Très important: Il n’est plus possible de « lâcher » la Nouvelle Russie. La majorité des Russes soutiennent le projet social des Républiques populaires du Donbass
Selon un récent sondage du Centre Levada, une majorité de Russes (65%) suivent avec une extrême attention ce qui se passe en Ukraine. 59% des répondants croient que le gouvernement devrait soutenir activement le Sud-Est, et 64% approuvent l’aide des républiques autoproclamées de Donetsk et Lugansk par des bénévoles russes. Ainsi, les résultats indiquent clairement qu’une majorité de Russes soutiennent le mouvement de Résistance.
D’autre part, les données de l’enquête suggèrent que l’opinion des gens coïncide presque complètement avec la couverture des événements en Ukraine par les médias officiels russes. 91% des répondants ont admis que les informations de base sur la situation dans le pays voisin leur viennent de la télévision, et 79% pensent que l’image qui leur est donnée correspond à la réalité. Et donc la question se pose, comment changera l’humeur des Russes, si notre angle de couverture médiatique change? C’est pourtant une tendance qui se dessine.
Si il y a quelques semaines, notre télévision rendait compte essentiellement des succès dans les batailles contre les forces de l’ordre envoyées par Kiev, maintenant l’accent est mis sur la sympathie pour les victimes des mesures punitives et les réfugiés. Auparavant les présentateurs martelaient la non-reconnaissance par Moscou du nouveau gouvernement en Ukraine, maintenant nous n’entendons que des notes apaisantes sur les «plans de paix» de Porochenko. Le message est que la priorité est de faire cesser la violence. Dans le même temps on passe sous silence les idées de la Nouvelle-Russie, qui ne se bat pas que pour elle mais pour développer une large résistance à Kiev dans tout le Sud-Est.
Le projet «Nouvelle Russie» comprend non seulement la création d’une unité territoriale où le russe obtiendrait le statut de langue officielle, mais aussi la fondation d’un ordre social plus équitable. "La terre et ses ressources, ainsi que les principaux actifs industriels et financiers créés par le travail des hommes, seront la propriété de la population de la Nouvelle-Russie, et ne peuvent être privés … L’argent n’est pas une marchandise, mais seulement un équivalent de change. Les taux de prêt – sont une méthode d’asservir les entreprises et un moyen déloyal pour la redistribution des ressources en faveur du prêteur (la banque) "- c’est ainsi que l’un des chefs de la Résistance Paul Gubarev définit les contours de la structure sociale de Novorossia. Les dirigeants de la République populaire de Donetsk ont déjà décidé d’augmenter les pensions, les bourses d’études et les salaires des employés de l’État. Alors qu’en Ukraine à partir du 1er Juillet, devrait augmenter le coût des services communaux (eau, gaz, électricité) de 70% à 100%, la RPD a décidé de les geler au niveau de 2013.
Il est clair que ces idées ne sont pas susceptibles de plaire aux oligarques russes. Par conséquent, nous pouvons supposer que nos milliardaires feront tous les efforts pour empêcher de mettre en œuvre le projet «Nouvelle Russie» sous cette forme. Et donc ils disent, nous allons négocier la paix. Dans le contexte actuel cette position ne signifie qu’une perte de temps et l’occasion pour les milices ukrainiennes de se renforcer. Mais un changement de la politique d’information des médias russes suffira-t-il à affaiblir le soutien populaire russe Donbass?
Le Chef du département des études sociales et culturelles « Centre Levada » Alexeï Levinson estime que les médias peuvent sérieusement modifier l’attitude des Russes par rapport au Sud-Est:
- A mon avis, maintenant le sentiment public existant n’est pas seulement inspiré par la télévision. Par lui-même, il a un caractère ambigu. Beaucoup d’indices montrent que les opinions vont changer. Pas seulement à cause de la nouvelle orientation de la TV, mais aussi du changement de la politique étrangère de Moscou. L’opinion publique dans son ensemble est maintenant dans un état, puis passera à une autre.
"SP": – C’est-à-dire, la politique de soutien aux milices du Donbass va changer?
- Elle va évoluer vers un soutien aux initiatives de paix. Si le Kremlin se prononce dans ce sens et s’il est soutenu par la communauté internationale, la société approuvera un discours sur la paix.
L’attitude envers les milices elles-mêmes ne changera pas rapidement. Simplement elles disparaîtront du champ de vision. Les citoyens soutiennent généralement les idées qui exposent Russie sous un jour favorable. Si vous souhaitez laisser penser que la Russie est l’artisan de la paix, les gens vont soutenir ce point de vue.
"SP": – Il est dit que si la Russie ne soutient pas les milices, le gouvernement perdra toute la crédibilité obtenue après l’annexion de la Crimée.
- Les sentiments publics peuvent être modifiés imperceptiblement. Il ne convient pas d’affirmer que la lutte de la milice n’a pas de sens, vous pouvez tout simplement dire que notre pays a toujours été pour la paix. Répéter que nous voulons seulement le bien du peuple ukrainien. Vous pouvez trouver des belles formules pour plaire à l’opinion publique.
