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Le blog de Lucien PONS

Pour la Turquie, l'ennemi est kurde. Combattre Daesh n'est pas une priorité

31 Juillet 2015 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #La Syrie - La Libye - l'Iran -, #La guerre en Syrie - depuis le 20 août 2013, #AMERIQUE, #Europe supranationale, #Daesch, #ISIL, #La mondialisation, #La France, #Terrorisme, #L'OTAN.

Pour la Turquie, l'ennemi est kurde. Combattre Daesh n'est pas une priorité

LE PLUS. Après une période d'accalmie, l'armée turque a repris son offensive contre les rebelles kurdes la semaine dernière. Ce combat va-t-il aussi changer quelque chose dans la lutte contre Daesh ? Pour Olivier Hanne, islamologue, rien ne bougera, que ce soit en Syrie ou en Turquie.

Édité par Justine De Almeida  Auteur parrainé par Thomas Flichy de La Neuville

 

Un policier turque après un attentat du PKK le 22/07/15 (CHINE NOUVELLE/SIPA)

 

Malgré les apparences en France, la Turquie est d’une grande cohérence et conserve la même ligne stratégique depuis deux ans : l’ennemi du Moyen-Orient est kurde, et l’État islamique est un danger secondaire, qui sera vite réglé.

 

La fragilisation du monde kurde, objectif premier de la Turquie

 

Dès le départ de la crise syrienne en 2011, Ankara a appuyé la rébellion et l’ASL (Armée Syrienne Libre) contre Bachar al-Assad, son ennemi de toujours. Ce soutien renvoie à une stratégie d’influence visant à reconquérir les marges méridionales ayant jadis fait partie de l’Empire ottoman et perdues en 1920.

 

Un autre contentieux entre Ankara et Damas concerne le Sandjak d’Alexandrette, une étroite bande de terre rattachée à la Turquie en 1939 et dont les habitants sont turcophones mais autrefois syriens et favorables à al-Assad.

 

La formation des troupes de l’ASL par des officiers turcs et l’hébergement de leur base principale à Hatay est aussi une réponse au soutien inconditionnel de Damas au PKK, le parti indépendantiste kurde qui mène des actions terroristes depuis 1984 dans le sud-est de la Turquie.

 

La guerre entre les forces turques et kurdes a fait 40.000 morts en 30 ans. Malgré l’amélioration des relations entre Ankara et le PKK depuis 2012, la fragilisation du monde kurde reste un objectif pour la Turquie afin de préserver l’intégrité de son espace national.

 

Les Kurdes entièrement mobilisés contre Daesh

 

Très implantés dans l’est et le sud du pays, les Kurdes ont profité de l’implosion conjointe de la Syrie et de l’Irak pour gagner en autonomie.

 

Le PYD, le parti kurde de Syrie, lié au PKK, a joué une partition des plus fines auprès de Bachar al-Assad en se désengageant du conflit dès juillet 2012 après avoir négocié avec lui l’autonomie de trois enclaves kurdes à la frontière turque. Depuis lors, les Kurdes se sont retournés contre toute entité voulant remettre en cause cette avancée.

 

Sans parler d’un soutien direct à l’EI et aux djihadistes de Syrie, la Turquie depuis 2011 leur a servi de plateforme logistique, faisant dire aux Iraniens que "Daesh utilisait la Turquie comme un hôtel".

 

Grâce à l’EI, la Turquie a vu se développer tout au long de sa frontière méridionale des abcès de fixation pour ses ennemis kurdes, dont les forces sont entièrement mobilisées contre Daesh.

 

 

 

Une offensive efficace contre Bachar al-Assad mais inutile contre Daesh

 

L’attentat du 20 juillet 2015 fomenté par l’organisation terroriste contre la Turquie peut faire croire à un retournement général de la situation, puisque les troupes turques ont frappé des positions de Daesh. Or, il n’en est rien.

 

Comme Ankara l’avait fait le 14 octobre 2014 en tirant sur les partisans du PKK, la Turquie va relancer son combat contre les Kurdes en rouvrant le front intérieur (arrestations de militants kurdes de Turquie, interdictions des manifestations, exécutions...), et en profitant des maladresses américaines sur le front extérieur.

 

Le président Erdogan plaide depuis un an pour la mise en place de zones-tampons sur sa frontière avec la Syrie et l’Irak, afin de sécuriser ces zones et mieux prendre en charge les réfugiés. Mais cet objectif humanitaire autoriserait l’armée turque à intervenir de l’autre côté de sa frontière et à y fortifier ses positions.

 

Or, le 28 juillet, les États-Unis se sont mis d’accord avec la Turquie pour instaurer une "ISIS-free zone" en Syrie. Il s’agira d’un espace d’exclusion aérienne, garanti par les États-Unis, et d’où Ankara s’engage à expulser Daesh.

 

À terme, cette initiative aura plusieurs conséquences :

 

-Elle autorisera la Turquie à intervenir contre les Kurdes en dehors de ses frontières,

 

-Elle donnera à Ankara l’hégémonie sur ces zones qu’elle convoite depuis un siècle,

 

-Elle accélérera le déclin militaire de Bachar al-Assad, puisque l’exclusion aérienne concernera essentiellement son aviation,

 

-Elle ne garantira nullement l’affaiblissement de Daesh, puisque la Turquie n’a pas la volonté d’aller au-delà de l’objectif de la sécurisation de ses frontières.

 

Il n’y a donc aucun retournement majeur au Moyen-Orient depuis une semaine, mais une confirmation des tendances lourdes de la politique de chacun des acteurs.

 

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