Nous avons MAINTENANT des raisons d'être OPTIMISTES [le blog de Descartes]
Une tribune de "Descartes" :
J’ai été à la manif géante du dimanche 11 janvier. Et je ne le regrette pas.
Cela étonnera peut-être certains de mes lecteurs. Après tout, c’était bien moi qui m’étais inquiété de ce que pouvait donner une manifestation au départ convoquée par Jean-Christophe Cambadélis avec le but à peine déguisé de récupérer l’indignation populaire pour la mettre au service de François Hollande et de son gouvernement. Je m’étais aussi inquiété du cirque médiatique organisé autour d’une liste à la Prévert de « grands de ce monde » venus défendre en France une laïcité qu’ils piétinent souvent dans leurs pays. J’étais donc sceptique.
Et pourtant, j’ai changé d’avis. Pourquoi ? D’abord, parce que j’ai pris la mesure de l’indignation et de l’élan de la population. Avec deux cents mille personnes derrière lui, Hollande aurait été le héros de la fête. Mais avec deux millions, c’est le peuple qui devient le héros et Hollande l’accessoire. Avec deux cents mille manifestants, les journaux auraient glosé autour du président capable de mettre une telle foule dans la rue. Avec deux millions, un tel discours serait ridicule, tant il est évident que ce n’est pas le président, le gouvernement ou n’importe quel parti politique qui peut convoquer un tel évènement. J’ai aussi changé d’avis parce qu’à un certain moment, il faut laisser de côté la mesquinerie des raisonnements tactiques gauchistes, genre « si untel y va, j’y vais pas ». On pourra dire que pour une fois dans ma vie Clementine Autain aura réussi de me faire changer d’avis. Lorsqu’elle a déclaré en substance qu’elle ne saurait aller manifester avec deux millions de personnes si parmi elles se trouvait Sarkozy, je me suis dit qu’il fallait arrêter les conneries. Arrêter de se définir par rapport aux autres, par rapport à l’image qu’on craint de donner, et avoir le courage d’exprimer une opinion publiquement. Et finalement, je suis allé par curiosité. J’avais envie de voir les banderoles, d’écouter les gens, d’humer leur état d’esprit sans avoir à faire confiance aux intermédiaires journalistiques dont je connais la médiocre qualité.
Et je n’ai pas été déçu. Je dirais même que, cynique et pessimiste que je suis, je suis revenu requinqué. Non seulement parce que ce que j’ai vu confirme des analyses que je propose depuis un certain temps déjà, ce qui fait toujours plaisir, mais parce que dans cette mobilisation j’ai vu un espoir d’éclaircie dans la nuit noire dans laquelle nous sommes. A cette manifestation, j’ai vu des gens jeunes agiter des drapeaux tricolores et pratiquement qu’eux, sans que j’aie vu un seul drapeau européen. J’ai vu des soixante-huitards chanter « La Marseillaise », remercier la police et lui donner des fleurs. J’ai vu un peuple très divers manifester dans un climat de courtoisie, d’attention à l’autre que j’ai rarement perçu dans les dernières manifestations auxquelles j’ai participé. J’ai vu des gens simples mais aussi des commentateurs parler de la « nation française » et se déclarer « fiers d’être français ». Et oh, miracle des miracles, j’ai entendu une chronique de Bernard Guetta ou le mot « Europe » ne figure pas une seule fois !
Cette mobilisation est celle d’une prise de conscience. Pendant longtemps la majorité des français – et la quasi-totalité de nos élites – ont vécu dans une illusion, celle que les psychologues appellent celle du père tout puissant. De la même manière que l’enfant ou l’adolescent peut désobéir à ses parents ou les défier sans crainte que ceux-ci l’abandonnent ou disparaissent, de même que l’enfant croit que ses parents seront toujours là pour le protéger, nous pensions que nous pouvions conchier nos institutions, notre drapeau, notre Nation sans craindre qu’elles nous laissent tomber ou puissent disparaître, tant elles nous apparaissaient solides et inébranlables. Ce n’est pas un hasard si « l’esprit Charlie », celui d’une irrévérence qui ne respectait rien ni personne, tout comme celui de 1968, sont deux manifestations de ce phénomène d’adolescence politique nées alors que l’Etat gaullien était à son apogée et que les institutions léguées par l’histoire semblaient inébranlables.
Mais cette solidité n’était qu’apparente. Les idéologies « libérales-libertaires » sont tenables aussi longtemps qu’elles sont ultra-minoritaires dans une société riche qui pouvait nourrir sans dommage quelques parasites. Mais quand une telle idéologie devient le modèle massif, quand nous sommes tous invités à être « rebelles » et « insolents », le système s’effondre dans l’anomie. C’est ce qui se passe progressivement depuis l’aube des années 1980. Mais la plupart d’entre nous, et ce qui est pire, la plus grande partie de nos élites, ne s’en sont pas aperçus. Bien entendu, il y a des voix discordantes, comme celle d’un Finkielkraut alertant sur la fragilité de « cette chose belle, précieuse, fragile et périssable » qu’est notre Nation, notre culture, nos institutions. Mais qui écoute Cassandre ? Il est tellement plus facile de vivre dans le monde des Bisounours et se féliciter d’un « progrès sociétal » continu qui permet de déguiser l’affaiblissement social et institutionnel du pays.
