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Le blog de Lucien PONS

Serena Shim, journaliste tuée en Turquie : les médias occidentaux, hypocrites, demeurent silencieux par Raphaël "JahRaph" Berland / le 26 octobre 2014.

29 Octobre 2014 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #La Syrie - La Libye - l'Iran -, #La guerre en Syrie - depuis le 20 août 2013, #La guerre, #La mondialisation, #Israël - palestine - Moyen-Orient, #Les média

La journaliste américaine Serena Shim

La journaliste américaine Serena Shim

La mort suspecte d’une journaliste née aux Etats-Unis, Serena Shim, et le silence des médias américains sur son histoire, illustre de manière évidente le « deux-poids, deux mesures » qui caractérise les médias occidentaux. Serena Shim, une journaliste américaine de 29 ans d’origine libanaise, couvrait la guerre en Syrie et plus spécifiquement la bataille entre les militants de l’EIIL et les forces kurdes, non loin de la ville de Kobani, située sur la frontière turco-syrienne. Serena Shim, rentrait à son hôtel, à bord de sa voiture de location, après un reportage réalisé dans la ville turque de Suruc, près de la frontière syrienne, lorsqu’un plus gros véhicule l’aurait heurtée, causant sa mort [le 19 octobre dernier, ndt].

Alors que les autorités turques ont très vite déclaré qu’il s’agissait d’un simple accident, beaucoup à travers le monde, incluant des dirigeants et des cadres de PressTV, l’agence Iranienne d’informations pour laquelle Serena Shim travaillait, ont exprimé des doutes concernant les circonstances entourant sa mort, les décrivant comme suspectes. En effet, les doutes sembleraient justifié, en raison du fait que l’accident présumé, surviendrait un jour seulement, après que Serena Shim, eut fait part de ses craintes pour sa sécurité, à la suite de menaces de morts, adressées par les services secrets turcs (MIT).

Dans une interview pour PressTV, juste après avoir été accusé d’espionnage et avoir reçu des menaces de mort, Shim déclarait :

« Je suis vraiment étonnée de cette accusation. J’ai même pensé me rapprocher des services de l’intelligence Turque, parce que je n’ai rien à cacher….Je suis un peu inquiète, parce que… la Turquie a été désignée par reporters sans frontières comme la plus grande prison pour journalistes…donc j’ai un peu peur de ce qu’ils pourraient utiliser contre moi..Nous étions parmi les premiers sur les terrains, si ce n’est les premiers, à faire sortir l’histoire des militants qui passent par la frontière Turque. J’ai des images d’eux, dans des camions de l’organisation alimentaire mondiale. Il était apparent qu’il s’agissait de militants, avec leurs barbes, les vêtements qu’ils portaient, et ils se déplaçaient dans des camions appartenant à des ONG. »

Cette interview révélatrice met en évidence le fait que Shim, contrairement à beaucoup de journalistes occidentaux couvrant le conflit Syrien, était en réalité en train de poursuivre une enquête sérieuse, incluant des sources concernant les communications entre les services secrets turcs et certains militants extrémistes afin de faire entrer clandestinement des mercenaires et des armes en Syrie. Bien que cet aspect du conflit syrien ait été rapporté par Reuters, le New York Times et d’autres, Shim était sur place couvrant l’événement, rassemblant des preuves documentées, des vidéos et photos de militants dans des camions d’ONG, en contradiction totale avec les lois internationales.

C’est précisément cette preuve accablante de l’implication de la Turquie dans la conflit syrien qui a probablement attirée sur elle les menaces de morts, et très certainement conduit à son assassinat. La mort tragique de Shim provoqué la colère (sans parler de la profonde tristesse) de sa famille et de ses collègues, qui ont demandé l’ouverture d’une enquête impartiale sur les circonstances de sa mort. Les condoléances ont afflué du monde entier, et ont été adressées aussi bien à PressTv qu’à sa famille. Cependant et de façon remarquable, il y a eu un black-out total de la part des médias occidentaux et spécialement aux Etats-Unis, le pays dont Shim était une ressortissante et une citoyenne.