Une volte-face pourrait coûter au gouvernement russe son soutien populaire. En effet, jusqu’à récemment, la propagande de l’Etat était orientée vers le besoin essentiel d’une action résolue. Mais dans un proche avenir, le peuple continuera à soutenir les actions du président.
"SP": – Quels attrait ont les idées de la Nouvelle-Russie, plus précisément, les principes sociaux de la république?
- Pour l’ensemble de la société russe tout cela a une valeur assez symbolique. Pour l’instant on ne se pose pas la question du prix de ces projets. Quand on commencera à penser au prix à payer, l’enthousiasme risque de retomber. Les Russes sont contents de récupérer des territoires, à condition que le prix ne soit pas trop élevé. Par conséquent, les autorités peuvent jouer sur une sortie de crise à bilan nul, lorsque les anciennes exigences sont remplacées doucement par des compromis. En fait, c’est déjà le cas.
Cela provoquera un tollé du côté de ceux qui adhèrent à des positions idéologiques cohérentes. Mais la grande masse des gens n’exige pas de cohérence idéologique de la part du pouvoir.
Le Directeur de l’Institut de la mondialisation et des mouvements sociaux Boris Kagarlitskiy estime que l’attrait des projets sociaux de Novorossia est plus important que la politique gouvernementale de l’information:
- Si notre télévision change son paradigme d’information, les Russes vont encore soutenir le mouvement populaire dans le Sud-Est de l’Ukraine. Le succès actuel de la propagande du Kremlin vient du fait que la ligne politique proposée a coïncidé avec l’humeur du public. Et c’est ainsi qu’ils se renforçaient mutuellement. Mais bien sûr maintenant, si le Kremlin essaie de changer radicalement, il va devenir la victime de sa propre propagande antérieure.
C’est pourquoi, à mon avis, les autorités ne peuvent se résoudre à un changement rapide de paradigme. Ils n’ont tout simplement pas la possibilité de "lâcher" Novorossia sans se causer de dommage appréciable à eux-mêmes. Même avec l’extrême désir des élites russes de négocier avec l’Occident en abandonnant la résistance du Sud-Est. Ce serait techniquement très difficile, et, peut-être même voué à l’échec.
"SP": – A quel point l’aspect social du projet de «Nouvelle Russie» est-il important pour les citoyens russes ?
- Je pense que c’est très important. Les idées de Novorossia reflètent les besoins actuels de la société en Russie également, où le mécontentement est grand. Par conséquent Novorossia devient pour les citoyens russes une sorte de phare.
Les événements récents dans le Sud-Est de l’Ukraine sont devenus un facteur d’éveil et de prise de conscience de la société russe. Et nous allons encore en voir les conséquences. Notre politique intérieure en sera sérieusement affectée.
"SP": – Mais il est peu probable qu’une telle prise de conscience soit appréciée des oligarques russes.
- C’est certain. Mais le processus a commencé, il sera très difficile de l’arrêter.
Le plus intéressant est que si l’élite n’aide pas la Nouvelle-Russie, ce projet deviendra pour eux encore plus désagréable. Mais si elle vient pour aider, l’élite appuiera un projet de structure sociale complètement différent de ce qu’elle aimerait voir.
Je pense que les oligarques tentent de prendre les choses en main et de déformer le projet. Mais le fait est que la structure sociale alternative proposée par Novorossia correspond aux aspirations de nos gens à l’intérieur du pays.
- Bien sûr, le peuple russe est exposé à l’influence manipulatrice. Mais dans le cas du soutien aux milices du Donbass, la manipulation ne concerne que la part des citoyens qui n’a pas de point de vue précis, de valeurs idéologiques et de position dans la vie, – dit le professeur Alexander Buzgalin de l’Université de Moscou . – Dans le cadre des événements ukrainiens, à mon avis, il y a eu des avancées majeures dans la compréhension des citoyens de la Fédération de Russie de leur existence humaine. Je n’ai pas peur des mots. Les gens ont vraiment commencé à réfléchir sur les grandes valeurs, le rôle de l’État dans leur vie, de la culture nationale du pays. A réfléchir à la dignité humaine, la capacité de sacrifier leur bien-être, et peut-être même leur vie pour atteindre de grands objectifs, dépassant la valeur de la famille ou l’enrichissement personnel. Au premier plan sont passées les questions de la guerre, de la paix, de la défense de la patrie.
J’ai remarqué que la célébration du 9 mai en Russie cette année a eu lieu dans une ambiance nouvelle. Les gens étaient plus sérieux, concentrés. Il me semblait qu’ils se jugeaient à l’aune de ce qui s’est passé de 1941 à 1945 dans l’espace de nos pays.
En ce sens, l’influence manipulatrice peut changer l’opinion d’une masse considérable de Russes sur les événements en Ukraine. Mais beaucoup de nos concitoyens ont redéfini leur rapport à la réalité.
Cependant, il y a un revers à la médaille. Dans le sillage de valeurs patriotiques positives est apparu le "chauvinisme". Et cette écume indésirable a également influencé l’opinion publique.
