Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Lucien PONS

Le Mexique, dindon de la farce ALENA

26 Février 2015 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Le traité Transatlantique., #Le capitalisme;, #La finance dérégulée, #Le grand banditisme, #La mondialisation

Le Mexique, dindon de la farce ALENA

26 février 2015, 03:37

LE COURRIER - MARDI 24 FéVRIER 2015

par Yanik Sansonnens et Benito Perez

Son entrée en vigueur, le 1er janvier 1994, avait été «célébrée» par un soulèvement indigène. Les paysans zapatistes du Chiapas craignaient que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ne finisse par livrer complètement le pays – et leurs terres – aux transnationales. Spectaculaire, ce bémol amérindien était pourtant très minoritaire au sein de ce nouveau marché de 480 millions d’individus, Canadiens, Etasuniens et Mexicains, l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde. Les dirigeants des trois pays l’avaient présentée comme la panacée pour accroître le niveau de vie de leurs concitoyens, mettant en avant des desseins à première vue consensuels: «éliminer les barrières douanières, faciliter les échanges transfrontaliers de biens et de services, développer une concurrence équitable, favoriser les investissements, protéger l’environnement et garantir de meilleures conditions de travail». Au Mexique, en particulier, on imaginait profiter d’investissements importants permettant de s’accrocher à la locomotive économique nord-américaine.

Croissance en panne


Qu’en a-t-il été? Après vingt ans, et à l’heure où l’ALENA sert de modèle au projet de Traité transatlantique, son bilan est bien plus mitigé. Car si le Mexique a effectivement triplé ses exportations et redressé sa balance commerciale à l’égard de son grand voisin, la statistique est trompeuse, prévient Jean-Paul Baquiast, un ancien haut fonctionnaire et écrivain français: «En 2013, 75% du volume mexicain des exportations était composé de biens eux-mêmes importés précédemment par le Mexique, notamment des USA! Le Mexique héberge un nombre considérable de sociétés de commerce nord-américaines, qui, grâce aux détaxations et déréglementations autorisées par le traité, peuvent réexporter vers les Etats-Unis une grande partie de leurs produits importés au Mexique.»

Même la sacro-sainte croissance économique n’est guère invocable, puisqu’elle demeure en moyenne de 2%, soit moins que les taux auxquels les Mexicains étaient habitués dans les années 1970 et 1980. Interrogée, l’économiste et sénatrice de l’opposition Dolores Padierna, du Parti de la révolution démocratique (centre-gauche), se montre catégorique: «La valeur des exportations mexicaines est bien plus faible que celle des importations. Sous l’ALENA, notre balance commerciale a toujours été déficitaire, de l’ordre de 6 milliards de dollars par an», souligne-t-elle.

Sur le site web créé par les partenaires de l’ALENA, on y apprend pourtant que celui-ci «apporte des avantages tangibles aux ménages, agriculteurs, travailleurs, fabricants et consommateurs. Les échanges commerciaux et les investissements en Amérique du Nord ont augmenté, se traduisant par une forte croissance économique, la création d’emplois et un plus vaste éventail de biens de consommation à meilleurs prix.» Un constat qui ulcère Victor Suarez. Car si gain il y a eu, il se trouve essentiellement aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure, au Canada, assure le directeur de l’Association nationale des entreprises de commercialisation des producteurs agricoles (ANEC). Qui ne décolère pas: «Les autorités mexicaines disaient que le flux migratoire allait baisser drastiquement en direction des Etats-Unis, car les citoyens bénéficieraient des opportunités offertes par l’ALENA. Or, c’est le contraire qui s’est produit: 12 millions de compatriotes ont tenté l’exil depuis lors, dont 6 millions de travailleurs ruraux. Une infime minorité prospère là-bas, tandis que les autres y sont exploités ou ont été refoulés à la frontière», affirme-t-il.

Développement inégal


Hormis le secteur automobile, qui parvient à tirer son épingle du jeu, l’économie mexicaine fait grise mine. En 2004 déjà, pour les dix ans du traité, plusieurs économistes étasuniens avaient pointé les effets néfastes de l’ALENA, en particulier pour le Mexique, mais leurs observations n’ont jamais été prises en considération.

«Parmi les nombreux dommages causés, on assiste à une dénationalisation financière, c’est-à-dire un démantèlement progressif des banques et des assurances engendré par des mécanismes de dérégulation globale dont les ficelles sont tirées depuis les places financières de Wall Street à New York et de la City à Londres», remarque Alfredo Jalife-Rahme, professeur de sciences politiques et sociales à l’UNAM (Université nationale autonome du Mexique), qui voit là «un énième échec de politiques néolibérales».

