Suite logique de l'accord de libre échange Canada Union Européenne signé en septembre 2014 par Barroso et Harper. Un oléoduc géant menace le Canada et l’Europe.
Un oléoduc géant menace le Canada et l’Europe
19 novembre 2014 | Par Thomas Cantaloube
L'entreprise TransCanada vient de déposer officiellement sa demande de construction d’Énergie Est, un pipeline de 4 600 km pour acheminer les sables bitumineux de l'Alberta vers l'est du pays. Au même moment, l'Union européenne facilite, par une directive et le traité de libre-échange avec le Canada, l'importation de ce pétrole hautement polluant.
Les pétroliers canadiens, appuyés par leur gouvernement, ont de la suite dans les idées. Malgré les dégâts environnementaux causés par l’exploitation des sables bitumineux, malgré les oppositions citoyennes à leur acheminement à l’intérieur du pays ou aux États-Unis, malgré la suspension (pour l’instant temporaire) du pipeline Keystone XL par la Maison Blanche, malgré les accidents industriels, ils continuent à préparer de nouveaux projets visant à trouver des débouchés commerciaux pour ce pétrole hautement polluant. Et, cette fois-ci, ils le font avec la bienveillante complicité de l’Union européenne.
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Par Ludovic Lamant
TransCanada, la même entreprise canadienne que celle qui est derrière le pipeline Keystone XL, entend désormais construire un autre oléoduc géant, Énergie Est, qui traverserait le Canada d’ouest en est sur 4 600 kilomètres pour véhiculer 1,1 million de barils de pétrole par jour. Annoncé pour la première fois en 2013, ce projet est désormais entré dans sa phase active avec le dépôt, le 30 octobre, du dossier de TransCanada auprès de l’Office national de l’énergie (ONE, l’institution canadienne chargée de la régulation des énergies).
Au même moment, presque jour pour jour, la Commission européenne a publié la mise en application de sa Directive sur la qualité des carburants (DQC), qui traînait depuis 2011, et qui renonce à étiqueter les sables bitumineux comme du « pétrole sale ». Cette décision ouvre donc la voie à l’importation de sables bitumineux canadiens en Europe sans pénalité pour leurs utilisateurs, alors que l’Union européenne reconnaît explicitement, dans la même DQC, que ce type de carburant est une menace en raison de son « fort impact climatique », selon les scientifiques.
Le récent voyage de François Hollande au Canada a merveilleusement illustré ce double discours européen. Le président français, qui n’est pas à une contradiction près, a ainsi pu déclarer, en évoquant nommément le pétrolier Total : « Je souhaite que la France puisse continuer à mettre en valeur les immenses richesses de l’Ouest canadien, que ce soit dans les techniques d’exploitation, de transformation, d’acheminement des hydrocarbures ou dans la construction d’infrastructures. » Dans le même temps, selon Le Monde, « il s’est efforcé de convaincre le Canada de s’impliquer activement dans la lutte contre le réchauffement climatique, à l’instar des pays de l’Union européenne. » Comme si les deux choses n’étaient aucunement liées…
Depuis la hausse des prix du pétrole dans les années 2000, les immenses réserves de sables bitumineux de l’Alberta, au Canada, qui coûtent très cher à exploiter, sont devenues rentables. Pourtant, en dépit de cette nouvelle équation économique, ces réserves posent un double problème aux pétroliers. Primo, elles sont situées au fin fond du Canada, loin des consommateurs et des grands ports. Secundo, les sables bitumineux nécessitent un raffinage particulièrement intense avant de pouvoir s’en servir.
C’est pour cette raison que le projet Keystone XL (voir notre série d’articles sur Mediapart), visant à acheminer les sables bitumineux de l’Alberta jusqu’aux raffineries texanes du golfe du Mexique, est crucial pour l’industrie pétrolière et le gouvernement canadien, qui entend profiter au maximum des ressources de son sous-sol.
Mais, au vu des difficultés politiques rencontrées dans la construction du Keystone XL, et du caractère très coûteux des alternatives (transport par route, train et barges, ou construction d’un oléoduc vers l’océan Pacifique en traversant les montagnes Rocheuses), TransCanada a imaginé une alternative : transporter les sables bitumineux vers l’est du pays en recyclant un vieux gazoduc des années 1970, auquel viendraient s’ajouter environ 1 000 kilomètres de nouveaux tuyaux, principalement dans la province du Québec, et un nouveau port pétrolier. Chiffré à 12 milliards de dollars canadiens (10,5 milliards d’euros), c’est « le projet de la décennie » pour l’Amérique du Nord !
