Ce rapport, comme l’a rappelé Philippe Duron lors de son audition devant la commission du développement durable le 26 mai, doit« s’inscrire dans le cadre de l’entrée en vigueur du quatrième paquet ferroviaire européen, qui prévoit l’ouverture des lignes intérieures à la concurrence à partir de 2019 ». « Il nous faut un texte législatif », a-t-il insisté devant les députés. Ce projet d’ouverture doit, comme nous le promet la Commission européenne à chaque abandon de service public et ouverture à la concurrence, apporter aux usagers baisse des prix et augmentation des services. Les lignes Intercités semblent être, pour le rapporteur, le terrain d’expérimentation idéal pour s’engager dans ce grand projet. Il préconise de les ouvrir à la concurrence très vite.
La direction de la SNCF a elle-même prêté main forte à ce changement annoncé. Ces dessertes offrent un service honteux. Le matériel est vétuste, les services à bord inexistants. Les réseaux et les gares ne sont plus entretenus depuis des années, les retards sont incessants comme les annulations intempestives. Le nombre de dessertes n’a cessé d’être réduit : de 35, elles sont passées à 22 en quelques années. Les horaires ont été maintes fois changés, afin de dissuader les voyageurs de prendre ces trains et de les pousser vers les TGV ou, plus sûrement encore, la route. L’accident de Brétigny, en juillet 2013, qui concernait justement un train Intercités (Paris-Limoges), symbolise à lui seul la faillite de l’entreprise publique dans ce domaine (lire nos articlesBrétigny : un délabrement jamais vu et Un audit interne pointe les défaillances de sécurité en région Paca).
Cette situation n’est pas le fruit du hasard, mais d’une politique délibérée de la SNCF depuis des années. « Tout a été fait pour détruire la valeur positive du train », a accusé le député écologiste François-Michel Lambert. Le rapport parlementaire date la dégradation économique de ces dessertes à 1994. La date n’est pas fortuite. Cette année-là, la SNCF a tiré un trait sur la tarification au kilomètre sur les lignes TGV, et a renoncé à la péréquation sur l’ensemble du réseau ferroviaire pour instituer le système tarifaire en vigueur dans les compagnies aériennes (yield management). Cette révolution a coûté sa place au président de l’époque, Jean Bergougnoux. Mais le système a bien été mis en place, rendant la politique tarifaire incompréhensible pour les usagers, et pour finir les détournant du train, jugé prohibitif.
À partir de cette date, la SNCF a abandonné tout esprit de service public. Misant sur le tout-TGV, la direction de l’entreprise publique a délibérément sacrifié les liaisons interrégionales qui illustraient les politiques de l’aménagement du territoire, le service public. En poste depuis 1988 d’abord comme directeur de cabinet du président de la SNCF, puis comme directeur des grandes lignes (1997), puis comme directeur général exécutif (2003) avant de devenir président du groupe ferroviaire en 2008, Guillaume Pepy porte l’immense responsabilité de cet état de décrépitude, de cet abandon. Pourtant, même après Brétigny, il est resté en place. Celui-ci n’a pas éprouvé le besoin de démissionner et le gouvernement n’a pas senti la nécessité de l’exiger. En dépit de ses bilans stratégique, commercial, social et financier catastrophiques, il a même été reconduit dans ses fonctions en décembre 2014. Guillaume Pepy appartient à la République des intouchables.
Poursuivant sa politique de casse, la direction de la SNCF a décidé d’en finir avec ses dernières contraintes de service public. Les régions assurant de leur côté le pilotage des TER, l’entreprise publique, fortement soutenue par le gouvernement, ne voit plus la nécessité de maintenir ces lignes régionales, dernières survivances du service public d’antan. Il faut bien préparer la SNCF à devenir une entreprise concurrentielle et sans doute, à terme, privatisée.
Mettant en avant son déficit, celle-ci a donc annoncé son intention de fermer les vingt-deux lignes ferroviaires interrégionales et huit lignes de nuit qui subsistent encore à la fin de 2015, si rien n’était fait. La charge, a expliqué la direction de l’entreprise ferroviaire, est devenue insupportable : de 100 millions d’euros en 1990, le déficit s’élève à 340 millions d’euros, compensé par des subventions de l’État. « Si rien ne vient arrêter le mouvement, le déficit risque d’atteindre 500 millions d’euros dans les prochaines années », prédit Philippe Duron.
L'exemple britannique
Un service dégradé, un endettement colossal, des élus qui s’inquiètent de voir disparaître des liaisons essentielles pour l’aménagement du territoire : tous les ingrédients sont réunis pour pousser à la « réforme » et s’attaquer au démantèlement d’un des derniers services publics nationaux français, honnis par notre élite néolibérale depuis des années.