Le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo nous ramène dans une réalité politique qui est, par essence, tragique. Il nous sort de notre état d’adolescents attardés pour nous faire entrer dans l’âge adulte. Tout à coup, les français ont compris combien ces valeurs « ringardes » que sont le drapeau ou la Nation, ces « beaufs » que sont les policiers et les gendarmes, sont nécessaires pour nous protéger du chaos. Cette manifestation, c’est la manifestation de la peur. Non pas la peur des terroristes, mais la peur de la désintégration du tissu social. Ce qui est extraordinaire, c’est de voir combien cette prise de conscience est forte et massive. Personne n’a forcé les manifestants à chanter « la Marseillaise », à agiter les drapeaux tricolores, à parler de « nation française ». Aucune organisation politique n’a conçu ce discours. Ce n’est pas un chanteur à la mode qui l’a propagé par les réseaux sociaux. Il n’y eut ni planification, ni concertation. Qu’une réaction spontanée de ce type puisse surgir chez tant d’individus en même temps montre qu’elle est, potentiellement, chez chacun d’entre nous. Elle nous a été transmise avec notre « roman national », cet accessoire tenace que tous donnaient pour mort et que l’on voit resurgir à cette occasion. Et avec lui, nous retrouvons un sentiment collectif, une discipline sociale, tout ce qui a permis au peuple français de se relever de situations qui paraissaient désespérées. Comme quoi, on a toujours tort de ne pas faire confiance au peuple français.
Bien entendu, il y a dans cette manifestation beaucoup de choses moins heureuses. Il est clair que la prise de conscience dont je parle, si elle est massive, n’est pas pour autant unanime, et que si les descendants d’immigrés étaient nombreux dans les cortèges, il s’agissait surtout d’immigrés assimilés, et très rarement de ce qu’on appelle « des jeunes de cité ». Ce n’est pas étonnant : comment ceux à qui n’a pas été transmis le « roman national » pourraient se reconnaître dans la manifestation d’hier ? On a pu aussi voir des gens qui confondent la « liberté de culte » - qui est protégée par la loi et la constitution – avec un « droit au respect des religions » qui n’existe pas. Ces difficultés existent, et il serait idiot de le nier. Mais elles ne sont que peu de chose comparées à la force de la prise de conscience que nous avons pu observer hier. Une prise de conscience qui ouvre toutes les possibilités. Et en particulier, celle d’en finir avec la haine de soi. Une haine de soi qui nous empêche en particulier d’assimiler nos immigrés : comment espérer qu’ils veuillent devenir comme nous si nous-mêmes nous ne sommes pas fiers de ce que nous sommes ?
Il y a aussi un autre point qui mérite d'être signalé: les partis politiques ont été complètement marginalisés. Eux qui devraient constituer le véhicule privilégié de l'expression démocratique sont restés dans leur coin avec leurs petits débats et leurs petits coups tactiques. Aucune voix politique ne s'est levée au dessus de la mêlée, aucune n'a indiqué une direction. Ils ont été balayés par l'ampleur de la réaction populaire. Ce fait éclaire avec acuité un problème qui est pour moi bien plus sérieux que tous les autres: nos élites politiques sont tout simplement à côté de la plaque. Elles ne sont pas à la hauteur. Si notre peuple à montré une fois encore qu'il reste un peuple responsable, éduqué et politique, le moins qu'on puisse dire est qu'il n'a pas trouvé de dirigeant digne de lui.
Et Charlie dans tout ça ? Ceux qui pointent le paradoxe ont parfaitement raison : nous ne sommes pas du tout Charlie. Plus que des Duduche, nous sommes en fait le « beauf » de Cabu. C’est le « beauf », et non Duduche, qui agite le drapeau tricolore. C’est le « beauf », et non Duduche, qui embrasse le policier. C’est le « beauf », et non Duduche, qui parle de « nation française » et se déclare « fier d’être français ». Hier, c’était un flot continu de « beaufs » qui ont rempli les rues de Paris. Des « beaufs » qui croient encore être des Duduche. Mais Duduche, le charmant adolescent d’un temps charmant où l’on pouvait faire un peu ce qu’on voulait sans se soucier des conséquences n’est plus. Au contact d’une réalité brutale, il est finalement devenu adulte.
Descartes
P.S. : je ne résiste pas à la tentation de reproduire ici les paroles de la chanson « Et si en plus il y a personne » de Souchon/Voulzy. Un véritable poème qui dit avec grâce et intelligence l’absurdité des religions combattantes. Souchon a eu le courage de la chanter hier lors de la soirée d’hommage.
Et si en plus il y a personne
Abderhamane, Martin, David
Et si le ciel était vide
Tant de processions, tant de têtes inclinées
Tant de capuchons, tant de peur souhaitées
Tant de démagogues, de Temples, de Synagogues
Tant de mains pressées, de prières empressées
Tant d'angélus, Ding
Qui résonne
Et si en plus, Ding
Y'a personne
Abderhamane, Martin, David
Et si le ciel était vide
Il y a tant de torpeurs
De musiques antalgiques
Tant d'anti-douleurs dans ces jolis cantiques
Il y a tant de questions et tant de mystères
Tant de compassions et tant de révolvers
Tant d'angélus, Ding
Qui résonne
Et si en plus, Ding
Y'a personne
Arour hachem, Inch Allah
Are Krishhna, Alléluia
Abderhamane, Martin, David
Et si le ciel était vide
Si toutes les balles traçantes
Toutes les armes de poing
Toutes les femmes ignorantes
Ces enfants orphelins
Si ces vies qui chavirent
Ces yeux mouillés
Ce n'était que le vieux plaisir
De zigouiller
Et l'angélus, Ding
Qui résonne
Et si en plus, Ding
Y'a personne
Et l'angélus, Ding
Qui résonne
Et si en plus, Ding
Y'a personne….