Privatisations et dépendance


Un avis partagé du côté des syndicats. L’influent Syndicat des électriciens mexicains (SEM), historique opposant à l’ALENA, a vu ses craintes de «démantèlement des acquis sociaux», de «dumping salarial agressif» et de «précarisation rampante des conditions de travail» se confirmer. Son porte-parole José, Montes, dénonce également «la privatisation de pans entiers de l’économie tels que les secteurs de la santé, de l’énergie et des transports». Une situation qui a «accentué notre subordination vis-à-vis des entreprises étasuniennes, provoquant une perte de souveraineté criante».

L’agriculture paie le plus lourd tribut

«Cet accord de libre-échange est une catastrophe pour les petites et moyennes

exploitations. Le marché mexicain est noyé sous les produits alimentaires étasuniens. Le maïs subventionné de nos voisins est de qualité inférieure et vendu moins cher, donc contribue à couler nos activités. Si je continue à vendre mon maïs à perte, je finirai par mettre la clé sous la porte», raconte José Velasco, un agriculteur de l’Etat de Chiapas (Sud). Lui, comme tant d’autres, a été touché de plein fouet par le dispositif prévu par l’ALENA.

Progressivement, l’Etat mexicain a supprimé les subsides qu’il allouait aux petits producteurs ruraux, jugés insuffisamment compétitifs. Désormais, quelque 80% des aides publiques sont attribuées à 10%-15% des propriétaires terriens, qui, pourtant, n’en auraient aucunement besoin. Faute de pouvoir régater avec l’agro-industrie du Nord mais aussi mexicaine, d’innombrables petits et moyens agriculteurs ont déserté les vastes hectares de la campagne mexicaine, rapidement occupés de manière illicite par les différents cartels de narcotrafiquants.

La dépendance alimentaire mexicaine envers son voisin du Nord a atteint des proportions inédites. Le directeur de l’ANEC, Victor Suarez, s’indigne: «Les aliments d’importation comptent pour 45% de la consommation nationale, contre 10% avant l’entrée en vigueur de l’ALENA. Si on continue sur cette voie, ce taux grimpera à 80% d’ici à 2030. De plus, la plupart de ces produits issus de l’agrobusiness sont malsains, car fabriqués avec quantité de colorants, d’acides gras saturés, de conservateurs et d’arômes artificiels. A cela s’ajoute la prolifération de fast-foods qui contribue à faire du Mexique le pays numéro un en termes d’obésité infantile.» Autre impact négatif, les atteintes à l’environnement.

Parmi les grands gagnants de cette politique de libéralisation, on retrouve bien entendu les multinationales mexicaines Gruma et Bimbo ainsi que les ténors internationaux Monsanto, Nestlé et Cargill. Tous ont vu leurs profits exploser dans le pays. Mais le symbole de cette expansion demeure le géant étasunien Walmart, qui a fait du Mexique sa seconde patrie. Installée au pays depuis 1991 seulement, l’entreprise de distribution est aujourd’hui le plus gros employeur privé au Mexique, avec 220 000 salariés. Un développement qui n’est pas étranger aux exonérations de taxe à l’importation obtenues de Mexico. En 2012, le New York Times avait révélé ses pratiques endémiques de corruption, à coups de dizaines de millions, afin de contourner les lois mexicaines.

Et, à la fin, ce sont les Etats-Unis qui gagnent

Au-delà du discours théorique «gagnant-gagnant» des libéraux, à qui profitent réellement les accords de libre-échange? Third Way, un think tank étasunien pro-libre-échange, vient de rendre un rapport qui confirme les thèses altermondialistes, à savoir que la compétition libérale tend à creuser les écarts, et non à les combler.

Se basant sur l’étude des dix-sept traités implémentés par les Etats-Unis depuis quinze ans, les chercheurs ont constaté que dans treize cas, la balance commerciale US s’était améliorée. En agrégeant les données de tous ces marchés, les gains étasuniens sont chiffrés à plus de 30 milliards de dollars pour la seule année 2014. En fait, les USA sont passés d’une balance légèrement négative vis-à-vis de ces pays à un ratio export/import très favorable. Des données qui ne prennent pourtant pas en compte les services, où les Etats-Unis dominent encore plus outrageusement les échanges.

Benito Perez

Invité à répondre aux critiques formulées par nos interlocuteurs, le Secrétariat de l’économie, chargé de faire appliquer les clauses de l’ALENA au Mexique, n’a pas donné suite à nos questions.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article