Fabuleuse enquête de Maxime Chaix sur la Syrie…
Source : maximechaix.info, le 3 novembre 2015.
(Source : DeDefensa.org, 4 novembre 2015)
Ces derniers mois, le secrétaire à la Défense Ashton Carter et le général Lloyd Austin – qui dirige les opérations du Pentagone au Moyen-Orient et en Asie centrale –, ont tous deux reconnu l’échec du programme de formation de rebelles « modérés » pour lutter contre Daech en Syrie. Monsieur Carter a d’abord affirmé devant le Congrès des États-Unis que seulement 60 combattants avaient été formés dans le cadre de cette opération, lancée en 2014 et budgétée à hauteur de 500 millions de dollars ; (1) puis le général Austin a estimé que seuls « 4 ou 5 » hommes entraînés par les militaires états-uniens étaient alors actifs sur le terrain. (2) À la suite d’un ultime revers, ce programme d’entraînement a été « suspendu » puis « réduit » en octobre 2015. (3) La presse internationale est donc unanime sur l’échec de cette politique. Néanmoins, il est possible que les chiffres ridicules avancés par le Pentagone aient eu un impact majeur sur l’opinion publique mondiale, que cet effet soit recherché ou non. En d’autres termes, ils ont certainement contribué à renforcer le mythe de l’« inaction » militaire des États-Unis et de leurs alliés occidentaux pour renverser Bachar el-Assad. (4)
Or, bien que les puissances de l’OTAN et leurs alliés n’aient pas lancé de guerre ouverte contre ce régime, je vais analyser l’implication massive, illégale et clandestine de la CIA dans la déstabilisation de la Syrie, cette politique profonde ayant mobilisé différents services spéciaux moyen-orientaux et occidentaux. (5) Aujourd’hui, nous n’avons aucune idée précise de l’ampleur de cette intervention de l’Agence dans cette guerre civile. Cependant, d’après un article du Washington Post publié en juin 2015, la CIA a mené depuis 2013 contre le régime el-Assad « l’une [de ses] plus grandes opérations clandestines », dont le financement annuel avoisine le milliard de dollars. (6) D’après ce journal, cette intervention secrète – qui aurait notamment permis de former 10 000 rebelles –, s’inscrit dans un « plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie », c’est-à-dire les trois États notoirement connus pour soutenir les factions extrémistes en Syrie. (7) Bien qu’il ait officiellement démarré à l’automne 2013, (8) nous verrons que l’engagement de la CIA dans ce pays avait été lancé en janvier 2012, et qu’il trouve ses origines profondes en 2011, dans le contexte trouble de la guerre de l’OTAN en Libye. (9) Ainsi, je décrirai ce qui s’apparente à une guerre secrète multinationale contre le régime syrien, les opérations de la CIA et de ses alliés étant distinctes du programme lancé en 2014 par le Pentagone afin de former des combattants pour lutter contre Daech. (10)
L’objectif de cet article n’est pas de défendre le régime el-Assad et ses soutiens étrangers, qui partagent une lourde responsabilité dans cette guerre civile meurtrière. (11) Néanmoins, je souhaite démontrer que les principales puissances occidentales – essentiellement les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France –, en sont militairement coresponsables du fait de leurs politiques profondes en Syrie. (12) Le but de cet article n’est pas non plus d’établir une vérité historique encore impossible à déterminer. En effet, j’étudierai essentiellement des opérations clandestines, qui sont protégées par le secret-défense et qui ne sont en principe pas revendiquées par les États qui en sont à l’origine. Or, ces actions confidentielles font parfois l’objet de fuites dans la presse, ou de confirmations officielles plutôt rares et bien souvent imprécises. Ainsi, en me basant sur des informations recoupées, je tenterai de démontrer que l’« inaction » militaire occidentale contre le régime syrien est un mythe entretenu par les médias (13) et les États clandestinement engagés dans ce conflit. Ce mythe déresponsabilise ces gouvernements, puisqu’il leur permet de nier, de déformer ou de minimiser l’ampleur de leurs interventions secrètes dans cette guerre civile (14) – notamment en rejetant la faute de l’essor de Daech et d’al-Qaïda en Syrie sur leurs alliés turcs et pétromonarchiques. Du fait du caractère confidentiel de leurs opérations, mon article relèvera de la « Politique profonde », telle que définie par l’auteur et ancien diplomatePeter Dale Scott : l’étude de « l’ensemble des pratiques et des dispositions politiques, intentionnelles ou non, qui sont habituellement refoulées dans le discours public plus qu’elles ne sont admises. » (15)
