Dis maman, c’était comment le budget il y a quarante ans ? Par Pierre-François Gouiffès* dans "La Tribune".
Dis maman, c’était comment le budget il y a quarante ans ?
Pierre-François Gouiffès*
Maître de conférences à Sciences Po. Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po, où il enseigne l’histoire et l’économie politique, en s’intéressant notamment à la sphère publique en France et dans l’OCDE. Ayant notamment travaillé au ministère des finances et en cabinet ministériel, il construit ses analyses sur une expérience concrète de la gestion de projets de réformes publiques lourdes et sensibles. A ce jour, il a écrit deux ouvrages : « Margaret Thatcher face aux mineurs » (Privat, 2007), une description complète de la grande grève des mineurs britanniques de 1984, et « Réformes : mission impossible ? » (Documentation française, 2010), ouvrage qui analyse les réformes en France et les conditions de leurs succès ou leurs échecs. Son nouvel ouvrage, « L’âge d’or des déficits. 40 ans de politique budgétaire française » vient de paraître début septembre à La Documentation Française.
A l'occasion de la sortie ce jour de son nouveau livre « L'âge d'or des déficits » qui relate quatre décennies de politique budgétaire française, Pierre-François Gouiffès nous propose une photographie de comparaison entre la situation économique et budgétaire de 1973-1974 et celle d'aujourd'hui.
Les données analysées s'arrêtent à 2012 ou 2013, dans l'attente de la copie du gouvernement pour 2014.
1. Gouvernance
1.1 Gouvernement économique
Il y a quarante ans : le président de la République s'appelle Georges Pompidou, le Premier ministre Pierre Messmer, le ministre de l'économie et des finances Valéry Giscard d'Estaing, et le président de la commission des finances à l'Assemblée Nationale… Maurice Papon.
Aujourd'hui : les titulaires des mêmes fonctions sont respectivement François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici et Gilles Carrez. Il faut rajouter deux autres fonctions : Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget et Christian Eckert, rapporteur général du budget qui appartient à la majorité alors que la présidence de la commission des finances est confiée à l'opposition depuis 2007.
1.2 Monnaie
Il y a quarante ans : la monnaie de la France est le franc, le « nouveau franc » installé le 1er janvier 1960 par division par 100 de « l'ancien franc ». Il n'y a plus de lien entre le franc et l'or depuis la décision unilatérale américaine de 1971 de suspendre la convertibilité or du dollar. Le franc est l'une des devises du « serpent » monétaire européen, un système de taux changes fixes mais ajustables mis en place en 1972 entre les six membres fondateurs de la Communauté Economique Européenne (République fédérale d'Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) pour éviter le flottement général de leurs monnaies. Depuis la création du Deutsche mark en 1948, le franc connaît une dépréciation récurrente par rapport au mark, de l'ordre de 30% par décennie.
Aujourd'hui : la monnaie de la France est l'euro depuis le 1er janvier 1999, comme c'est le cas pour les 17 (sur 28) pays membre de l'Union européenne appartenant à la zone euro. La parité franc-mark est cristallisée dans l'euro à son niveau de 1986.
1.3 Banque centrale
Il y a quarante ans : la Banque de France, qui n'est pas indépendante de l'exécutif politique, agit sous la tutelle du ministère de l'économie et des finances, ceci dans un environnement d'administration des taux d'intérêt. Depuis la loi du 3 janvier 1973, le financement monétaire des déficits publics est prohibé du fait des dispositions de son article 25 : « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l'escompte de la Banque de France. »
Aujourd'hui : la Banque de France est une composante du système européen de banques centrales dont la pièce centrale est la Banque Centrale Européenne (BCE), dont le mandat initial établi au début des années 1990 reprend assez largement le mandat dévolu en 1948 à la Bundesbank : indépendance par rapport à l'autorité politique et priorité la stabilité des prix. La crise de 2008 et ses suites ont remis au goût du jour le financement monétaire des déficits publics, mais essentiellement hors zone euro (Réserve fédérale américaine, Banque d'Angleterre).
1.4 Surveillance économique
Il y a quarante ans : il n'existe surveillance macroéconomique de la France, qui a quitté au début des années 1960 l'Union européenne des paiements.
