Un nouvel accord pour Athènes qui est le plus mauvais possible et ne résout rien
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Par Ambrose Evans-Pritchard
Comme les Bourbons Napolitains – gentils en comparaison – les dirigeants de la zone Euro n’ont rien appris et rien oublié.
La cruelle capitulation imposée à la Grèce après 31 heures de torture diplomatique n’offre aucune sortie concevable à la crise perpétuelle du pays. Les termes en sont infiniment plus durs que ceux rejetés par les électeurs grecs lors du référendum triomphal une semaine auparavant et ne pourront donc jamais obtenir d’approbation démocratique.
Ils doivent être entérinés par un parlement grec toujours dominé par des députés de gauche et de droite qui détestent chaque ligne de la déclaration du sommet, l’infâme SN 4070/15 et ont seulement accepté – si tant est qu’ils l’aient fait – le couteau sous la gorge.
Les inspecteurs de l’Union économique et monétaire peuvent mettre un veto aux lois. L’émasculation du parlement grec a été glissée dans le texte. Il ne manque plus qu’une unité de gendarmes de l’Union économique et monétaire.
De tels termes sont inapplicables. Les créanciers ont cherché à rendre le nouveau mémorandum définitif en transférant 50 milliards d’euros d’actifs grecs “à un fonds indépendant qui monétisera les actifs par des privatisations et d’autres moyens”. Il sera utilisé en partie pour régler les dettes.
Ce fonds sera sous “la surveillance” de l’Union européenne. Les finesses cosmétiques de souveraineté seront préservées en laissant les autorités grecques gérer leurs affaires quotidiennes. Personne n’est dupe.
Un Tsipras “crucifié” a capitulé devant des mesures draconiennes après 17 heures de pourparlers achevés tard dans la nuit
Autrement dit, ils saisissent à la source le peu de bijoux restants de la Grèce. Ceci n’est pas vraiment différent du Comité International pour la Gestion de la Dette Grecque en 1898 imposé à la Grèce après que le pays eût fait faillite à la suite d’une guerre balkanique désastreuse.
Une ligue de six grandes puissances détentrices d’obligations, menée par des banquiers britanniques, confisquèrent les droits de douane dans le Port du Pirée, saisirent les revenus issus des droits de timbre, du tabac, du sel, du kérosène et jusqu’aux droits sur les cartes à jouer. Mais au moins il n’y eut aucune tromperie sur la solidarité et l’aide à la Grèce en cette occasion.
“C’est le Traité de Versailles d’aujourd’hui,” a dit M. Varoufakis ce matin, me parlant depuis sa maison sur une île de la mer Égée.
Selon les nouveaux termes de l’accord, la Grèce doit resserrer son budget d’environ 2% de son PIB dès l’année prochaine, poussant le pays plus loin dans une spirale de déflation-dettes et dans l’étape suivante de sa dépression de six ans.
Cela aura pour résultat que le gouvernement manquera les objectifs budgétaires encore une fois – probablement de beaucoup – dans une répétition exacte de la politique d’auto-faillite qui a rendu hors de contrôle la dynamique de la dette grecque dans les deux derniers ensembles de prêts de la Troïka.
Comme le Fonds Monétaire International l’a reconnu dans son célèbre mea culpa, si vous méjugez le multiplicateur fiscal et forcez l’austérité au-delà de la dose thérapeutique, vous aggravez les choses. Le ratio dette/PIB s’accroît malgré les coupes dans les dépenses.
Les dirigeants de l’UEM ont une réponse. Comme les courtisans de Knut le Grand, ils ordonneront simplement que les vagues refluent. Le texte déclare qu’en plus des diminutions des retraites et des augmentations des impôts il doit y avoir “des réductions de dépenses quasi automatiques en cas d’écarts par rapport aux objectifs des excédents primaires ambitieux”.
Autrement dit, ils seront forcés de mettre en œuvre des politiques restrictives pro-cycliques. La dérive fiscale qui a agi comme un léger amortisseur pendant les cinq dernières années ne sera pas tolérée cette fois.
A propos des demandes de l’UEM, l’économiste américain et Prix Nobel Paul Krugman déclare “cela va au-delà de l’intransigeance, c’est une vindicte”
Et n’oublions pas que ces excédents primaires n’ont jamais eu aucun sens en premier lieu. Ils n’ont pas été établis sur la base de l’analyse macro-économique. Ils ont été inclus dans des accords antérieurs car c’est ce qui serait nécessaire – ceteris paribus – pour faire croire que la dette est supportable et donc pour que le FMI accorde son financement. Quelle blague !
