Holande le déflateur. le blod de Descartes.
Publié le 13 Août 2014 par Descartes
Holande le déflateur
Il est courant de voir les hommes politiques s’inquiéter lorsqu’il constate que ses politiques ont, en marge des effets attendus, des effets imprévus qui se révèlent négatifs. Ce qui est plus rare, c’est de voir un gouvernement inquiet de voir une politique qu’il a proposée, mise en œuvre et défendue atteindre ses objectifs.
Car, il faut le dire, ce gouvernement aura réussi au moins une chose : pousser la France vers la déflation. Et quand je dis « réussi », c’est parce qu’il ne s’agit pas d’un « dommage collatéral », d’une conséquence imprévue d’une politique dont l’objectif serait autre. Non : depuis 2012, notre gouvernement prône, sur le front interne mais aussi sur le front européen, la déflation. Bien sûr, le mot « déflation » n’a pas été utilisé, mais l’idée y est.
Déroulons le film. Depuis 2012 – et même avant – quel est le maître mot des politiciens qui ont gouverné la France et qui miment en cela le discours de la Commission européenne ? Et bien, le maître mot est « compétitivité ». La priorité absolue, en Grèce comme en France, c’est la « restauration de la compétitivité » par rapport à l’Allemagne. Toutes les « réformes », du CICE au « pacte de responsabilité », nous sont vendues au nom de la « compétitivité » avec force comparaison avec notre puissant voisin. Mais comment « restaurer la compétitivité » ? Et bien, il y a deux manières de gagner la course à l’échalotte : soit vendre un peu plus cher un produit de meilleure qualité, plus innovant, plus efficace que son compétiteur, soit vendre le même produit mais alors le vendre moins cher. La compétitivité est donc faite de deux facteurs : la compétitivité dite « hors prix » qui tient aux qualités intrinsèques du bien qu’on offre et qui sont supérieures à celles du bien proposé par votre compétiteur, et la compétitivité dite « prix », qui tient à la différence de prix entre vous et votre compétiteur. La préférence du client ira à l’un où à l’autre en fonction de la compétitivité de ces deux facteurs.
Les moyens d’améliorer la compétitivité ne sont pas les mêmes selon que je veux jouer sur l’un ou l’autre facteur. Si je veux augmenter la « compétitivité hors prix » de mes produits, il me faut investir dans la recherche et l’innovation, dans la qualification du personnel, dans de nouvelles machines plus performantes. Les produits compétitifs « hors prix » sont faits par des usines modernes, et sont conçus et fabriqués par du personnel qualifié et bien payé. Si je veux augmenter la « compétitivité prix », par contre, il me faut couper impitoyablement les coûts, réduire les frais de recherche, prendre du personnel peu qualifié que je peux payer au minimum, limiter les investissements dans des équipements modernes…
Maintenant, sur quel levier a choisi de jouer notre gouvernement pour accroître la compétitivité ? Depuis 2012 a-t-on lancé de grands programmes de recherche ? Augmenté massivement le nombre d’ingénieurs formés ? Stimulé les investissements dans des usines modernes ? Non. Avec le CICE puis le « pacte de responsabilité », on a cherché au contraire à stimuler l’embauche du personnel le moins qualifié, à imposer une forme d’austérité salariale, à réduire la fiscalité sur les entreprises. En un mot, notre gouvernement – et avec lui les institutions européennes – que le problème essentiel est la « compétitivité-prix », puisque tous les leviers mis en œuvre ne jouent que sur ce levier.
Mais si le but est bien d’améliorer la compétitivité-prix par rapport à l’Allemagne, alors il ne peut être atteint qu’en faisant baisser les prix. C’est l’effet évident de l’Euro : dans les temps anciens, quand nous avions la maîtrise de notre monnaie, on pouvait par le biais de la dévaluation déconnecter les prix internes et les prix externes des biens. Ainsi, les prix internes pouvaient continuer à augmenter exprimés en Francs tout en diminuant, par le biais de la dévaluation, lorsqu’ils étaient exprimés en Marks. Ce mécanisme permettait d’éviter que l’inflation structurelle, plus forte en France qu’en Allemagne, ne dégrade pas lentement notre compétitivité. Mais lorsque la dévaluation devient impossible, le seul mécanisme par lequel nous pourrions devenir plus compétitifs en termes de prix par rapport à l’Allemagne sans que les prix baissent exprimés en euros est que l’inflation allemande soit plus forte que la notre. Et cela, pour des raisons structurelles, ne se produira pas de sitôt. Améliorer notre compétitivité-prix par rapport à l’Allemagne implique donc nécessairement une baisse des prix internes, et donc une forme de déflation. Le premier ministre grec, Samaras, l’avait d’ailleurs reconnu en déclarant qu’il appliquait bien une politique de « déflation salariale » pour faire baisser prix et salaires. En France, on a la pudeur des mots, mais il est difficile d’échapper aux réalités. Depuis 2012 la France a adopté sans le dire explicitement les politiques déflationnistes – que certains en Europe avaient commencé à appliquer avant nous – imposées par l’Allemagne et implémentées servilement par les institutions européennes.