Malgré sa clandestinité et la confusion qui en résulte, je tenterai de démontrer en quoi cet engagement massif de la CIA et de services spéciaux alliés dans la déstabilisation de la Syrie pourrait être considéré comme une guerre secrète de grande ampleur, à l’image des politiques profondes de l’Agence au Nicaragua et en Afghanistan dans les années 1980. Et j’expliquerai en quoi cette intervention de la CIA et de ses partenaires a favorisé la montée en puissance de réseaux islamistes que l’Occident est censé combattre, parmi lesquels Daech et le Front al-Nosra, c’est-à-dire la branche syrienne d’al-Qaïda. Mais avant de développer ces arguments, analysons pourquoi le rôle des États-Unis et de leurs alliés occidentaux dans la guerre en Syrie est refoulé, déformé ou minimisé – donc globalement incompris.
Le 21 août 2013, la Ghouta de Damas est frappée par une attaque chimique faisant des centaines de morts, la « ligne rouge » décrétée par le Président Obama en 2012 étant tragiquement franchie. Affirmant détenir des preuves de la culpabilité du régime de Bachar el-Assad, Obama annonce une intervention militaire « punitive » et « limitée », qui aurait en fait été planifiée par son état-major pour être une « frappe monstrueuse ». (16) L’année suivante, une étude du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) montrera que les tirs de roquettes chimiques provenaient d’une zone contrôlée par les rebelles. (17) Cette même année, le grand reporter Seymour Hersh relayera les accusations d’un haut responsable du Renseignement états-unien, qui affirma sous couvert d’anonymat que les services spéciaux turcs, via le Front al-Nosra, auraient perpétré cette attaque chimique pour susciter une intervention militaire directe des États-Unis et de leurs alliés contre le régime el-Assad. (18)
Malgré le franchissement de sa « ligne rouge », le Président Obama décida au dernier moment de demander l’approbation du Congrès pour lancer ces frappes, (19) ce vote ayant été repoussé puis annulé du fait de l’initiative russe de désarmement chimique. En analysant ce revirement, le spécialiste de la Syrie Fabrice Balanche expliqua que l’opposition frontale de la Russie à cette intervention aurait incité Washington à renoncer à attaquer directement le régime el-Assad. (20) Seymour Hersh affirma quant à lui qu’Obama fût dissuadé par son état-major de déclencher les hostilités, ces généraux craignant un embrasement généralisé du Moyen-Orient en cas d’intervention. (21) Quelles qu’en soient les raisons, ce recul présidentiel a renforcé de facto la perception erronée du rôle de l’Occident dans le conflit syrien, puisque les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ne sont pas intervenus directement, c’est-à-direouvertement, dans cette guerre civile.
Or, quelques jours après le revirement d’Obama annoncé le 31 août 2013, le Washington Post rapporta que les services spéciaux des États-Unis « commençaient » à armer les rebelles en Syrie, ce qui était en fait le cas depuis janvier 2012. (22) Néanmoins, les déclarations contradictoires sur la nature « létale » ou « non-létale » du soutien accordé aux rebelles « modérés » se succèderont, semant le trouble dans l’opinion publique et les médias. (23) Quoi qu’il en soit, l’option de l’intervention militaire directe fut abandonnée au profit de l’intensification d’une guerre secrète multinationale, qui trouve ses origines en 2011. (24)
Depuis cette année-là, Washington et ses partenaires occidentaux ont pu dissimuler l’ampleur réelle de leur engagement clandestin dans ce qui est devenu l’échiquier géopolitique syrien. J’ai détecté trois principales raisons expliquant pourquoi cette guerre secrète de la CIA et de ses alliés contre le régime el-Assad est incomprise, refoulée ou ignorée.