À la lumière de la mort de Serena Shim, et de l’absence honteuse de couverture médiatique la concernant, des questions dérangeantes commencent à émerger quant à l’attitude des médias occidentaux, vis à vis des attaques, kidnappings, assassinats et ou morts suspectes de journalistes. Plus particulièrement, les grands médias et leurs gouvernements respectifs ainsi que leurs propriétaires, à savoir les grands patrons de multinationales. Il doivent expliquer pourquoi la mort de certains journalistes est traitée comme des sujets internationaux, capable de susciter l’indignation mondiale et de servir de prétexte pour des ingérences militaires, alors que d’autres comme Serena Shim, n’auront à peine droit qu’à une mention en passant ?

Le journaliste américain James Foley (Photo AFP / Nicole Tung)

Le journaliste américain James Foley (Photo AFP / Nicole Tung)

L’indignation internationale à la suite du kidnapping et de l’exécution par décapitation de James Foley a occupé la une des médias occidentaux pendant des semaines, et a permis d’offrir la justification nécessaire aux bombardements américains contre l’EIIL en Syrie. Des hommages lui ont été consacré par la plupart des médias « mainstream », une page dédiée à sa mémoire a été crée par des fans et Reporters Sans Frontières ; le président Obama lui-même s’est exprimé, décrivant Foley comme : « un homme qui vivait pour son travail, qui relatait courageusement les histoires de ses semblables et qui était aimé par ses amis et sa famille… Nous ferons tout notre possible, pour protéger les nôtres et les valeurs éternelles pour lesquelles nous vivons. ». Un tel hommage, venant du président, démontre la signification politique et sociale, que revêt la mort de James Foley pour les américains.

Et pourtant, Serena Shim qui, comme James Foley, était journaliste et citoyenne américaine, n’a pas reçu tant d’égard. Il n’y aura pas d’hommage, de grandes chaînes d’informations pour elle, la plupart ne s’embarrasseront même pas à rapporter les conditions suspectes entourant sa mort. Il y a très peu d’articles mentionnant l’incident, et ceux qui existent, tendent à valider la thèse de l’accident comme affirmée par les autorités turques. Et ceci, en dépit du fait qu’il n’y a pas eu d’enquêtes, et que par l’effet d’une coïncidence qui vient bien à propos, des menaces de morts avaient été proférées quelques heures seulement avant l’accident.

Toujours pas de déclaration publique, de la part de Reporters Sans Frontières (1) pour l’instant, ou même de toute autre organisation chargée de la protection et de la promotion de la liberté de la presse, et de la protection universelle des journalistes. Pourquoi ? Quelle est la différence entre Shim et Foley, qui explique la disparité flagrante de traitement médiatique et d’indignation au niveau mondial ?

La mort de Serena Shim, illustre douloureusement mais de manière claire et tranchée, le « deux-poids, deux mesures » appliqué par les médias et les politiciens occidentaux. La mort de James Foley était une tragédie mondiale, la mort de Shim, une petite note de bas de page, tout au plus. Le fait remarquable, c’est que cette disparité de traitement n’est pas liée à qui ils étaient en tant qu’individus [journalistes américains, ndt], mais plutôt à leur employeur.

James Foley s’était volontairement engagé dans la guerre de l’OTAN/Etats-Unis en Libye, s’incorporant lui-même avec les soit disant « rebelles » qui, grâce à la campagne de bombardements massifs de l’OTAN, a effectivement détruit les infrastructures militaires, et participé au renversement de la Jamahiriya Libyenne et à l’assassinat de Mouammar Kadhafi. Foley a présenté une image héroïque des rebelles, dont beaucoup avaient des liens directs avec Al-Qaïda et le réseau terroriste s’étendant de l’Afghanistan à l’Arabie saoudite. Il les considéraient comme de vrais patriotes qui voulaient libérer leur patrie d’un dictateur brutal et sanguinaire. En vérité, Foley, était l’un des propagandistes en chef pour l’opération de l’OTAN en Libye, capturant des photos susceptible de servir la cause de Washington et de l’OTAN.

En contraste, Shim travaillait pour PressTV, une chaîne d’informations Iranienne, financée par le gouvernement et qui procure une autre lecture des événements, à celle proposée par les médias occidentaux. Les reportages de PressTv ont été critiques de l’opération internationale contre la Syrie, en plus d’avoir remis en question, par des articles, débats et analyses, le rôle de la Turquie, de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de Washington, Tel Aviv et d’autres dans la préparation de cette guerre.

