Contribution à la compréhension du concept de «Monde Russe», ce texte a été publié le 24 juin 2015 sur le blogue russophone «no globalism». Il est introduit par le commentaire suivant : Si l’on ne prend pas en compte la chute de l’Empire de Russie et le démembrement de l’URSS, la perte territoriale la plus célèbre, encourue par la Russie, et qui fut également la plus importante, est celle de l’Alaska. Mais notre pays a perdu d’autres territoires. Nous nous en souviendrons brièvement ici.
1.Le Littoral Sud de la Caspienne (1723-1732)
Grâce à sa victoire sur les Suédois, Pierre Ier perça une «fenêtre sur l’Europe». Il entreprit par ailleurs d’en percer une autre vers l’Inde. En 1722-1723, il entama à cette fin une randonnée dans la Perse, ravagée par les guerres intestines. Le fruit de cette randonnée consista en ce que tout le littoral méridional et occidental de la Mer Caspienne se retrouva sous la domination de la Russie. Mais la Transcaucasie, ce ne sont pas les Pays baltes ; la conquête de ces territoires s’avéra beaucoup plus facile que celle des possessions baltes de la Suède, par contre s’y maintenir fut beaucoup plus difficile. L’armée russe frappée par les épidémies et harcelée par les montagnards, perdit la moitié de ses effectifs. Exténuée par les guerres et les réformes de Pierre, la Russie fut incapable de payer le prix d’une acquisition aussi coûteuse, et en 1732, ces territoires furent repris par la Perse.
2.Prusse Orientale ((1758-1762)
En résultat de la Seconde Guerre Mondiale, une partie de la Prusse Orientale et Koenigsberg revinrent à la l’URSS. Il s’agit aujourd’hui de Kaliningrad et de l’oblast qui porte le même nom. Mais jadis il fut un temps où déjà ces terres firent partie de la Russie. En 1758, alors que sévissait la Guerre de Sept ans (1756-1763), l’armée de Russie occupa Koenigsberg et l’entièreté de la Prusse Orientale. Un oukase de l’Impératrice Élisabeth fit de la région un gouvernorat général, et les membres de la population prussienne prêtèrent serment en qualité de sujets russes. Le célèbre philosophe Emmanuel Kant fut sujet de Russie. On conserve une lettre dans laquelle le fidèle sujet de la couronne de Russie, Emmanuel Kant sollicite de la part de l’Impératrice Élisabeth Petrovna la charge de professeur ordinaire. Le décès inopiné d’Élisabeth Petrovna en 1761 changea le cours des choses. Le trône de Russie fut occupé par Pierre III, dont les sympathie envers la Prusse et son Roi Friedrich étaient bien connues. Il remit à la Prusse toutes les conquêtes opérées par la Russie au cours de cette guerre, et retourna les armes contre ses alliés. Catherine II, qui renversa Pierre III, fit montre de tout autant de sympathie envers Friedrich, confirmant les accords de paix et en particulier, la restitution de la Prusse Orientale.
3.En Méditerranée : Malte (1798-1800) et les Îles Ioniennes (1800-1807)
En 1798, en chemin vers l’Égypte, Napoléon mis à sac l’Île de Malte, sur laquelle régnait l’Ordre des Chevaliers hospitaliers, fondé dès l’époque des croisades. Se relevant de la dévastation, les chevaliers élurent l’Empereur de Russie Paul Ier en qualité de Grand Maître de l’Ordre. Le blason de l’Ordre fut intégré aux armoiries de l’État de Russie. Ce fut le seul signe extérieur signifiant que l’île se trouvait sous la souveraineté de la Russie. En 1800, les Anglais prirent Malte. A la différence de la domination plutôt formelle de l’Île de Malte, le pouvoir de la Russie s’exerça de façon nettement plus réelle sur les Îles Ioniennes, toutes proches des côtes grecques. En 1800, l’escadre russo-turque, sous le commandement de l’Amiral Ouchakov conquit l’Île de Corfou, fortifiée par les Français. On fonda la République des Sept Îles, officiellement sous protectorat turc, mais en réalité sous administration russe. Lors de la Paix de Tilsit, signée en 1807, l’Empereur Alexandre Ier céda secrètement les îles à Napoléon.