Coordonnées depuis des États limitrophes (Jordanie et Turquie), (25) et impliquant de nombreux pays hostiles à Bachar el-Assad, (26) les activités de la CIA visant la Syrie sont peu et mal documentées. Le fait qu’elles soient classifiées empêche les dirigeants états-uniens d’en exposer les détails, comme l’avait rapporté le Guardian en 2014. (27) Leur caractère clandestin est donc une source majeure de confusion, puisque les médias manquent d’informations et les responsables à Washington en parlent peu, et de façon imprécise ou trompeuse. (28) Il en va de même en France et en Grande-Bretagne. (29)
Des sources autorisées, dont Hillary Clinton, ont affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en 2012, (30) passant sous silence les trafics d’armes clandestins de la CIA lancés en janvier de cette année-là avec le Qatar, la Turquie, l’Arabie saoudite et le MI6 britannique. (31) Comme nous le verrons, ces opérations illégales de l’Agence se sont intensifiées en 2013, et elles ont approvisionné « presque exclusivement » des factions jihadistes. (32) Plus récemment, le sénateur John McCain a confirmé que la CIA était active en Syrie, mais il n’a donné aucun détail sur ces opérations. (33) D’autres sources gouvernementales de haut niveau, comme le Vice-président Joe Biden ou l’ancien chef d’états-majors interarmées Martin Dempsey, (34) ont désigné leurs alliés moyen-orientaux comme les financeurs des extrémistes sur le territoire syrien, omettant le fait que la guerre secrète de la CIA dans ce pays a impliqué jusqu’à présent (35) ces mêmes partenaires. Enfin, l’une des principales sources de confusion a été le Président Obama lui-même, puisqu’il a publiquement mis en doute l’efficacité des politiques de la CIA visant à soutenir clandestinement les insurrections – donnant ainsi la fausse impression de ne pas avoir lancé de guerre secrète contre el-Assad en Syrie. (36)
Il s’avère également que, depuis 2012, la plupart des articles de presse ont décrit une intervention limitée et inefficace de l’Agence. (37) Or, tout en alimentant cette notion d’« inefficacité », le Washington Post a révélé en juin 2015 que le coût annuel des opérations de la CIA en Syrie s’élevait à environ un milliard de dollars depuis 2013, et qu’au moins 10 000 rebelles auraient été formés par l’Agence. (38) En septembre 2014, des journalistes de McClatchyDC.com estimaient qu’environ 40 000 combattants étaient alors soutenus par les États-Unis et leurs alliés, en se basant notamment sur des informations du principal commandant de l’Armée Syrienne Libre (ASL). (39) Toujours d’après leWashington Post, ce programme clandestin de la CIA est cofinancé par un nombre indéterminé de milliards de dollars supplémentaires fournis par ses alliés turcs, saoudiens et qataris, qui soutiennent notoirement des groupes jihadistes sur le terrain. (40) Ces informations, que nous étudierons en détail, ne peuvent que bouleverser notre perception de l’engagement des États-Unis et de leurs partenaires dans la guerre en Syrie, et c’est le principal objectif de cet article.
