Quand on ne peut pas faire tomber une forteresse par les armes, on empoisonne ceux qui se trouvent à l’intérieur au moyen d’une fausse idéologie satisfaisant en apparence les complexes et desiderata des personnalités enrôlées. Tout comme l’islamo-salafisme participe au déploiement de la doctrine Bush en jouant la carte de l’obscurantisme religieux, l’ultra-nationalisme de type bandériste est aujourd’hui un élément constitutif de la stratégie ukrainienne des USA. Son instrumentalisation a contribué à détourner l’Ukraine et l’UE de la Russie, à ruiner jusqu’au bout un Etat européen aux frontières de la Fédération de Russie, à engager une guerre sanglante et en fait insensée dans une immense région industrielle russophone, à enfermer les régions voisines dans la peur et le déni de leurs convictions, enfin, à ressusciter les démons ancestraux de ce qui fut à une époque très éloignée la Galicie-Volhynie.
Ne soyons pas dupes et restons sur nos gardes car il ne s’agit que d’une des nombreuses facettes d’un plan d’encerclement de la Russie déjà connu à la veille de l’opération Barbarossa comme étant le plan irrédentiste d’un des gourous nazis, Alfred Rosenberg, et décrit d’une manière très exacte dans la “Loi 86-90″ votée par le Congrès américain le 17 juillet 1959. Presque soixante ans plus tard, Washington reste fidèle à des prescriptions articulant tout un mode d’emploi détaillé servant à contrer l’expansion impérialiste des vilains Rouges en redonnant aux peuples opprimés l’indépendance à laquelle ils aspirent. Plus clairement, il s’agit d’arracher des territoires acquis à la cause communiste en les faisant passer sous la houlette d’Oncle Sam. On se moque éperdument de savoir si les peuples visés veulent oui ou non adhérer aux valeurs de la Pax Americana et à ses fondements a priori manichéens. Un a priori similaire se retrouve dans le plan Rosenberg qui oppose platement les vices du judéo-bolchevisme aux vertus de l’aryanisme: même raccourci que celui qui opposerait à l’heure actuelle les démocraties (autoproclamées) occidentales, infaillibles et vertueuses par définition, aux dictatures sanglantes d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Europe de l’Est. La Biélorussie, plus souvent appelée “Belarus” ou Russie blanche dans les livres d’Histoire contemporains, ne fait pas exception. Je vous invite à découvrir l’excellent article de compilation de Jean-Christophe Emmenegger, sur Sept.info, dans lequel on peut voir des extraits de la Public Law 86-90 traduits en français. La “White Ruthenia” y est explicitement mentionnée: “Il est vital pour la sécurité nationale des USA de maintenir vivant le désir de liberté et d’indépendance de la majorité des individus [des] nations conquises (…)”. Ces pays conquis, les voici: “Pologne, Hongrie, Lituanie, Ukraine, Tchécoslovaquie, Lettonie, Estonie, Russie blanche (White Ruthenia), Roumanie”, etc.
Ladite énumération remonte à 1959 et s’inscrit par conséquent dans un contexte de guerre froide. Comment se fait-il que nous y soyons encore en 2015? Cette question est bien sûr aussi rhétorique que celle qui consiste à s’interroger sur la non-dissolution de l’OTAN malgré la dissolution du Pacte de Varsovie. Si la stratégie Rosenberg visait à couper l’URSS ou ce qu’il aurait pu en rester de la Baltique et de la mer Noire, la stratégie néoconservatrice américaine va dans le même sens en poussant son ambition jusqu’à absorber des pays de près ou de loin hostiles à l’unipolarité américaine et/ou alliés de la Russie. C’est ce que nous découvrons à travers le discours d’Obama prononcé en juillet 2014 à l’occasion de la 56ème Semaine des nations opprimées, discours dans lequel il fait référence aux impératifs de la Law 86-90 en les réactualisant.
En ce sens, une tentative d’absorption du Belarus ne saurait se faire attendre suite à la colonisation de l’Ukraine, à la déstabilisation avortée de la Géorgie, de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud ainsi que sur fond de menaces récurrentes contre la Transnistrie. Vous me direz que le Belarus se porte bien mieux que l’Ukraine, que l’ultra-nationalisme belarus est tout ce qu’il y a de plus marginal et que Loukachenko n’est pas sujet aux velléités de Ianoukovytch. C’est vrai. Néanmoins, n’oublions pas que les slogans du Maïdan ont très vite été détournés de leur portée initiale. Il s’agissait d’une contestation avant tout sociale naïvement appuyée sur des thèses pro-européistes car on a longtemps fait croire aux masses que l’UE était un Eldorado dans lequel l’oligarchie et la corruption n’existaient pas. N’oublions pas que la décentralisation était aussi une revendication cruciale en cette sombre fin de l’année 2013 et qu’elle s’est retournée en premier lieu contre le Sud-Est ukrainien. Rien n’empêche donc les ONG de type sorosite de jouer sur des revendications sociales comme on en trouve dans tous les pays. Pas besoin d’aller chercher midi à quatorze heures, les limites certaines de la liberté d’expression feront parfaitement l’affaire!
