Carnet de route Donetsk avril 2015. Partie 1 de Rostov à Donetsk
Carnet de route Donetsk avril 2015. Partie 1 de Rostov à Donetsk
Au petit matin le 12 avril 2015 je prends ma place à côté du chauffeur d’un minibus qui m’emmène de Rostov à Donetsk. Les autres passagers, qui sont une vingtaine, adoptent un air sombre et silencieux. Au moment où le bus démarre, une femme d’environ cinquante ans, cheveux blonds bouclés qui lui arrivent aux épaules, assise près de moi lâche simplement : « Que Dieu nous garde »… Cette petite phrase, en apparence anodine, souligne la gravité du moment et montre qu’il ne s’agit pas d’un voyage anodin : 4 heures seulement et quelques 200 km plus loin j’arriverai dans ce qu’on appelle communément la zone de conflit, l’endroit en plein cœur de l’Europe où une guerre atroce sévit depuis voilà un an.
Le voyage se déroule dans un silence total jusqu'au poste frontière entre la Russie et la République rebelle non reconnue. Enfant du pays, je n’attire pas d’attention particulière de la part de mes compagnons de route, mais mon passeport français ne passe pas inaperçu et suscite une curiosité. J’explique alors le but de mon voyage et leur parle du soutien des Français rencontrés lors des rassemblements et qui sont de plus en plus nombreux a vouloir être informés sur ce qui se passe réellement. Chez eux, les média mainstream se sont donné le mot afin d’observer le blackout le plus total.
A partir de la frontière russe, la route devient très mauvaise : les combats ont fait rage par ici et le revêtement garde des traces de multiples explosions. C’est d’abord le chauffeur, Nikolaï qui se met à me présenter les endroits que nous parcourons. J’ouvre grand mes oreilles pour ne pas perdre un mot de ce qu’il raconte, toux ces témoignages sont attendus en France avec beaucoup d’impatience, mais finalement je préfère ne pas me fier uniquement à ma mémoire, aussi bonne soit-elle, et je décide de me faire aider par les avancée de la technologie en enregistrant les interviews sur mon téléphone.
On arrive à Ilovaïsk, ville dans laquelle l’armée ukrainienne a été prise dans un étau du premier grand chaudron par les forces républicaines, on commence à voir sur les bords de la route de nombreuses maisons complètement détruites. Nikolaï me parle de sa visite récente d' un des villages de la région :
Vous vous rendez compte, les ukrainiens y avaient amené les chars, ont tourné les tourelles et se sont mis à pilonner les habitations les rasant entièrement !
Il me montre un bâtiment à plusieurs étages quasi intact :
C’est l’école d’Ilovaïsk, les FAU y ont rassemblé la population : femmes, enfants, vieillards et ont placé leur artillerie juste derrière pensant que les républicains n’oseront pas tirer sur ce bouclier vivant ! Alors les combattants de la résistance arrivés du côté nord ont pris l’école d’assaut en se servant uniquement de fusils et ont pu libérer les gens. Voilà pourquoi le bâtiment n’est presque pas abîmé. Cela montre bien l’attitude des deux parties
Le chauffeur me montre aussi le pavillon avec une serre qui abrite des plantes exotiques appartenant à un oligarque Rinat Akhmetov parti se réfugier à Kiev. La maison est curieusement restée intacte malgré de forts bombardements tandis que les habitations des gens ordinaires n’ont pas été épargnées. De même que le musée ethnographique de la ville de Donetsk dont les deux tiers ont été détruits ainsi que ses nombreuses pièces de collections précieuses. Qui veille sur les biens des oligarques ainsi?
Il n’y aura plus jamais d’Ukraine unie – poursuit le chauffeur. – Trop de choses horribles ont eu lieu, trop de sang a été versé. On parle de la présence de l’armée russe ici. Il n’y en a pas ! Il y a des volontaires russes, certes, mais ils ne sont pas plus nombreux que des mercenaires polonais dans l’armée ukrainienne ! Vous savez, chaque obus que l’armée ukrainienne fait exploser par ici, c’est une personne de plus qui s’engage dans l’armée républicaine, voir la famille entière. Nous sommes chez nous ici, c’est notre terre.
« C’est notre terre » – voilà la phrase que j’entendrai constamment tout le long de mon séjour, venant des combattants et des civils, des hommes ou des femmes. Cela sonne comme un mot de reconnaissance qui permet de distinguer les siens.