Autre source majeure de confusion : il ne peut être remis en question que la CIA et des services spéciaux occidentaux ont clandestinement armé et soutenu l’opposition décrite comme « modérée » depuis 2011, en coopérant avec leurs alliés moyen-orientaux. (41) Avant d’analyser cette notion controversée de « modération », affirmons d’emblée que l’engagement clandestin de la CIA et de ses alliés dans ce pays n’est pas le seul facteur de la montée en puissance des groupes extrémistes dans cette guerre civile. En effet, le principal expert du terrorisme au sein de la « CIA privée » (42) Stratfor écrivait dès janvier 2013 que,
« [d]ans le paysage chaotique de l’opposition syrienne, la convergence des objectifs et l’efficacité au combat des jihadistes ont fait en sorte que ces groupes attirent un grand nombre de nouvelles recrues. Mais ce ne fut pas le seul facteur de la radicalisation des rebelles syriens. Tout d’abord, la guerre – et en particulier un conflit brutal et interminable –, tend à radicaliser les combattants qui y sont impliqués. Songez à Stalingrad, aux luttes de la guerre froide en Amérique centrale, ou aux épurations ethniques dans les Balkans à la suite de la dissolution de la Yougoslavie ; ce degré d’adversité et de souffrance transforme des personnes neutres en extrémistes. En Syrie, nous avons observé de nombreux musulmans laïcs devenir des jihadistes intransigeants. Ensuite, le manque d’espoir pour une intervention occidentale a supprimé tout élan en faveur d’un ancrage laïc de l’opposition. » (43)
L’auteur de cet article ajouta néanmoins que, « [l]orsque ces facteurs idéologiques furent associés à l’introduction [massive] d’argent et d’armements pour soutenir des groupes jihadistes en Syrie l’année dernière [, c’est-à-dire en 2012], la croissance de ces milices s’est dramatiquement accélérée. Aujourd’hui, ces dernières ne sont pas seulement un acteur majeur sur le champ de bataille, mais elles sont également une force qu’il va falloir prendre en compte à l’avenir. » (44) Cette analyse, sur laquelle nous reviendrons, montrait dès janvier 2013 que les factions extrémistes allaient poser problème sur le long terme, comme en Afghanistan depuis les années 1980. Par ailleurs, elle décrivait déjà une guerre secrète multinationale en Syrie, qui alliait « Washington et Riyad » avec « des États européens » et « des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le Qatar et les Émirats Arabes Unis ». (45) Cependant, les principales puissances occidentales ont toujours affirmé soutenir des rebelles « modérés », et non des milices jihadistes.
Or, en observant deux précédents historiques, la « modération » des groupes armés durant les guerres secrètes de la CIA a été systématiquement invoquée par les autorités et les médias grand public. Le 4 mai 1983, alors qu’il abordait la question du soutien des Contras au Nicaragua, le « Président Reagan déclara (…) que [c]es groupes d’insurgés recevant de l’aide clandestine de la part de [la CIA] étaient des “combattants de la liberté” s’opposant à un gouvernement qui avait trahi ses principes révolutionnaires ». (46) À l’époque, cette expression « combattants de la liberté » était aussi utilisée par la presse et par l’administration Reagan pour décrire les moudjahidines soutenus par l’Agence en Afghanistan. (47) Or, ces derniers et leur réseau de soutien – le Maktab al-Khadamat (MAK) géré par Abdullah Azzam et Oussama ben Laden –, deviendront les talibans et al-Qaïda dans les années 1990. (48) Par ailleurs, les Contras commettront de nombreuses exactions dans la guerre secrète de la CIA au Nicaragua. (49) Aujourd’hui, les médias et les gouvernements occidentaux continuent d’affirmer que les rebelles soutenus par l’Agence et ses alliés en Syrie sont des « modérés ». Or, la prédominance de factions jihadistes dans l’opposition armée ne fait plus aucun doute.