Concrètement: il existe un mouvement contestataire plutôt bien développé, le Front populaire biélorusse “Renaissance” de sensibilité nationaliste. L’un de ses fondateurs, le journaliste Siarhiej Dubaviec, réside depuis 1990 à Vilnius. Je suis récemment tombée sur l’un de ses textes (« Si vous n’êtes pas nationaliste, vous ne valez rien ») qui est un joyau de manipulation factuelle et sémantique sous-tendant un jeu sur les chiffres et les notions. On apprend ainsi que le terme “nationalisme” et le terme “juif” sont proscrits en Russie comme étant des termes tabous alors qu’ils sont à l’honneur dans des pays comme l’Ukraine ou la France, deux pays sainement nationalistes comme le sont tous les pays en principe viables et comme l’est la Russie malgré ses multiples dénis. Deux lignes plus tard, nous apprenons qu’en fait c’est le terme “jid” qui est prohibé en Russie sans que l’on ne sache pourquoi. Pour info, le terme “jid” a en effet été marginalisé sur ordre de Catherine II et correspond grosso modo au terme péjoratif de “youpin”. M. Dubaviec a visiblement du mal à capter la différence comme il a du mal à distinguer le nationalisme français du nationalisme exceptionnaliste galicien qui a par exemple conduit aux atrocités de la Volhynie. Le même genre de confusion se retrouve dans l’appréciation qu’il donne du nombre de belarussophones vers la fin du XIXème siècle en le comparant au nombre de belarussophones actuel: 6 millions de personnes avaient déclaré en 1897 que le Belarus était LEUR langue, autrement dit, qu’ils la maîtrisaient. Depuis, les descendants de ces personnes parlent russe car elles y auraient été forcées. Wikipédia dissipe très vite ce mythe en nous apprenant que 7 millions de Biélorusses sur 9,5 millions disent maîtriser aujourd’hui le biélorusse même s’il est surtout utilisé, comme ce fut toujours le cas, en zone rurale. M. Dubaviec entend donc “libérer” un pays qui est une “région historique autrefois incluse dans de grandes puissances telles le grand Duché de Lituanie ou l’Empire russe, [qui] n’a pris réellement conscience de sa spécificité qu’au XIXème siècle et qui ne fut reconnu par le reste du monde que sous l’URSS” … là encore, merci à Wikipédia que l’on ne saurait soupçonner de russophilie aiguë! Le programme politique du Front populaire biélorusse envisage d’interdire le russe comme 2ème langue officielle du Belarus de la même façon que les autorités putschistes de Kiev avaient voulu interdire le russe dans les régions du Sud-Est. D’ailleurs, ce programme ressemble tellement à celui de Kiev qu’on croirait presque à un copier-coller de ses contradictions: défense des valeurs traditionnelles conformément aux traditions biélorusses, baisse de l’inflation, lutte anti-oligarchique ET, en parallèle, intégration à l’UE et à l’euro. Faudrait savoir!
Ledit mouvement est fortement valorisé par une chaîne TV (diffuse par satellite) BelsatTV dont le lancement en 2007 avait suscité bien des polémiques. Financée par le ministère de l’Intérieur polonais, sa création résulte d’un accord entre la TVP (Telewizja Polska) et le ministère des Affaires étrangères polonais signé le 23 avril 2007. Quoiqu’étant formellement polonaise, l’initiative est épaulée par les USA et l’Irlande, très inquiets du manque d’objectivité qui caractérise les médias biélorusses, surtout quand ils parlent … du Belarus. Des journalistes biélorusses, polonais, lituaniens et tchèques se décarcassent donc pour exorciser le mal bravant les interdits de la “dernière grande dictature européenne”. Imaginerait-on une chaîne de ce genre en France ou, mieux encore, en Arabie Saoudite, l’alliée des USA, de l’UE et de l’OTAN? Certainement pas! Ce sont déjà des démocraties accomplies qui n’ont pas besoin du coup de pouce étasunien!
Comme l’aurait si bien dit le Général de Gaulle, mais de quoi je me mêle? En attendant, les élections présidentielles approchent et il est clair que la plateforme médiatique américano-otanienne édifiée depuis 2007 pourrait avoir des répercussions sur leur déroulement. Les appréhensions de Loukachenko se devinent sans peine et pourraient expliquer sa réserve à condamner le Maïdan et le fait qu’il ne se soit pas rendu au défilé de la Victoire du 9 mai à Moscou. Simplement, le triste exemple de Ianoukovytch l’a bien démontré, on ne peut pas faire plaisir à tout le monde. A un moment donné, il faut savoir choisir son camp et se résoudre à aller jusqu’au bout de ses convictions. Georges W. Bush avait déclaré en 2007 que l'”Amérique travaill[ait] main dans la main avec les nouvelles démocraties au Liberia, en Mauritanie, en Ukraine, en Géorgie et au Kyrgystan”. Sept ans plus tard, l’Ukraine sombrait dans le chaos. Espérons que Minsk en tire toutes les conclusions possibles et que, comme à toute chose malheur est bon, l’exemplarité sanglante du Maïdan serve d’image dissuasive à une opposition pro-biélorusse croyant à tort ne pas pouvoir être manipulée par des forces externes.
Françoise Compoint elated Articles