De nombreuses associations citoyennes ont entrepris de se mobiliser au Canada, notamment au Québec qui risque d’être le plus « impacté » par le projet Énergie Est. La bataille s’annonce difficile, car le gouvernement canadien – dirigé par le conservateur Stephen Harper depuis 2006 – est à fond derrière le projet. Idem au Québec, où le parti Libéral au pouvoir y est favorable. Pourtant, les risques liés au projet sont considérables. Tout d’abord, TransCanada envisage d’utiliser en grande partie un vieux gazoduc construit dans les années 1970. Or le transport des sables bitumineux nécessite qu’y soient incorporés de nombreux produits chimiques, ce qui rend les conséquences d’une fuite bien plus dommageables pour l’environnement. Une fuite de gaz n’est pas bien grave ; celle de pétrole lourd mêlé à des solvants inconnus (pour cause de secret industriel) coûte des dizaines de millions d’euros à nettoyer.
Au Québec, « le nouvel oléoduc devra traverser 900 cours d’eau ou bassins aquatiques, dont le fleuve Saint-Laurent », souligne Jean Léger, de la Coalition Vigilance Oléoduc (CoVO). Autant de risques de contamination, sachant que les sables bitumineux ne flottent pas à la surface de l’eau comme les autres pétroles, mais coulent au fond. Quant au point final d’acheminement, il reste encore flou. TransCanada envisage plusieurs terminaux, dont un nouveau port à Cacouna dans l’estuaire du Saint-Laurent, en face d’une zone maritime protégée, ce qui suscite une franche hostilité des habitants.
« Nous avons le sentiment que TransCanada a proposé un lieu d’exportation inacceptable afin de focaliser les énergies et les finances des opposants, pour ensuite proposer une solution de "compromis", qui serait tout aussi dommageable pour l’environnement », suggère Simon Côté, de l’association Stop Oléoduc.
«On n’a jamais vu une telle activité de lobbying»
En déposant son projet de 30 000 pages devant l’Office national de l’énergie (quasiment toutes en anglais, ce qui est anormal dans un pays officiellement bilingue), TransCanada joue sur du velours. « Le document est extrêmement technique et quasiment incompréhensible pour le commun des mortels », affirme Jean Léger. « Il va donc être très difficile à combattre. » De plus, « les gaz à effet de serre et les changements climatiques ne feront pas partie de l’évaluation qu’on va faire », a expliqué un porte-parole de l’ONE au journal Le Devoir. Énergie Est sera donc jugé purement sur son aspect technique. Enfin, l’ONE, qui a dix-huit mois pour rendre son rapport, se contentera de recommandations. C’est le premier ministre qui, au bout du compte, tranchera. Or celui-ci est d’ores et déjà favorable au projet.
Concernant l’éventuelle opposition des propriétaires terriens au passage d’un pipeline sur leurs terres (qui est la cause des problèmes rencontrés par Keystone XL), TransCanada a pris les devants. Pour négocier avec les communautés amérindiennes sur le trajet, l’entreprise a embauché une firme de lobbying appartenant à l'ancien chef des Premières Nations, Phil Fontaine. Les arguments sont sonnants et trébuchants, comme l’explique sans détour le porte-parole de TransCanada, Tim Duboyce : « Il y a plusieurs avantages pour toutes les communautés qui sont sur le tracé. Le droit de passage vient avec certains avantages monétaires. On ne passe pas par le territoire d'une communauté sans compenser pour ça. »
Pour les négociations avec les agriculteurs, c’est le syndicat unique, l’Union des producteurs agricoles (UPA), qui discute avec TransCanada pour l’ensemble de ses membres. Même si l’UPA possède une puissance de frappe importante, le pétrolier a intérêt à n’avoir face à lui qu’un seul interlocuteur plutôt que des centaines de fermiers…
Malgré ce paysage très favorable à Énergie Est, les associations citoyennes au Canada ont commencé à se mobiliser : une trentaine d’entre elles, au Québec, ont réclamé la création d’un Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), un mécanisme de consultation, afin d’« étudier l’ensemble du projet Énergie Est ». Cette demande vient dans la foulée d’une motion adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec qui réclame un BAPE et refuse de déléguer ses compétences environnementales à l’ONE.
Même si les Canadiens pris dans leur ensemble sont encore hésitants quant au projet Énergie Est, l’argument de TransCanada selon lequel ce projet ferait baisser les coûts de l’essence et du fuel domestique ne prend pas. En effet, l’oléoduc et le nouveau port pétrolier signifient clairement la volonté d’exporter les sables bitumineux. « TransCanada promettait que les exportations ne dépasseraient pas 50 %, mais tous les spécialistes jugent que c’est impossible car toutes les raffineries canadiennes fonctionnent à pleine capacité et il n’y a pas de place ici pour 1 million de barils par jour », estime Simon Côté. « Au minimum, 80 % des sables bitumineux seront exportés. »
Vers où ? Vers l’Europe si l’on juge le lobbying intense mené par le Canada, et dans une moindre mesure par les États-Unis, auprès de la Commission européenne ces dernières années. « On n’a jamais vu une telle activité de lobbying de la part d’un gouvernement, en l’occurrence celui de Stephen Harper, auprès des instances européennes », juge Natacha Cingotti, de la confédération environnementale Friends of the Earth Europe.