Allant plus loin dans ce raisonnement, de nombreux experts ont affirmé que la distinction entre les « extrémistes » et les « modérés » dans le conflit syrien n’existait plus. En septembre 2014, l’ancien représentant au Congrès Dennis Kucinich avait rédigé cette analyse percutante pour critiquer le programme de formation du Pentagone aujourd’hui interrompu :
« Écrivant sur la connexion entre l’Arabie saoudite et l’État Islamique (EI), l’historien [et ancien officier du MI6] Alastair Crooke a récemment décrit les insurgés “modérés” en Syrie comme étant “plus rares que la licorne des légendes”. Les “modérés” ont conclu un pacte de non-agression avec l’EI. Les “modérés” ont capturé [James Foley,] un journaliste états-unien [,] et l’ont vendu à l’EI, qui l’a décapité. L’Arabie saoudite qui, avec le Qatar, a financé les jihadistes en Syrie, propose désormais de “former” les rebelles. Le Congrès est prié d’avaler cette recette douteuse : les sponsors des jihadistes radicaux vont former des jihadistes “modérés”. (…) Les soi-disant “rebelles” sont des mercenaires qui viennent de plus de 20 pays. Ils s’organisent et se réorganisent constamment en nouveaux groupes, qui offrent leur allégeance à quiconque les paye ou leur fournit des armes – et ce à tout moment. » (50)
Récemment, le grand reporter et spécialiste du Moyen-Orient Richard Labévière a écrit que l’ASL « n’existe plus que sur le papier », expliquant que les rebelles « modérés » avaient été absorbés par le Front al-Nosra. (51) Peu après le lancement de l’intervention russe en Syrie, le célèbre journaliste d’investigation Gareth Porter a affirmé que l’opposition modérée – en tant que force offensive menaçant le régime el-Assad –, n’était qu’un mythe, s’étonnant que les médias continuent de présenter les rebelles appuyés par l’Agence comme des « modérés ». (52)
Or, après les premières frappes russes, le sénateur John McCain a déclaré que l’« Armée Syrienne Libre ou des groupes (…) armés et entraînés par la CIA » avaient été ciblés ; (53) en France, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a critiqué la Russie pour avoir frappé « des résistants », (54) malgré de sérieux doutes sur la modération des combattants actuellement soutenus par les États-Unis et leurs partenaires dans ce conflit. Par exemple, l’expert Alain Rodier a déclaré au Figaro qu’il était « tout à fait exact de dire que les Russes frappent à 80 % des mouvements autres que Daech. Il faut uniquement rajouter que la plupart dépendent d’al-Qaïda, vous savez, cette organisation à la base des attentats du 11 septembre 2001, de 2004 à Madrid et de 2005 à Londres… » (55)
Ainsi, cette distinction entre les « modérés » et les « extrémistes » est de plus en plus discutable, n’étant pas claire depuis le début de ce conflit. En effet, selon le Washington Post, de nombreux combattants « modérés » et affiliés à l’Armée Syrienne Libre (ASL) ont rejoint les rangs du Front al-Nosra ou de Daech après avoir été armés et/ou entraînés par des forces spéciales et des services secrets occidentaux, initialement en Libye. (56) En outre, certains des principaux commandants rebelles soutenus par les États-Unis ont affirmé transmettre des armes à ces deux organisations extrémistes, ou entretenir de bons rapports avec celles-ci. (57) D’après Charles Lister, un expert de la Brookings Institution pourtant hostile au régime de Bachar el-Assad, (58) « [l]a grande majorité de l’insurrection syrienne s’est étroitement coordonnée avec al-Qaïda depuis le milieu de l’année 2012 – ce qui a eu un impact considérable sur le terrain ». (59)
À cette époque, en juillet 2012, le prince Bandar était nommé à la tête des services spéciaux saoudiens, ce qui avait été analysé par la plupart des experts comme un signe de durcissement de la politique syrienne de l’Arabie saoudite. (60) Surnommé Bandar Bush du fait de sa proximité avec la dynastie présidentielle du même nom, il était ambassadeur à Washington à l’époque des attaques du 11-Septembre. Depuis plusieurs années, cet homme intimement lié à la CIA (61) est accusé par l’ancien sénateur de Floride d’avoir soutenu certains des pirates de l’air désignés coupables de ces attentats. (62) Jusqu’à ce qu’il soit poussé vers la sortie en avril 2014, le Guardian souligna que « Bandar avait dirigé les efforts saoudiens visant à mieux coordonner les livraisons d’armes aux rebelles combattant el-Assad en Syrie. Néanmoins, il a été critiqué pour avoir soutenu des groupes islamistes extrémistes, risquant ainsi le même “retour de bâton” que celui des combattants saoudiens d’Oussama ben Laden rentrant au pays après le jihad contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 1980 – une guerre sainte qui avait été autorisée officiellement. » (63)
En août 2012, quelques semaines après la nomination du prince Bandar à la tête des services saoudiens, Reuters révélait que le Président Obama avait signé un décret classifié autorisant une intervention clandestine prétendument « non-létale » de la CIA en Syrie. (64) Or, plusieurs sources convergentes ont indiqué que des opérations d’approvisionnement en armes avaient été lancées dès janvier 2012 par le général David Petraeus, (65) qui dirigeait alors la CIA. Aujourd’hui « à la retraite » dans un fonds d’investissement de Wall Street (KKR), ce dernier a publiquement exhorté l’administration Obama de soutenir des transfuges d’al-Qaïda pour combattre Daech. (66) À l’évidence, l’Agence et ses partenaires ont mené des politiques particulièrement troubles en Syrie, qui ont considérablement aggravé ce conflit.