L’économiste Nobel Paul Krugman dit que les demandes de l’UEM sont “de la folie” à tous les niveaux. “Ce que nous avons appris pendant ces deux dernières semaines, c’est qu’être membre de la zone Euro signifie que les créanciers peuvent détruire votre économie si vous déviez de la norme. Ceci n’a absolument aucun rapport avec les sous-jacents économiques de l’austérité”, a-t-il dit.
“Cela dépasse l’intransigeance et devient pure vindicte, destruction complète de la souveraineté nationale, sans espoir d’apaisement. C’est probablement conçu pour que la Grèce ne puisse l’accepter ; mais quand même, c’est une trahison grotesque de tout ce que le projet européen a supposé signifier”, a-t-il dit.
Oui, Syriza a flanché, mais il y a beaucoup de chapitres encore à écrire dans cette misérable histoire.
Les banques grecques sont sur le point de s’écrouler. Il ne reste même pas assez d’argent pour couvrir les retraits aux distributeurs automatiques de 60 € par jour durant cette semaine, ou couvrir les paiements hebdomadaires de 120 € aux retraités et aux chômeurs – c’est-à-dire la minuscule fraction des chômeurs qui reçoit quelque chose.
Le contrôle des capitaux a mené à un arrêt de l’économie. Presque rien n’entre dans le pays. Les sociétés consomment leurs derniers stocks de matières premières et d’importations essentielles. Des centaines d’usines, des moulins et des unités de fabrication ont déjà réduit leurs équipes et se préparent à débrayer dès cette semaine.
Les dernières réservations touristiques se sont effondrées de 30%. Syriza a fait face à un sérieux risque du pays d’épuisement des stocks de produits alimentaires importés dès la fin de ce mois, avec des conséquences catastrophiques au sommet de la saison touristique. Ainsi oui, face à l’horreur complète de ce qui se passe, ils ont reculé.
Pas besoin d’être un oracle pour voir que la Grèce va au-devant de plus de problèmes
Il n’y a aucun doute que Syriza a vendu un programme trompeur au peuple grec avec ses promesses incompatibles de déchirer le mémorandum de la Troïka et de garder la Grèce dans l’euro. Ils ont appris une horrible leçon.
Pourtant c’est seulement la moitié de l’histoire. Nous avons aussi vu le pouvoir des créanciers de l’UEM mettre un pays à genoux en coupant la liquidité de secours (ELA) au système bancaire.
Il n’y a aucun doute, c’est la décision de la Banque Centrale Européenne de geler l’ELA à 89 milliards d’euros il y a deux semaines qui a précipité la crise finale et a détruit la volonté de résister de Syriza. Les responsabilités sur cet épisode sont confuses. Personnellement, je n’accuse pas Mario Draghi de la BCE pour cet abus de pouvoir. C’était en substance une décision politique prise par l’Euro-groupe.
Mais de quelque manière qu’on le déguise, le fait demeure que la BCE a dicté par ses actes un règlement politique et servi de bras armé aux créanciers au lieu de faire respecter la loi du traité de l’UE.
Elle a adopté une attitude qui a déstabilisé encore plus le système financier d’un état membre de l’UEM qui avait déjà de graves ennuis, et l’a vraisemblablement fait en enfreignant son premier devoir fixé par les traités, celui de maintenir la stabilité financière. C’est un moment crucial.
Ce que nous avons tous vu avec une grande clarté est que les pouvoirs des créanciers de l’UEM peuvent soumettre un état indiscipliné – à condition qu’il soit petit – en bloquant son système bancaire. Nous avons aussi vu qu’un petit pays n’a pas la moindre défense. C’est le pouvoir monétaire pris d’une folie furieuse.
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Et comme si cela ne suffisait pas, le premier ministre grec Alexis Tsipras ne peut même pas se prévaloir auprès des Grecs d’avoir garanti l’allègement des dettes, la seule chose qui aurait pu le sauver. Même cela, l’Allemagne l’a bloqué.
Elle a agi ainsi malgré la pression conséquente de la Maison-Blanche et du FMI et bien que la France, l’Italie et les dirigeants de la Commission de l’UE et du Conseil admettent qu’une forme de réduction soit nécessaire.
