvrages n’est pas connu, en particulier de deux ouvrages traversant la gare de Saint-Denis sur la ligne Paris-Lille (page 6). On ose espérer que ces ouvrages ont, depuis la remise de cet audit, été inspectés…

«Très éloigné de l’objectif»

Les conclusions de cet audit sont sans appel : « le niveau de sécurité opérationnel de l’infrapôle de Paris-Nord est apprécié comme étant très éloigné de l’objectif » (page 6). Ce surlignage en gras est le fait des auditeurs eux-mêmes… On est donc loin de la communication lénifiante de la SNCF et de RFF, affirmant que « le réseau ferroviaire français fait l’objet d’une maintenance de très haut niveau et d’une surveillance constante qui exclut l’expression outrancière d’état de délabrement jamais vu », expression employée par les experts de Brétigny...

Interrogé par Mediapart sur le contenu de cet audit, Alain Krakovitch, directeur général de la sécurité de la SNCF, nous a répondu : « L’établissement qui a en charge la maintenance de l’infrastructure de Paris-Nord connaissait des difficultés, qui ont justifié un programme d’actions précises : un plan d’action post-audit, un suivi régulier, puis un audit de bouclage, réalisé entre le 23 septembre et le 11 octobre 2013. » Depuis la remise de l'audit, ajoute le directeur, « des points sont en progression, d’autres ne le sont pas encore suffisamment. Je suis de près cet établissement, nous faisons le point tous les six mois ».

Interrogé sur le fait que l'audit 2013 note que les erreurs déjà relevées dans l’audit 2011 n’avaient pas été corrigées, le directeur général de la sécurité explique qu'« il n’avait pas été constaté d’écart suffisant pour justifier une procédure de redressement ». « Nos audits sont extrêmement exhaustifs. Les écarts ne constituent qu’un faible pourcentage, la grande majorité des process se situent dans les normes. Et ces écarts ne signifient pas pour autant que la situation présente un risque », précise Alain Krakovitch.

L’audit publié par Mediapart relève cependant des anomalies persistantes « malgré la mise en place d’actions » : « des écarts graves, bien que vus, restent en anomalies » (page 59). Même des « relances » sont restées « sans suites » (page 40). L’histoire des catastrophes dans les transports montrent qu’elles sont rarement provoquées par une cause unique, plus souvent par l’accumulation de petites anomalies.

Accident de Brétigny-sur-Orge le 12 juillet 2013. © Reuters

Accident de Brétigny-sur-Orge le 12 juillet 2013. © Reuters

Accident de Brétigny-sur-Orge le 12 juillet 2013. © Reuters

Accident de Brétigny-sur-Orge le 12 juillet 2013. © Reuters

Accident de Brétigny-sur-Orge le 12 juillet 2013. © Reuters

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Lundi 7 juillet, la CGT a réagi au rapport des experts judiciaires en dénonçant une « recherche d’économies effrénée » au détriment du service public et de la sécurité. Selon le premier syndicat des cheminots, la fameuse réforme ferroviaire, contre laquelle le syndicat a bataillé lors d’une très impopulaire grève d’une douzaine de jours le mois dernier, « va multiplier les filiales et donc exacerber le manque de cohésion entre tous les services de la SNCF, ce qui va accentuer les dysfonctionnements ». Ministre des transports, Frédéric Cuvillier affirme au contraire que « la réforme ferroviaire doit venir gommer les difficultés ». Force est de constater, à l’examen de cet audit interne, que beaucoup d’anomalies concernent les sous-traitants, visiblement mal informés des risques comme de leur domaine précis de responsabilités.

http://www.mediapart.fr/journal/economie/110714/sncf-un-audit-interne-detaille-la-degradation-du-reseau-paris-nord?onglet=full

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