En 2014, un parlementaire états-unien avait déclaré sous couvert d’anonymat que la CIA était « bien consciente que de nombreuses armes fournies [par l’Agence] avaient terminé dans de mauvaises mains. » (67) En octobre 2015, l’éminent expert de la Syrie Joshua Landis affirma qu’« entre 60 et 80 % des armes que les États-Unis ont introduites [dans ce pays] sont allées à al-Qaïda et les groupes qui lui sont affiliés ». (68) Or, cette politique clandestine et multinationale de soutien à l’insurrection s’est poursuivie jusqu’à présent, et elle n’a cessé de s’intensifier. La comparant à la guerre secrète de la CIA en Afghanistan, l’éditorialiste Michel Colomès a écrit que les « Américains et [les] Français, depuis l’entrée de la Russie dans la guerre syrienne, fournissent des armes à des islamistes réputés fréquentables. Ils ont la mémoire courte. » (69)
D’après le Washington Post, le député au Congrès Adam Schiff a indiqué en novembre 2014 avoir été « troublé par (…) l’exaspération des factions prétendument modérées vis-à-vis des frappes états-uniennes contre des positions d’al-Nosra, suggérant que les milices soutenues par les États-Unis considèrent cette organisation affiliée à al-Qaïda comme un allié contre le Président syrien Bachar el-Assad, et non comme un adversaire ». (70) Il a également déclaré être au courant que l’« opposition modérée se liguait avec al-Nosra ». (71) Ainsi, des sources parlementaires confirment que les États-Unis et leurs alliés ont consciemment soutenu des factions pas aussi « modérées » qu’elles nous ont été décrites par les médias, mais aussi par les dirigeants ayant imposé le renversement de Bachar el-Assad comme une priorité stratégique. (72)
Le caractère multinational des opérations anti-Assad a aussi été une source majeure de confusion. Tout d’abord, bien que de nombreux services occidentaux et moyen-orientaux aient été conjointement impliqués dans ce conflit, il reste difficile de penser cette guerre secrète sous un angle multinational. En effet, les médias et les spécialistes ont eu tendance à dissocier les politiques syriennes des différents États clandestinement engagés dans la déstabilisation de la Syrie. Il est vrai que le renoncement des États-Unis à intervenir directement a suscité de vives tensions diplomatiques avec la Turquie et l’Arabie saoudite. (73) Par ailleurs, l’hostilité du roi Abdallah à l’égard des Frères musulmans a engendré des dissensions majeures entre, d’un côté, le royaume saoudien et, de l’autre, le Qatar et la Turquie – ces tensions s’étant atténuées après l’intronisation du roi Salmane en janvier 2015. (74)
Du fait de ces divergences, les politiques syriennes des États hostiles au régime el-Assad ont été trop peu analysées sous leur angle multinational. Plus exactement, les opérations occidentales ont été dissociées de celles des pays moyen-orientaux. Or, les services spéciaux de ces différents États ont mené jusqu’à présent des actions communes et coordonnées, dans l’opacité abyssale de la classification. En janvier 2012, la CIA et le MI6 ont lancé des opérations clandestines d’approvisionnement en armes des rebelles entre la Libye, la Turquie et la Syrie, avec de l’aide et des financements turcs, saoudiens et qataris. (75) Comme nous l’avons souligné précédemment, il s’est avéré que ces armements ont été livrés « presque exclusivement » à des factions jihadistes, selon le parlementaire britannique Lord Ashdown. (76) D’après le grand reporter Seymour Hersh, « [l]’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classant sa mission comme une opération de liaison. » (77) Les actions de l’Agence en Syrie sont-elles mieux contrôlées aujourd’hui ? La question reste ouverte, mais la doctrine du « déni plausible » traditionnellement mise en œuvre par la CIA pourrait être un élément de réponse. (78)