Le FMI dit que l’allègement des dettes doit être d’au moins 30% du PIB. Même cela est trop bas. Étant donné les dégâts faits par six ans d’implosion économique, une décennie d’investissements perdue, une hystérésis chronique, un chômage des jeunes à 50% ou plus, une fuite des cerveaux diplômés et un système bancaire ruiné, ce serait encore insuffisant si toute la dette était annulée. Voilà ce que cette expérience de l’UEM a fait au pays. [L'hystérésis caractérise un système tendant à rester dans le même état après qu'ait cessé la cause extérieure ayant produit cet état, NdT]
Mais tout ce que les Grecs obtiennent n’est que vagues propos sur une “possible” extension des maturités, quelque part dans l’avenir, une fois qu’ils auront sauté à travers d’innombrables cerceaux et réussi leurs examens. C’est ce que l’on leur avait promis en 2012. Ce n’est jamais arrivé.
“Si les détails de l’allègement de la dette ne sont pas écrits clairement dans le plan global, cela ne vaut rien”, a dit M. Varoufakis.
Le document du sommet affirme avec une malhonnêteté égoïste que la dette de la Grèce a déraillé en raison de l’échec des gouvernements grecs à respecter les termes du Mémorandum au cours de l’année dernière. Si ceci n’était pas arrivé, la dette serait toujours soutenable.
C’est un mensonge. La dette publique a gonflé à 180% vers la fin de l’année dernière – bien avant que Syriza ne soit élu – et bien que le gouvernement de Démocratie Nouvelle ait respecté la plupart des demandes de la Troïka.
La vérité est que la Grèce était déjà en faillite en 2010. Les créanciers de l’UEM ont refusé d’accorder une restructuration normale de la dette parce que cela aurait provoqué une contagion instantanée au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie à un moment où la zone Euro n’avait aucun prêteur en dernier ressort ni aucune défense.
Le chef brisé de Syriza doit vendre un accord qui laisse la Grèce dans un piège de dettes permanentes
Les documents divulgués du FMI ne laissent aucun doute quant au fait que le sauvetage avait pour but de sauver l’euro et les banques européennes, pas la Grèce. Plus de dette a été déversée sur les contribuables Grecs pour gagner du temps, tant en 2010 que de nouveau en 2012, en mettant de côté la crise à laquelle l’Europe fait face aujourd’hui.
Dans une façon étrange, le seul politicien européen qui offrait vraiment à la Grèce une sortie de l’impasse était Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, même si son offre a été faite d’une façon inélégante, presque sous la forme d’un diktat.
Son plan pour un retrait adouci de l’Euro-zone pour 5 ans – un euphémisme, car il voulait vraiment dire Grexit – avec un allègement des dettes de type Club de Paris, une aide humanitaire et un ensemble de mesures de croissance, pourrait permettre à la Grèce de regagner d’une façon ordonnée de la compétitivité avec la drachme.
Une telle formule impliquerait l’intervention de la BCE pour stabiliser la drachme, empêchant une spirale de baisse incontrôlée et dangereuse. Cela aurait certainement été mieux que le document atroce que M. Tsipras doit maintenant rapporter à Athènes.
Le chef brisé de Syriza doit vendre un accord qui laisse la Grèce dans un piège de dettes permanentes, sous un contrôle néocolonial, et si fragile économiquement qu’il est quasi assuré d’éclater en une nouvelle crise à la prochaine récession mondiale ou européenne.
A ce moment-là, tout le monde accusera de nouveau les Grecs, injustement, et nous aurons encore une autre manche d’amères négociations, jusqu’à ce que quelque chose casse finalement ce cycle sinistre d’échec et de récriminations.
L’accord laissera la Grèce économiquement si fragile qu’il est quasi certain qu’il éclatera en une nouvelle crise à la prochaine récession mondiale
Pour la zone Euro cet “accord” est le pire possible. Ils n’ont rien résolu. L’Allemagne et ses alliés ont pour la première fois essayé d’éjecter un pays de l’euro et, ce faisant, ont violé le caractère sacré de l’union monétaire.
Au lieu d”aller de l’avant, dans ces temps de crise profonde, vers une union fiscale et politique pour maintenir ensemble l’euro – comme les architectes de l’UEM l’avaient toujours prévu – ils ont fait machine arrière.
D’un même coup ils ont converti la zone Euro en un système de change fixe, un Mécanisme de Taux de Change renouvelé (ERM) qui est en soi instable, soumis au caprice et à la merci de politiciens populistes qui font du théâtre pour leurs électeurs. Les marchés commencent déjà à l’appeler ERM3.