Aujourd'hui : La politique budgétaire de la France a été progressivement enserrée dans un dispositif de supervision concernant notamment sa politique budgétaire : critères de convergence de Traité de Maastricht de 1992 (les fameux 3% de déficit annuel et 60% de dette publique), le pacte de stabilité et de croissance du Traité d'Amsterdam de 1997, dont le caractère d'application automatique sera affaibli en 2005 suite à une alliance tactique franco-allemande, enfin le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ratifié en France fin 2012.
1.4 Gouvernance des administrations publiques
Il y a quarante ans : les décisions des collectivités territoriales sont soumises à une tutelle a priori de l'Etat (préfet) ; la Sécurité sociale fonctionnent sous l'aune d'une gestion paritaire des partenaires sociaux.
Aujourd'hui : la France a connu deux actes de décentralisation (1982 et 2003) avec intégration dans la Constitution du principe de libre administration des collectivités territoriale (article 72). Il y a eu en revanche un renforcement du contrôle de l'Etat sur la Sécurité sociale avec les lois de financement de la Sécurité sociale instituées par les ordonnances Juppé de 1997.
2. Situation générale de l'économie
2.1 Place de la France dans l'économie mondi
Il y a quarante ans : Le PIB français représente 4,4% du PIB mondial et les exportations du pays entre 5 et 6% du total mondial.
Aujourd'hui : les données 2010 sont de 2,6% pour la part du PIB mondial et 3,6% pour les exportations.
2.2 Croissance
Il y a quarante ans : la croissance en volume de 1974 est très supérieure à 4%, une performance banale depuis de nombreuses années.
Aujourd'hui : après la plus forte récession connue par la France depuis 1975 (-3,1% en 2009), la France a connu en 2010-2011 un certain rattrapage avant la rechute de 2012 vers la quasi-stagnation (0,2%). La dernière prévision de l'OCDE pour la France prévoit +0,3% en 2013.
2.3 Chômage
Il y a quarante ans : le chômage connaît une croissance importante depuis la fin des années 1960 et s'approche chaque un peu plus du million de chômeurs.
Aujourd'hui : le chômage a dépassé les 10% de la population active fin 2012 avec une série en cours de 27 mois consécutifs de hausse.
2.4 Inflation
Il y a quarante ans : l'inflation augmente très fortement depuis le début des années 1970, avec un taux qui va tutoyer les 14% en 1974 après le premier choc pétrolier. Son couplage avec des taux d'intérêt administrés facilite grandement le financement de la dette publique.
Aujourd'hui : l'inflation est stabilisée depuis la fin des années 1980 autour de 2% ou moins.
2.5 Solde commercial biens et services
Il y a quarante ans : le solde de la balance commercial française (-0,8%) en 1974 oscille traditionnellement autour de l'équilibre, avec un contrôle strict des réserves de change nationales par les responsables de la politique économique.
Aujourd'hui : la France connaît en 2012 son huitième exercice de déficits jumeaux (déficit commercial et budgétaire) avec une balance commerciale qui a plongé au-delà des -2% du PIB en 2012.
3. Budget
3.1 Niveau des prélèvements obligatoires, des dépenses publiques et du déficit
Il y a quarante ans : les dépenses publiques des administrations publiques APU représentent 40% du PIB et les prélèvements obligatoires 34%. L'excédent budgétaire est de 0,5% du PIB, une situation habituelle depuis 1959. Sur la période 1959-1974, marquée par la présence aux finances de Valéry Giscard d'Estaing (secrétaire d'Etat de 1959 à 1962 puis ministre depuis cette date), seuls les années 1967 et 1968 ont connu des déficits.
Aujourd'hui : les dépenses publiques dépassent 56% du PIB depuis la récession de 2008-2009, l'un des niveaux les plus élevés du monde OCDE. Les prélèvements obligatoires sont dans la zone des 46%. Les déficits publics ont été autour de 7% du PIB en 2009-2010, autour de 5% en 2011-2012 et sont prévus autour de 4% en 2013.
3.2 Niveau de la dette publique
Il y a quarante ans : la dette publique brute représente 15% du PIB, un niveau particulièrement bas dans le monde OCDE.
Aujourd'hui : la dette publique a dépassé les 90% du PIB, un niveau proche de la moyenne européenne qui cache des divergences profondes notamment entre pays du Nord et pays du Sud.
http://www.latribune.fr/blogs/generation-deficits/20130904trib000783133/dis-maman-c-etait-comment-le-budget-il-y-a-quarante-ans-.html