En commentant la complexe affaire de Benghazi, un ancien expert du contre-espionnage à la CIA nommé Kevin Shipp souligna que, « dans les opérations de trafic d’armes que l’Agence souhaite pouvoir démentir, elle implique en général une tierce partie. “Le mode opératoire de la CIA nécessite un ‘intermédiaire’, donc on obtient du Qatar [qu’il] achemine les armes tout en lui facilitant le transport. Ainsi, la tierce partie sera tenue pour responsable [si l’opération est divulguée]”. » (79) Même si ce mode opératoire tend à brouiller les pistes, le rôle central de la CIA dans cette guerre secrète multinationale ne fait plus de doute. En octobre 2015, le New York Times expliqua que
« [l]es missiles antichars TOW de fabrication américaine ont fait leur apparition dans la région en 2013, à travers un programme clandestin [de la CIA] mené par les États-Unis, l’Arabie saoudite et d’autres alliés. Celui-ci vise à aider des groupes d’insurgés “sélectionnés” par l’Agence à combattre le gouvernement syrien. Ces armes sont livrées sur le terrain par des alliés des Américains, mais les États-Unis approuvent leur destination [– des autorisations qui sont en fait “implicites”, comme nous le verrons]. (…) Des commandants rebelles ont éclaté de rire lorsqu’on les a questionnés sur la livraison de 500 TOW en provenance d’Arabie saoudite, déclarant qu’il s’agissait d’un nombre ridicule comparé à ce qui est réellement disponible. En 2013, l’Arabie saoudite a commandé [à Washington] plus de 13 000 [TOW]. » (80)
Sans surprise, cet article limite le soutien états-unien à des rebelles « modérés », et le rôle de l’Agence dans les opérations de guérilla n’y est même pas évoqué. Or, l’Arabie saoudite, avec le Qatar et la Turquie, sont généralement accusés de soutenir al-Qaïda en Syrie, et nous verrons que la CIA coordonne ses opérations avec ces mêmes partenaires depuis deux centres de commandement situés sur les territoires turcs et jordaniens. Dans le cadre de ce programme multinational, des missiles antichars de fabrication états-unienne ont été livrés à al-Qaïda par des partenaires étrangers de la CIA. En effet, selon le journaliste Gareth Porter, « [l]a campagne d’Idleb [au printemps 2015] a été une conséquence directe d’une décision politique de l’Arabie saoudite et du Qatar – approuvée par les États-Unis –, de soutenir la création de l’“Armée de la Conquête” et de lui fournir du nouveau matériel militaire, qui fut un facteur crucial dans cette campagne : le missile antichars TOW. » (81) Il faut alors souligner que l’« Armée de la Conquête » est une coalition de milices majoritairement islamistes, dont l’une des principales forces est le Front al-Nosra, qui est la branche syrienne d’al-Qaïda. (82)
À la suite de l’entrée en guerre de la Russie, un ancien conseiller du Pentagone a confirmé au Washington Post que le recours à des partenaires étrangers impliquait le « déni plausible », ce qui permet de couvrir les opérations de la CIA en Syrie : « Fabriqués par Raytheon, les missiles [TOW] proviennent principalement des stocks du gouvernement saoudien, qui en avait acheté 13,795 en 2013 (…) Puisque les accords de vente nécessitent que l’acheteur informe les États-Unis de leur destination finale, l’approbation [de Washington] est implicite, selon Shahbandar, un ancien conseiller du Pentagone. D’après lui, aucune décision n’est requise de la part de l’administration Obama pour que ce programme puisse continuer. “II n’y a pas besoin d’un feu vert américain. Un feu orange est suffisant”. “Il s’agit d’un [programme] clandestin et il peut techniquement être démenti, mais c’est le propre des guerres par procuration.” » (83) Ainsi, la doctrine du « déni plausible », qui implique des tierces parties sur lesquelles on peut rejeter la faute, semble expliquer pourquoi le rôle de la CIA et de ses alliés occidentaux dans cette guerre secrète est refoulé, déformé ou minimisé.