Dans les jours prochains je reviendrai sur le comportement de l’Allemagne et sur le désastre diplomatique auquel on a assisté. Pour le moment, j’aimerais seulement citer le verdict de l’historien Simon Schama. Il a dit :
“Si Tsipras portait la couronne du Roi Pyrrhus la semaine dernière, c’est Merkel qui la porte maintenant. Son ultimatum est le début de la fin de l’UE”, a-t-il dit. Exactement.
Crise en Grèce : ce qui est arrivé depuis le référendum
Dimanche 5 juillet
La Grèce dit “non”
L’électorat grec rejette les conditions d’un accord de renflouement, avec 61,31% de “non”, renforçant le premier ministre Alexis Tsipras qui déclare que ce vote “n’est pas un mandat de rupture avec l’Europe, mais un mandat qui renforce notre capacité de négociation pour aboutir à un accord viable”.
Lundi 6 juillet
Le ministre “rock-star” démissionne
Yanis Varoufakis démissionne de ses fonctions de ministre des finances de la Grèce pour améliorer les relations avec les créanciers de l’Euro-zone. Il est remplacé par Euclide Tsakalotos, qui a dirigé les discussions avec les créanciers de l’Union Européenne et du FMI. La BCE maintient un flux de liquidités vital vers les banques grecques mais avec des condition durcies.
Mardi 7 juillet
Les Grecs se présentent les mains vides
Les ministres des finances de l’Euro-zone se rencontrent à Bruxelles avant un sommet extraordinaire des chefs d’état et de gouvernement de l’Euro-zone. Les deux rencontrent s’achèvent sans une proposition détaillée du gouvernement grec. Il est donné à Athènes jusqu’à jeudi pour présenter un programme de réformes convaincant.
Mercredi 8 juillet
“Dernier appel”
Tsipras déclare au parlement européen que la Grèce présentera dans les 24 heures un plan “crédible” alors que le président de l’UE Donald Tusk prévient les parlementaires : “C’est vraiment le dernier appel pour la Grèce et, pour nous, notre dernière chance.” Athènes soumet formellement la demande d’une nouvelle aide au fonds de stabilité de l’Euro-zone et propose des réformes des retraites et de la fiscalité en échange d’un prêt de trois ans de l’Euro-zone.
Jeudi 9 juillet
Mieux vaut tard que jamais
Après que la chancelière allemande Angela Merkel ait répété qu’elle s’oppose à une décote sur la dette, la Grèce soumet à Bruxelles un nouveau plan de sauvetage, deux heures avant la date-butoir à minuit.
Vendredi 10 juillet
Non, mais oui
Athènes détaille les nouvelles propositions, qui ressemblent de près à celles soumises par les créanciers internationaux de la Grèce le mois précédent. La Grèce y accepte de se plier aux exigences des créanciers de décourager les retraites anticipées, de relever les cotisations de santé, d’augmenter les taxes, de vendre les parts de l’état dans le géant des télécoms OTE et de privatiser les ports du Pirée et de Thessalonique.
Samedi 11 juillet
Un Grexit temporaire ?
Une réunion des ministres des finances de la zone euro s’achève par de profondes divisions sur la confiance à accorder à Tsipras pour un troisième plan d’aide de plus de 80 milliards d’euros. Un document du ministère des finances allemand indique que Berlin attend bien plus d’engagements concrets de la Grèce, faute de quoi la Grèce devrait quitter la zone euro pendant cinq ans jusqu’à ce qu’elle ait remis les choses en ordre.
Dimanche 12 juillet
Les choses se gâtent
L’UE annule un sommet des 28 à Bruxelles pour décider si la Grèce devrait rester dans l’euro. Il est remplacé par un sommet des 19 dirigeants de l’Euro-zone, où il est demandé à Athènes de faire passer de nouvelles réformes dans la semaine.
Lundi 13 juillet
“A-grec-ment”
Tusk annonce que le sommet est parvenu à un accord unanime sur un “plan pour la Grèce avec d’importantes réformes et un soutien financier”. Un document de 7 pages révèle ses termes : hausse de la TVA et baisse des retraites, mais avec 50 milliards d’euros de privatisations dont une partie sera affectée à des initiatives de croissance. Athènes doit aussi réorganiser son système de justice civil et aligner ses lois bancaires sur le reste de l’UE.
Source : The Telegraph, le 13/07/2015
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.