samedi 11 octobre 2014 Portrait de Vadim, Ukrainien perdu. Article d'Anne Nivat repris sur le blog Noir de Brocéliande.
Le Blogue Noir de Brocéliande
par Bertrand Du Donbass
samedi 11 octobre 2014
Portrait de Vadim, Ukrainien perdu
Un article intéressant repris du Point, contenant en particulier le témoignage d'un militaire ukrainien originaire de Donetsk qui en dit long sur le moral des troupes de Kiev et de la population favorable au régime en général. Les parties le plus importantes sont soulignées en gras par mes soins.
On notera par ailleurs le ton étonnamment peu favorable au régime de la journaliste Anne Nivat (oui, la même) qui met ostensiblement des guillemets à l'opération "appelée pudiquement action antiterroriste" et ne donne pas dans l'ensemble une image très glorieuse de la démocratie ni de l'armée ukrainienne.
Policier au service de l’État ukrainien après avoir fui les séparatistes, Vadim Koba n’est désormais reconnu par aucun des deux camps. Rencontre.
Dnipropetrovsk, centre de l’Ukraine. Vadim Koba, 32 ans, se tient bien droit pour la photo. Il a même tenu à poser en casquette, “pour faire plus sérieux”. Si ce policier au service de l’État ukrainien arbore aujourd’hui une tenue de camouflage aux armes de l’Ukraine en plein centre-ville, c’est parce qu’il sert d’instructeur au bataillon de volontaires Dnepr-1, financé par le milliardaire Igor Kolomoïski, gouverneur de la très riche région industrielle de Dnipropetrovsk. Né à Donetsk et résidant dans la capitale de la république autoproclamée du même nom, Vadim a fui sa ville il y a trois mois dans l’espoir de pouvoir facilement obtenir son transfert à la police de Dnipropetrovsk, la ville où il se trouve actuellement “en exil”, comme des dizaines de milliers de civils déplacés par les combats. Mais c’était compter sans la confusion qui règne dans les administrations respectives des deux villes, l’une se trouvant en territoire ukrainien (Dnipropetrovsk), l’autre s’affichant comme capitale d’une république autoproclamée dans laquelle se sont déroulés depuis cet été des combats acharnés, même si, depuis vendredi 5 septembre, un cessez-le-feu semble partiellement respecté.
Après le début des troubles militaires dans sa ville cet été (des combats que la partie ukrainienne appelle pudiquement ), Vadim a décidé de fuir le camp séparatiste pour rejoindre la ville de Dnipropetrovsk et de s’y faire officiellement transférer en tant que policier. Or, il se trouve maintenant dans une impasse puisque son transfert dépend de ses supérieurs à Donetsk qui ne veulent pas en entendre parler : pour rien au monde, les représentants des forces de l’ordre restées à Donetsk et défendant aujourd’hui les “couleurs” de la DNR (sigle russe pour République indépendante de Donetsk) ne souhaitent perdre un élément qui pourrait dans le futur les combattre. En attendant, Vadim a rejoint les milliers de volontaires qui se sont enrôlés dans les bataillons hétéroclites apparus sur tout le territoire de l’Ukraine ces derniers mois et qui envoient leurs hommes se battre dans la zone d’opération “antiterroriste” ou dans ses alentours.
“On est indépendants ? Mais de qui ? De quoi ?”
Pourquoi Vadim n’est-il pas resté en DNR ? “Parce que, là-bas, on ne me donne pas le choix : on m’oblige à servir leur État dont personne ne sait à quoi il va ressembler, quelles en sont les “frontières”, ni comment on va y vivre. Moi, je veux avoir le choix. Je dois dire aussi que le niveau de corruption de mes supérieurs était devenu insupportable. Je rêve d’une police qui serve réellement les gens, même si ce but paraît difficile à atteindre, en jugeant par ce que je vois ici. Faut pas rêver : personne n’a vraiment compris pourquoi on se combat les uns les autres, et moi, ce que je constate, c’est qu’ici, c’est la même mentalité que là-bas. Tu te sers d’abord, et les autres viennent bien après. Vraiment, j’en peux plus de cette mentalité !”
Fin août, dans la localité d’Ilovaïsk, à l’est de Donetsk, les forces ukrainiennes secondées par ce bataillon de volontaires dont Vadim faisait partie ont été prises en embuscade par des forces séparatistes. Sa version des faits ne corrobore pas la version officielle : “La reconnaissance séparatiste est bien meilleure que la nôtre, il faut le reconnaître. De notre côté, on ne combat pas vraiment, ou alors, comme des amateurs. Et nous avions en face de nous des forces de la DNR, pas de la Russie ! Moi, je n’ai vu aucun engin ou personnel qui ressemblait à des Russes !” affirme-t-il alors que, sur les réseaux sociaux ukrainiens, le “drame d’Ilovaïsk” est encore abondamment commenté (on ne sait d’ailleurs toujours pas combien de personnes exactement ont péri sur place, mais sans doute plus de 90 du côté ukrainien). “J’ai même dû aider par téléphone des membres de notre bataillon totalement perdus en leur expliquant où ils se trouvaient géographiquement parce qu’ils n’avaient même pas de carte et comptaient parmi eux des blessés qu’il fallait rapatrier au plus vite !”
Vadim n’a jamais été en Russie, alors qu’il s’est rendu une fois en Europe pendant une dizaine de jours pour du tourisme. Pour lui, Poutine n’est pas le diable (“il paraît qu’aujourd’hui, en Crimée, la situation est stable et on les envierait presque…”), pas plus que le président Petro Porochenko, mais il lui paraît faible et incapable de contrôler ses troupes. “Porochenko et son gouvernement nous font croire qu’on est indépendants, mais de qui ? De quoi ? L’Ukraine n’est pas du tout indépendante, elle n’a pas les moyens de l’être, et ça, nous en souffrons tous !” explose-t-il. Comme beaucoup, il n’a aucune idée de ce qui l’attend demain : son salaire ne lui est plus versé puisque, officiellement, il ne travaille plus nulle part. “Je ne sais pas où va mon pays, qui le dirige, les décisions sont confuses et je ne vois pas comment on va avancer”, soupire-t-il, avant d’esquisser un sourire en montrant sur le smartphone que lui a prêté un copain “businessman” les photos de sa femme et de sa fille, 5 ans, témoignant d’une vie de couple heureuse à Donetsk, la capitale du Donbass. Pour ajouter aussitôt, en proie à une vive émotion : “Ma femme m’a quitté et a emmené notre fille avec elle à Krasnodar dans le sud de la Russie.” Quand ? Pourquoi ? “À cause des événements. Ses parents sont pro-russes, ils ont vendu leur business et tout rapatrié en Russie. Parce que je n’ai pas voulu les accompagner, ils m’ont prévenu que je ne verrais plus jamais ma fille.” La guerre sans nom détruit aussi des familles. (Anne Nivat)
Publié par Bertrand Riviere
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