Je pense qu’il est fondamentalement important de parler aux gens de l’alternative internationale de Novorossia. Je pense nécessaire de soutenir Donetsk, Lugansk et tous le Sud-Est du point de vue de l’internationalisme, et non dans le cadre des «bons Russes – méchants Ukrainiens." Des Russes et des Ukrainiens il y en a de toutes sortes, mais la question est celle des agissements cruels du gouvernement de Kiev contre les habitants du Sud-Est et d’autres régions de l’Ukraine.
"SP": – Est-ce que action sera la plus forte pour les Russes: la propagande étatique sur la sympathie pour les victimes ou l’attractivité du projet social?
- Je ne suis pas entièrement sûr que Novorossia propose un projet cohérent. Bien que je voudrais vraiment qu’il en soit ainsi. Mais il existe des gens qui essaient de formuler un projet pour la Nouvelle-Russie, le Donbass. Et il y a aussi, bien sûr, le fait que la propagande russe tente d’étouffer la présence d’alternatives de développement socio-économique en Novorossia. Le désir de construire une économie socialement orientée, une société plus démocratique n’est pas reflété par notre télévision.
Mais si Novorossia dans la pratique est en mesure de montrer un autre exemple d’ordre social, elle aura une grande influence sur la société russe. Surtout, si cette pratique est soutenue publiquement par l’opposition en Russie. Alors, l’influence des médias ne sera pas aussi importante.
Le Coordonnateur du Front populaire pour la libération de l’Ukraine Vladimir Rogov attire l’attention sur le fait que l’aide des Russes au Donbass ne se limite pas à unsoutien moral:
- En Novorossia pour la première fois est apparue la possibilité de créer un état social. Non pas en paroles, mais en actes. Sans les oligarques et la gabegie qui a régné dans les années 1990 en Russie et continue de se produire en Ukraine. C’est un Etat qui ne sera pas membre de l’OMC à des conditions désaventageuses, et ne se laissera pas asservir par l’Europe.
S’agissant de l’aide des Russes, elle est vitale. Les gens ordinaires fournissent une aide colossale. C’est l’accueil des réfugiés et l’envoi de matériel de protection, de nourriture et de médicaments. Nous voyons comment nos gens sont liés par la parenté. Cette assistance à autrui ne s’est vue, peut-être, que dans la Grande Guerre patriotique ou pendant le tremblement de terre en Arménie. Nous n’avons, malheureusement, jamais vu ailleurs un tel sentiment d’union. La tragédie d’Ukraine a réveillé les meilleurs sentiments humains, que l’on avait récemment commencé à oublier dans la poursuite de bien-être personnel. Les Russes sont venus massivement à la rescousse de leurs frères dans la nouvelle Russie.
"SP": – Comment la réorientation des médias de Russie pour promouvoir des initiatives exclusivement pacifiques jouera-t-elle sur les positions des forces d’autodéfense?
- Je ne voudrais pas surestimer l’influence des médias. Au maximum, la politique des médias de Russie va retarder la mise en œuvre des projets de la "Nouvelle Russie". Parce qu’il a déjà eu lieu dans les cœurs et les âmes des gens. Maintenant, il ne reste qu’un détail – qu’il soit adopté de jure, mais de facto, il existe déjà. La propagande peut retarder le processus pendant plusieurs mois ou un an, mais pas l’affecter fondamentalement. La Nouvelle Russie – est un fait accompli, et le processus historique ne peut pas être arrêté. C’est d’ailleurs une chose que comprend aussi l’oligarque Kolomoysky .
"SP": – Est-ce que Kolomoysky aussi soutient Novorossia?
- Lui aussi est pour la Nouvelle-Russie, mais vivant selon ses règles. Maintenant sous son contrôle sont déjà Zaporozhye, Dniepropetrovsk, la région de Kherson, en partie – Nikolaev, Odessa. Selon Kolomojsky la seule chose à faire est prendre le contrôle de la région de Kharkov et réprimer le soulèvement populaire des Républiques de Donetsk et Lougansk. Il veut avoir la même entité territoriale, mais sous son contrôle personnel.
"SP": – Quelle est la raison pour laquelle les gens de la RPD et de la RPL n’ont pas l’intention de s’arrêter, et veulent mettre en œuvre le projet d’une « grande Nouvelle Russie»?
- Les gens à juste titre considèrent ce pays comme le leur. Ils considèrent qu’il est de leur devoir de libérer l’Ukraine occupée par les nazis. Nous comprenons que la plupart des gens à Kiev et même Lviv ne ressentent aucune sympathie pour les nationalistes, mais ont peur de parler par crainte de représailles.
Les gens veulent mettre en œuvre le projet «Nouvelle Russie» dans huit régions, selon l’exemple des républiques populaires de Donetsk et Lougansk, et ensuite proposer au reste de l’Ukraine ou une partition, ou l’éviction des nationalistes. Depuis des siècles le peuple russe a soif de justice. L’argent pour nous ne peut être une valeur importante que pour un court laps de temps.
Photo ITAR-TASS / Stanislav Krasil’nikov
http://svpressa.ru/society/article/91103/
traduction Marianne Dunlop pour histoireetsociete
http://histoireetsociete.wordpress.com/