PressTv a critiqué les positions politiques Américaines vis à vis de la Syrie et de l’Irak, et a diffusé de nombreuses rapports mettant en cause le rôle d’acteurs internationaux dans ces conflits. Shim, trouve elle-même la mort, quelques heures après avoir délivré la brûlante information selon laquelle des extrémistes avaient traversé la frontière vers la Syrie, avec l’assistance des services secrets turcs, et en utilisant des camions de l’Organisation Alimentaire Mondiale. Cette exclusivité détonante, corroborait d’autres témoignages datant de 2012, sur l’implication des services secrets turcs, précisément dans ce type d’opérations.

Donc, il apparaît évident, que la réaction des médias et des gouvernements, face à la mort de journalistes, dépend du type de reportages qu’ils font. Si vous êtes un journaliste, travaillant pour alimenter la narration des intérêts occidentaux et pour la propager, alors vous êtes un héros et votre mort est une tragédie nationale, qui doit provoquer une réponse ferme. Si par contre, vous êtes un journaliste travaillant pour un groupe d’informations non-occidental, et que vous êtes critique de l’occident, de ses politiques et de ses actes, alors votre mort n’est tout simplement pas digne d’être rapportée et sera très vite oubliée.

Journalistes en Ukraine (Reuters / Yannis Behrakis)

Journalistes en Ukraine (Reuters / Yannis Behrakis)

Peut être que l’aspect le plus épouvantable dans cette histoire, c’est le fait que la mort de Shim n’est que la dernière d’une longue liste de morts de journalistes, dans les récentes années et les derniers mois, qui ont été pratiquement occultés des médias occidentaux. De l’Ukraine à la Syrie en passant par Gaza, des journalistes ont été pris pour cible de manière alarmante, pendant qu’en occident on passe ces faits sous silence.

Dans l’est de l’Ukraine, un nombre impressionnant de journalistes ont été agressés, kidnappés, torturés et/ou tués, par les forces du régime militaire et paramilitaire de Kiev, soutenu par les Etats-Unis. En Juin 2014, Igor Kornelyuk et Anton Voloshin, tout deux employés de la chaîne Rossiya Tv, ont été tué tout près de Lugansk. En dépit des dénégations répétées émanant des autorités de Kiev et concernant le ciblage délibéré des journalistes, des témoins oculaires présent sur la scène du crime ont déclaré que les journalistes avaient été délibérément pris pour cible, par les forces Ukrainiennes. Viktor Denisov, le seul rescapé de l’équipe, a expliqué : « Je suis certain qu’il ne s’agissait pas de tirs accidentels, c’était une opération ciblé de la garde nationale. ». Malgré ce témoignage oculaire, ajouté aux images de l’attaque obtenues par Denisov, il n’y a eu pratiquement aucune couverture de la presse internationale.

En juin 2014 toujours, Anatoly Klyan, un cameraman de la chaîne de télévision russe Channel One, a été tué par les forces loyalistes au régime de Kiev, soutenu par les Etats-Unis. Il a reçu une balle dans le ventre, alors qu’il était à bord d’un bus rempli de mères de conscrits qui avait été visé par les forces militaires de Kiev ; Klyan est mort avant d’atteindre l’hôpital. Tandis que, quelques reportages ont été initialement réalisé par les médias occidentaux (notamment des médias anglais), nous n’avons pas assisté à l’indignation générale, consistant à demander la protection des journalistes en Ukraine, ou tout du moins à démontrer un intérêt plus important, quant à l’investigation des crimes présumés des forces du régime de Kiev et des forces paramilitaires, pas plus que l’on a assisté par ailleurs, de la part des soutiens du régime de Kiev, à l’exercice d’une influence quelconque sur le président Poroshenko sur cette problématique.

Hommage à Andrey Stenin à Moscou, le 5 septembre 2014 (Reuters / Sergey Karpukhin)

Hommage à Andrey Stenin à Moscou, le 5 septembre 2014 (Reuters / Sergey Karpukhin)

En août 2014, un photojournaliste, Andrey Stenin, de Rossiya Segodnya (anciennement Ria Novosti) a été tué, quand la voiture dans laquelle il voyageait, a été attaqué ainsi que plusieurs autres voitures et passagers, tous civils, cherchant à fuir les zones de combats. Stenin a été déclaré disparu pendant un mois, avant que l’on obtienne finalement la confirmation de sa mort. Durant la période où on le croyait enlevé, il y a eu des manifestations de solidarité et des demandes pour sa libération, notamment de la part du Comité pour la Protection des Journalistes, qui a collecté de la documentation, sur un nombre de crimes commis contre des journalistes, et particulièrement les journalistes russes, par les forces Ukrainiennes. Quoiqu’il en soit, au delà de la communauté des professionnels des médias, il n’y a décidément pas eu de réaction en occident, où l’information de sa disparition et subséquemment de sa mort est totalement passée inaperçu.