Tonia, ma voisine aux cheveux blonds m’entend parler de notre association qui rassemble les dons pour aider le Donbass et me confie son désespoir : elle a fuit la guerre avec sa fille et son petit fils en Russie, mais compte tenu du cessez-le-feu signé suite aux accords de Minsk 2, le statut de réfugiés ne leur a pas été accordé. Sa fille a trouvé du travail, mais a été remercié un mois après sans jamais avoir vu la couleur de sa paie. Et à Donetsk reste toujours la mère de Tonia, âgé de 76 ans, elle souffre de nombreuses maladies compte tenu de son âge, dont plusieurs problèmes cardiaques. C’est à elle que Tonia est venue rendre visite pour passer quelques semaines avec elle. Leur maison se trouvait dans le quartier Petrovski, très fortement touché par des pilonnages de l’armée ukrainienne.
Le 8 août de l’année dernière lorsque Tonia s’apprêtait à sortir de chez elle, quand aux alentours de midi elle a entendu trois explosions très fortes venant du côté du quartier Tekstilchiki, elle a vu les gens courir de partout, dont plusieurs d’entre eux avec des sceaux car il n’y avait pas d’eau. Un hôpital a été touché, des postes de distribution de l’aide humanitaire. Il y a eu plusieurs tués et elle a vu des gens mourir avec un pain à la main qu’ils étaient venu chercher. Les pilonnages ont continué les jours suivants. Les installations électriques ont été abîmées et les gens sont restés plusieurs jours privés de l’électricité. Les vitres des fenêtres ont sauté.
Tonia s’est cachée dans les toilettes qui n’avaient pas de vitres avec son petit fils de 2 ans et demi qui tremblait au son des explosions en répétant : « C’est la guerre ». Tout le monde pleurait, il y avait du sang partout dans la rue. La voix de Tonia se brise et elle est obligée d’interrompre son triste récit.
La maison de sa mère a reçu un impact direct d’un obus : les vitres ont été soufflées, le toit arraché… Les dégâts ont été si importants que selon les experts, la maison ne peut plus être reconstruite. Toutes leurs affaires ont péri dans le bombardement. Tonia est veuve et retraitée, mais comme le pouvoir putschiste de Kiev a décidé d’écraser le Donbass insoumis par un blocus total, les retraites ne sont pas payées depuis septembre 2014. Aujourd’hui les Républiques Populaires reprennent petit à petit le versement des retraites et des allocations, mais la population souffre encore d’un manque de ressources financières important. La seule aide humanitaire qui parvient dans le Donbass c’est celle qui vient de la Russie qui n’a jamais abandonné la population russophone et lui apporte depuis le début son soutien. Pourtant, les besoins sont tellement grands que cela ne suffit pas. Tandis que les Etats membres de l’Union Européenne et les ONG envoient leur aide en Ukraine qui tombe ainsi entre les mains du gouvernement criminel et de ses bataillons de punisseurs, ceux qui tuent les femmes, les enfants et les vieillards de l’Est.
Dire que je dois souvent freiner nos partisans en France qui souhaite faire des dons via notre association pour aider les civils du Donbass, car la logistique d’acheminement reste à ce jour très lourde et compliquée et nous n’avons aucun soutien ni de la part des élus, ni d’autres organismes officiels. Pour eux le Donbass fait toujours partie de l’Ukraine, alors ils aident Kiev soit par ignorance, soit par une mauvaise volonté et ont un mépris total envers la souffrance de ceux qui sont les véritables victimes de cette guerre.
La veille de mon départ nous avons lancé un appel aux dons ayant permis de récolter environ 2 000 euros que j’amène en argent liquide : en septembre dernier les banques ont reçu l’ordre de Kiev d’arrêter tout travail dans le Donbass libre. Aucun distributeur ne fonctionne à Donetsk, leurs écrans restent éteints et recouverts d’une couche épaisse de poussière. Je suis profondément émue par le récit de Tonia et ce n’est que le premier d’un long fil de témoignages car j’en entendrai plusieurs d’autres tout aussi déchirants. Si je m’écoutais, je me serais mise à distribuer l’argent directement, mais j’ai le devoir de le remettre aux autorités de la République avec lesquelles « Novopole » est en relation directe. Ce sont elles qui doivent me dire quel sera le meilleur emploi à réserver aux fonds que nous avons collectés. Les comptes rendus seront publiés ultérieurement au fur et à mesure que nous aurons reçu des justificatifs. Pour le premier bilan provisoire: j’ai remis personnellement 150 euros à la grand-mère de Yulia, jeune fille qui a perdu une jambe et un bras lors du pilonnage d’un arrêt de bus rue Bossé à Donetsk en janvier, pendant mon voyage à Novoazosk que les autorités m’ont organisé durant mon séjour j’ai donné 450 euros à la mère d’une famille nombreuse dont la fille aîné est atteinte d’une leucémie et dont le traitement très lourd et couteux ne peut être interrompu un seul jour sous peine d’une rechute. Avant de partir, je parviens tout de même à dégager 100 euros qui seront remis à Tonia après mon départ. J’aimerai tant et j’espère pourvoir un jour faire beaucoup plus.
Le 10 avril 2015
La présidente de Novopole.