4.La Roumanie (1807-1812, 1828-1834)
Ce fut en 1807 que, pour la première fois, la Roumanie, ou plus précisément les deux royaumes distincts de Moldavie et de Valachie, passèrent sous la souveraineté de la Russie, pendant l’épisode 1806-1812 des guerres russo-turques. La population des deux royaumes prêta serment de fidélité à l’empereur, et tous ces territoires furent administrés par la Russie. Mais en 1812, l’invasion de Napoléon obligea la Russie à conclure à la hâte un traité de paix avec la Turquie, et dans ce contexte, au lieu des deux royaumes, elle dû se satisfaire de la seule Bessarabie (aujourd’hui appelée Moldavie), partie orientale du Royaume de Moldavie.
Le pouvoir de la Russie fut de nouveau établi sur les deux royaumes au cours de la guerre russo-turque de 1828-1829. Une fois la guerre terminée, les troupes furent maintenues dans ces territoires et les deux royaumes furent à nouveau administrés par la Russie. De plus, Nicolas Ier, alors qu’il éteignait à l’intérieur de la Russie même toute velléité d’accéder à certaines formes de liberté, décida d’octroyer une constitution à ses nouveaux territoires. Il est vrai qu’elle porta l’appellation de «règlement organique» ; pour Nicolas Ier, le terme même de constitution revêtait un caractère par trop «séditieux». La Russie aurait volontiers transformé la Moldavie et la Valachie sur lesquelles elle exerçait son pouvoir, de jure. Mais sur le plan concret, l’Angleterre, la France et l’Autriche l’en empêchèrent et en 1834, l’armée russe se retira de ces territoires. Finalement, la Russie perdit toute influence sur les deux royaumes après sa défaite lors de la guerre de Crimée.
5.Kars (1877-1918)
En 1877, au cours de l’épisode 1877-1878 de la guerre russo-turque, Kars fut prise par l’armée de Russie. Lors du Traité de San Stefano, Kars et Batoumi, entre autres, revinrent à la Russie. De nombreux colons russes vinrent s’établir dans l’oblast de Kars. La construction de la ville fut mise en œuvre selon des plans élaborés par les architectes russes. De nos jours encore, avec ses rues au tracé strictement parallèle et perpendiculaire, ses bâtiments caractéristiques de la Russie de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, Kars contraste nettement avec l’urbanisme chaotique des villes turques environnantes. Kars rappelle très fort les anciennes villes de Russie. Par le Traité de Brest-Litovsk, les bolcheviques cédèrent Kars à la Turquie.
6.La Mandchourie (1896-1920)
En 1896, la Chine octroya à la Russie le droit de construire un chemin de fer à travers la Mandchourie, afin de relier la Sibérie et Vladivostok : la voie ferrée chinoise/orientale. Les Russes reçurent le droit d’affermer une bande de territoire de chaque côté de cette voie ferrée. De façon concrète, la construction de cette ligne fit de la Mandchourie un territoire dépendant de la Russie, sous administration russe, occupée par l’armée russe, surveillée par la police russe, la justice étant aux mains de tribunaux russes. Dès lors, les colons russes y accoururent. Le gouvernement de Russie commença à examiner un projet consistant à intégrer la Mandchourie au sein de l’Empire, sous l’appellation de « Russie-jaune ». Suite à la défaite de la Russie lors de la guerre russo-japonaise, le Sud de la Mandchourie passa dans la sphère d’influence du Japon, et après la révolution, l’influence russe en Mandchourie se mit à décroître. Finalement, en 1920, les troupes chinoises occupèrent les établissements russes, y compris Harbin, et la voie ferrée, mettant ainsi un terme au projet de « Russie jaune ».
7.Port-Arthur, la soviétique. (1945-1955)
En raison de l’héroïque défense de Port-Arthur, beaucoup de gens se souviennent que cette ville fit partie de l’Empire de Russie jusqu’à la défaite de celui-ci lors de la guerre russo-japonaise. Mais le fait que Port-Arthur fit, un temps, partie de l’URSS est beaucoup moins connu. En 1945, après la défaite de l’armée japonaise du Guandong, un accord signé avec la Chine rendit Port-Arthur à l’Union Soviétique pour trente ans, en qualité de base navale. En 1952, l’URSS et la République Populaire de Chine s’entendirent pour remettre la ville à cette dernière. Et à la demande de la partie chinoise, compte tenu de la tension qui caractérisait la situation internationale autour de la guerre de Corée, les forces armées soviétiques continuèrent à occuper Port-Arthur jusqu’en 1955.
Les sept illustrations proviennent de l’article original, accessible ci-dessous.
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