Aujourd’hui on y est : les prix commencent à baisser. On en est à -0,3% pour le dernier trimestre. Et au lieu de se réjouir bruyamment d’avoir atteint l’objectif d’amélioration de notre compétitivité, notre président sonne l’alarme en déclarant « Il y a un vrai risque déflationniste en Europe : en France, l’inflation n’a jamais été aussi basse » avec une tête de croque mort. Mais dites, Monsieur Hollande, l’inflation nulle, n’est-ce pas l’objectif fixé depuis le temps de Jacques Delors et poursuivi par tous les gouvernements socialistes depuis trente ans ? La baisse des prix et des salaires, n’est ce pas là la clé de la compétitivité retrouvée ? Pourquoi cette tête d’enterrement, alors qu’au contraire vous devriez convoquer la presse pour lui expliquer que notre compétitivité-prix d’est améliorée par rapport à l’Allemagne ? Mais faut-il croire que Goethe – un allemand, lui aussi - avait raison : « quand les dieux veulent nous punir, ils réalisent nos rêves ».
Est-ce grave, docteur ? Oui, c’est très grave. La déflation est un puissant frein à la demande, à l’investissement et à la croissance. Pourquoi ? Parce que les acteurs économiques prennent leurs décisions en fonction des anticipations qu’ils font, et l’anticipation la plus répandue – parce qu’elle est la plus raisonnable – c’est que demain ressemblerait à aujourd’hui. Imaginons une situation d’inflation importante, disons 5% par an. Les agents économiques anticiperont que les prix continueront à augmenter. Cela a plusieurs conséquences. D’abord, cela stimule la consommation, puisque le consommateur jugera qu’il a tout intérêt à acheter maintenant plutôt que de thésauriser pour acheter demain. Pour l’entrepreneur, c’est le moment d’investir, puisqu’il peut anticiper une demande plus forte des consommateurs, et qu’en plus il a tout intérêt à s’endetter pour investir, puisque l’inflation « liquéfiera » ses dettes : en effet, lorsque l’inflation est de l’ordre de 5%, les taux d’intérêt réels baissent parce que les emprunteurs se trouvent en position de force par rapport aux détenteurs de capital. En effet, ce dernier sait que son argent perd de sa valeur avec chaque jour qui passe, et il est donc sous pression pour trouver un investissement rémunérateur. Ceci le met en position de faiblesse par rapport à l’entrepreneur qui cherche du capital, et permet à ce dernier d’obtenir des taux de rémunération faibles – et même négatifs.
La déflation fonctionne à l’envers. Si j’anticipe que les prix des biens vont baisser de 5% par an, alors j’ai tout intérêt à retarder mes achats autant que possible. Si j’ai du capital, j’ai intérêt à le garder sous le matelas – il se valorisera de 5% par an sans risque – plutôt que de le risquer dans une entreprise sauf si celle-ci le rémunère à un taux très élevé. Si je suis entrepreneur, je suis en position de faiblesse puisque mes financeurs peuvent gagner 5% l’an sans rien faire…
L’inflation, comme la déflation, sont des « anticipations auto-réalisatrices », c'est-à-dire, la réaction des acteurs économiques tend à réaliser la situation qu’ils anticipent : si par peur de l’inflation je me précipite dans les magasins dépenser mon argent, je crée une demande supplémentaire qui pousse les prix vers le haut. Si anticipant une baisse de prix je laisse mes achats pour plus tard, je fais baisser la demande et donc les prix. Et comme toute anticipation auto-réalisatrice, il est très difficile d’en sortir une fois qu’on y est rentré puisque les agents économiques sont persuadés que cela va continuer… et que cette croyance fait que l’anticipation se réalise. Après la poussée inflationniste de la fin des années 1970, il a fallu deux décennies d’efforts pour ramener l’inflation à un niveau proche de zéro. L’histoire économique nous montre qu’il faut souvent une événement cataclysmique pour sortir d’une déflation : la déflation Laval des années 1930 est un bon exemple…
Nous sommes donc proches de la déflation. Et quelle est la réaction du gouvernement ? Eh bien, d’appeler la cavalerie. La cavalerie étrangère, pour être précis. De Gaulle dénonçait déjà dans les années 1960 la tendance des français à attendre leur salut des autres. Aujourd’hui, le président de la République appelle l’Allemagne à une politique de relance. Après avoir crié sur tous les tons que la clé de notre redressement était la « compétitivité », Hollande s’adresse à notre principal concurrent pour lui proposer de mettre en œuvre une politique… de réduction de sa propre compétitivité. Un peu comme si Carrefour allait voir Auchan pour lui demander d’augmenter ses prix afin de lui laisser quelques consommateurs. Comme c’était prévisible, l’Allemagne a rejeté la demande. Elle a parfaitement raison : les dirigeants allemands ont été élus pour se soucier des intérêts de leur pays, et non de cette vague notion qui s’appelle « l’Europe ». Il n’y a plus que nos dirigeants – eurolâtres un jour, eurolâtres toujours – pour croire qu’il y aura quelqu’un pour sacrifier sa prospérité au nom de l’intérêt européen.
Après avoir aggravé la crise, l’Euro nous conduit à rater le coche de la reprise. L’Angleterre en est à 3% de croissance, les Etats-Unis aussi, mais dans la zone euro c’est le calme plat. La croissance moyenne de la zone est nulle, et même les meilleurs élèves de la classe européenne, comme l’Italie, risquent la récession. Nos eurolâtres pourront se consoler en expliquant que l’Europe, c’est la paix. Et la paix n’a pas de prix. N’est ce pas ?
Descartes.
http://descartes.over-blog.fr/2014/08/holande-le-deflateur.html