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Le blog de Lucien PONS

Alain Accardo : « Mesdames et Messieurs les journalistes de cour... ! »

13 Janvier 2015 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Les média, #Terrorisme, #La France, #la liberté, #La Laïcité, #Le capitalisme;, #Europe supranationale

Alain Accardo : « Mesdames et Messieurs les journalistes de cour... ! »

« Non, Mesdames et Messieurs les journalistes de cour, vous n’êtes pas

Charlie. Loin s’en faut. Seule une toute petite partie de votre corporation, que

d’ailleurs vous détestez cordialement et que vous ostracisez, peut se réclamer de

cette « liberté de la presse » dont vous vous gargarisez. Dans votre très grande

majorité, loin d’être des héros de la liberté, vous êtes de simples commis au

service des employeurs capitalistes qui vous tiennent en laisse. Alors de grâce,

trêve de tartuferie... »

Avec sa lucidité et sa verve bien connues, Alain Accardo fait entendre sa « voix discordante » !

Michel Peyret

LES CHARLIES ET LES CHARLOTS *

ALAIN ACCARDO

Qu’on veuille bien me pardonner de faire entendre une voix discordante

dans l’harmonieux concert des louanges que l’on a entendu s’élever depuis

l’attentat contre Charlie-Hebdo. Ces louanges sont à vrai dire de différentes

sortes : les premières – et les seules que je consente à approuver – sont celles qui

concernent le talent hors du commun dont faisaient preuve les victimes dans leur

domaine et qui pour certaines d’entre elles touchait au génie. Sur ce point, je

rejoins sans réticence leurs admirateurs.

Je n’évoquerai que pour mémoire la deuxième sorte de louange, parce que

c’est la moins digne d’attention. Sous couvert de témoignage vécu ou

d’hommage ému, elle sert à la glorification du louangeur lui-même, d’une façon

qui associe plus ou moins subtilement le dithyrambe à l’auto-célébration

narcissique (« C’était un être merveilleux. Un soir que nous étions

ensemble…etc… »). Passons.

La troisième sorte de louange, qui pourrait servir d’illustration au

paralogisme de « la partie pour le tout », consiste à s’autoriser de ce que

Charlie-Hebdo est un organe de presse faisant preuve d’une grande liberté de

ton pour en conclure d’une part que c’est toute la presse qui est attaquée et

d’autre part et implicitement, que toute cette presse fait preuve de la même

liberté de ton envers et contre tous les pouvoirs établis. Ce que traduit

éloquemment le slogan incroyablement prétentieux « Nous sommes Charlie ».

Non, Mesdames et Messieurs les journalistes de cour, vous n’êtes pas

Charlie. Loin s’en faut. Seule une toute petite partie de votre corporation, que

d’ailleurs vous détestez cordialement et que vous ostracisez, peut se réclamer de

cette « liberté de la presse » dont vous vous gargarisez. Dans votre très grande

majorité, loin d’être des héros de la liberté, vous êtes de simples commis au

service des employeurs capitalistes qui vous tiennent en laisse. Alors de grâce,

trêve de tartuferie.

Cela me conduit à mentionner la quatrième sorte de louange entonnée par

la chorale « républicaine ». Celle qui célèbre l’excellence du système social dans

lequel nous vivons, et dont la presse des grands prédateurs de la finance et de

l’industrie est évidemment le plus beau fleuron.

De fait, si la gent journalistique était moins domestiquée

intellectuellement et moralement, elle pourrait s’ériger légitimement en force de

critique sociale capable de prendre en toutes circonstances des risques pour la

défense des valeurs démocratiques. Mais le combat démocratique tel qu’elle

l’entend, c’est celui de la défense prioritaire des médiocres intérêts des « élites »

auxquelles elle se pique d’appartenir et de l’ordre établi. Ce combat à courte vue

aveugle la plupart des journalistes et les empêche de comprendre ce qu‘une

poignée de bons esprits parmi eux a compris depuis longtemps : que ce qui vient

de se passer à Charlie-Hebdo n’est qu’un épisode dans une longue série

d’horreurs et de crimes dont la racine principale doit être cherchée, à travers de

nombreuses médiations, dans l’inextinguible soif de profits et la frénésie de

domination qui ont animé pendant des siècles les politiques des puissances

capitalistes occidentales envers le reste du monde…y compris envers leurs

propres concitoyens.

La même logique meurtrière, celle de la rentabilisation à outrance du

Capital, qui a conduit à exterminer des peuples entiers dans des colonies

lointaines, conduit aujourd’hui encore à laisser crever à petit feu, dans le

chaudron des ghettos urbains de nos métropoles, des populations déshéritées

dont l’immense majorité fait ce que les prolétaires de nos Républiques

successives n’ont cessé de faire depuis des générations : saliver devant la vitrine

clinquante que nos médias exposent en permanence à leur convoitise, et se

demander pourquoi, dans une République soi-disant Une et Indivisible, ladite

vitrine divise si radicalement, si inflexiblement, si injustement, le monde en

maîtres et en serviteurs, et de combien de souffrances et d’humiliations encore

ils devront expier la faute d’être nés pauvres et différents, du mauvais côté de la

vitrine, de la rocade, de l’histoire, de la vie.

Comment l’oppression sociale, la violence sourde et broyeuse des

rapports sociaux, qui laminent jour après jour des vies entières, n’auraient-elles

pas aussi des effets pervers chez les plus désespérés en en faisant les instruments

du fanatisme que toutes les doctrines, spécialement les religieuses, ont alimenté

à un moment ou à un autre ? On devrait être davantage attentif à ce mécanisme

psychosociologique qui fait que la même dynamique sociale peut se structurer

selon les circonstances, dans le meilleur des cas en combat politique libérateur et

dans le pire en violence criminelle délirante.

Voilà, me semble-t-il, ce que les gens de Charlie-Hebdo exprimaient à

leur façon, mais voilà aussi ce que sont incapables de comprendre les charlots

qui se sont mis à larmoyer d’un oeil en cherchant la caméra de l’autre. Les

épisodes de la lutte des classes que nous livre l’actualité quotidienne, partout et à

tout moment, ne se présentent presque jamais à l’état « pur », sous des formes

immédiatement reconnaissables et univoques, mais sous des formes altérées et

ultra-compliquées du fait de la surdétermination généralisée de tous les facteurs

les uns par les autres.

Cette causalité multiple, embrouillée, équivoque, qui est

celle de tous les faits sociaux, ne peut qu’échapper à la lecture rapide,

superficielle, paresseusement simplificatrice et idéologiquement orientée,

pompeusement baptisée « décryptage » par les médias. Il est plus facile et plus

rentable, à tous égards, pour eux et leurs commanditaires, d’orchestrer de

grandes émotions collectives qui expriment tout et le contraire, qui drainent le

meilleur et le pire et où la pensée rationnelle et critique sombre dans la

propagande, et la vérité avec elle. En attendant la prochaine flambée de haine

aveugle et d’oecuménisme larmoyant.

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