La mort de ceux-là et d’autres journalistes russes en Ukraine ne sont malheureusement pas les seules attaques contre des journalistes non-occidentaux. PressTv, qui est aujourd’hui frappé par le deuil de Shim, n’est que trop familier de ce type d’événements. En septembre 2012, le correspondant de PressTv Maya Nasser a été tué par un sniper, pendant qu’il était en direct, rapportant la récente attaque sur le quartier général de l’armée syrienne. Le fait qu’il ait été tué par un sniper (ce qui accrédite la thèse selon laquelle des attaques sont délibérées perpétrées contre des journalistes, afin de les empêcher de faire leur travail) aurait dû faire de lui une cause célèbre pour les organisations de médias à travers le monde. Ils sont pourtant demeuré silencieux, parce que Nasser n’était pas un journaliste occidental et faisait, au contraire de ceux-ci, un travail embarrassant pour les puissances occidentales, puisqu’il permettait de donner des éléments nouveaux et circonstanciés à propos de ces fameux « rebelles modérés » combattant le « brutal dictateur Assad ». La leçon a tiré objectivement, c’est que les journalistes peuvent être des cibles légitimes, à partir du moment où leur description des faits, va à l’encontre des plans de Washington et de ses alliés.

Finalement, il y a eu le tragique cas de Gaza, une véritable vallée de la mort pour les journalistes, où au moins 8 journalistes ont trouvé la mort, tués par les forces israéliennes durant leur guerre sur Gaza, au cours de l’été 2014. Alors que la Fédération Internationale des Journalistes a présenté sa protestation officielle aux Nations-Unies contre les exécutions de leurs collègues, et que d’autres organisations comme Al Haq ont mené des investigations poussées sur ces incidents, l’affaire a été totalement ignorée par les grands médias, avec un prix d’honneur décerné aux médias américains qui, fidèles à leurs habitudes, n’ont rapporté qu’une seule version de la situation sur le terrain à Gaza. Lorsque des journalistes américains correspondaient confortablement depuis Jérusalem, Tel Aviv, Amman et d’autres villes, des journalistes palestiniens perdaient leurs vies, pour témoigner de l’horreur indicible qui prenait place à Gaza. Encore une fois, le silence des médias était assourdissant.

Il est crucial de réitérer le fait que les médias occidentaux, qui sont toujours les premiers à sortir les trompettes pour affirmer leur engagement pour la liberté de la presse, parmi tant d’autres, sont bizarrement silencieux dès qu’il s’agit de la mort de collègues travaillant pour des médias non-occidentaux. Il semblerait que l’indignation soit plus une affaire d’idéologie, que d’un soutien sincère à la cause journalistique. Sur cette voie, les médias occidentaux se font les complices de crimes. En renonçant à leurs responsabilités pour rapporter les faits de manière honnête, en omettant consciemment de montrer leur soutien à des collègues tombés pour avoir exercé leur métier partout autour du monde, ces médias occidentaux se révèlent être des instruments du système impérialiste Etats-Unis/OTAN.

Eric Draitser (source : RT)
Traduction pour le Cercle des Volontaires : La Diotima

(1) Note du Cercle des Volontaires : le 20 octobre, sur leur mur Facebook, nous avons interpellé RSF à propos de leur silence sur la mort de Serena Shim. RSF nous a répondu le 21 octobre : « we are still verifying informations and really concerned about this. More coming soon » (traduction : nous sommes encore en train de vérifier certaines informations et sommes réellement préoccupés par [ce tragique événement]. Nous y reviendrons prochainement.). En date du 26 octobre, RSF n’avait toujours rien publié.

 Raphaël "JahRaph" Berland

Raphaël "JahRaph" Berland

Je suis Webmaster depuis 1998, et producteur de musique reggae (Black Marianne Riddim). Je suis un grand curieux, je m’intéresse à beaucoup de sujets (politique, géopolitique, histoire des religions, origines de nos civilisations, …), ce qui m’amène à être plutôt inquiet vis-à-vis du Choc des Civilisations que nos dirigeants tentent de nous imposer.

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