La plupart des efforts ont visé à retarder la mise en application de la Directive sur la qualité des carburants (DQC), adoptée en 2011 et qui attribue une valeur d'émissions de gaz à effet de serre à chaque source de carburant dans le but de réduire des émissions de 6 % pour les transports d'ici 2020. Alors que la mise en application de la directive aurait dû être publiée dès 2011 ou 2012, le Canada a tout fait pour la retarder. « Plus il y avait de discussions et de délais, plus la mesure était affaiblie. C’était une tactique délibérée », affirme Natacha Cingotti. En définitive, la DQC reconnaît que les sables bitumineux sont plus polluants que les autres carburants (ils émettent 23 % de gaz à effet de serre de plus que le pétrole ordinaire), mais elle ne prend pas en compte leur spécificité pour le calcul des émissions de gaz à effet de serre des industries qui s’en servent. Une aberration !
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Par Ludovic Lamant
Le gouvernement de Stephen Harper a menacé d’aller devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour discrimination de ses produits, et il a également utilisé la perspective de l'accord de libre-échange entre l'Europe et le Canada (CETA) comme levier pour faire avaler la couleuvre des sables bitumineux. Les lobbyistes des États-Unis ont joué la même partition dans la perspective de l’accord TTIP (libre-échange entre l’UE et les États-Unis). L’industrie pétrolière se sent d’ailleurs tellement en confiance qu’ExxonMobil a annoncé cet été un investissement d’un milliard de dollars (800 millions d’euros) dans une raffinerie à Anvers, en Belgique, capable de traiter les sables bitumineux. Car, aujourd’hui, il n’y a que deux raffineries européennes capables de transformer ce type de pétrole lourd (une en Espagne et une en Italie).
Selon une étude du Natural Resources Defense Council, reprise par Greenpeace et Friends of the Earth Europe, si le projet Énergie Est aboutit, cela signifie que la consommation européenne de pétrole issu des sables bitumineux passera de 4 000 barils par jour à plus de 700 000 barils en 2020, pour représenter de 5 % à 7 % de la consommation totale. En prenant en compte le fait que les sables bitumineux sont plus polluants, cela reviendrait à mettre 6 millions de véhicules supplémentaires sur les routes de l’UE ! Autant dire que les belles promesses de réduction des émissions de gaz à effet de serre s’envoleront en fumée…
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Un parmi les cent
19/11/2014,
Un embarras TOTAL par Richard Le Hir
Quelques jours après le décès de Christophe de Margerie, le président Hollande se rendait en visite officielle au Canada en la débutant en Alberta, une première dans l’histoire des relations franco-canadiennes, marquées depuis les années 1960 par l’élan donné par le général De Gaulle aux aspirations indépendantistes du Québec.
Il se trouve que TOTAL est un acteur important de l’industrie pétrolière en Alberta et que gravite autour d’elle toute une constellation d’entreprises françaises qui lui fournissent des biens et des services et qui, gràce à elle, sont parvenues à s’implanter en Amérique du Nord. TOTAL est également présente aux États-Unis, et y gère ses affaires à partir de sa plate-forme de Calgary que Christophe de Margerie a abondamment contribué à développer.
Eût-il été encore vivant au moment de cette visite que la participation de Christophe de Margerie s’y serait imposée, tout en jetant sur celle-ci l’ombre noire d’un affrontement direct avec les États-Unis. En effet, toutes les grandes pétrolières américaines sont aussi présentes en Alberta et considèrent celle-ci comme « a home away from home », une expression populaire américaine qui signifie un second chez soi.
Sans aller jusqu’à prétendre que le décès de de Margerie faisait l’affaire de la diplomatie française, il n’y a aucun doute qu’il se trouvait à lui simplifier singulièrement la tâche lors de cette visite officielle au Canada. D’autant plus que le défunt avait semé la consternation dans la région en mai dernier lorsqu’il avait annoncé l’annulation d’un important projet de développement de onze milliards de dollars dans les sables bitumineux. Suite...
http://reseauinternational.net/embarras-total/
19/11/2014,Par Marie Rambeault
A la lecture de l'article de Médiapart, le décès du PDG de Total m'est aussi venu à l'esprit.... ?
Vous avez dit bizarre ???
Comme c'est étrange... ou pour le moins, troublant !