Récemment, cette application de la doctrine du « déni plausible » par l’Agence dans cette guerre civile a été confirmée par l’expert britannique Nafeez Ahmed : « Les États-Unis ont fui leur responsabilité dans [le conflit syrien] en ayant recours à la plus traditionnelle des opérations de maquillage des faits : rendre leurs dénégations plausibles en rejetant la faute sur les autres. Depuis 2012, le programme d’approbation des rebelles, géré clandestinement par la CIA, est mis en œuvre en dehors de la Syrie, dans des pays partenaires comme l’Arabie saoudite, le Qatar, la Jordanie et la Turquie. Bien que les membres de la CIA et de l’armée américaine supervisent le programme, ils se fondent principalement sur les “renseignements” des pays alliés pour “l’approbation” des rebelles. » (84) Dans un contexte aussi trouble et opaque, l’engagement de l’Agence et de ses alliés occidentaux est officiellement limité au soutien de rebelles « modérés », alors que leurs partenaires moyen-orientaux sont continuellement accusés d’appuyer les extrémistes sur le terrain. Or, ces différents services spéciaux collaborent étroitement afin de combattre le régime de Bachar el-Assad. Le fait que si peu de journalistes et d’experts aient souligné ce paradoxe me semble pour le moins alarmant.
Au contraire, les médias et les spécialistes ont eu tendance à différencier les actions clandestines des États du Moyen-Orient de celles des puissances occidentales. Or, nous avons vu que, dès janvier 2013, la société privée de renseignement Stratfor décrivait une guerre secrète multinationale en Syrie, qui alliait « Washington et Riyad » avec « des États européens » et « des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le Qatar et les Émirats Arabes Unis ». (85) Et les opérations multinationales de la CIA se sont intensifiées à partir de 2013, (86) malgré le scepticisme affiché par le Président Obama sur l’efficacité des politiques de soutien clandestin aux insurrections. (87)
Par conséquent, j’ai développé une vision plus inclusive et globale des ingérences anti-Assad, qui ont été organisées dans les arcanes confidentiels et mal contrôlés des services spéciaux. (88) Au vu des informations disponibles, j’ai pu déterminer que le gouvernement des États-Unis et ses partenaires avaient bel et bien lancé, dès 2011, (89) une guerre secrète multinationale en Syrie. Étant illégale et clandestine, cette intervention de l’Agence et de ses alliés est mal comprise et insuffisamment documentée. Par ailleurs, des obstacles juridiques et moraux pourraient expliquer la discrétion de Washington et de ses partenaires sur ces opérations, et notamment la sous-traitance de celles-ci aux services turcs, qataris et saoudiens – qui montrent moins de scrupules à soutenir directement des milices islamistes. (90) Ainsi, la spectaculaire montée en puissance de Daech et d’al-Qaïda dans le conflit syrien semble avoir été grandement encouragée par cette politique clandestine et multinationale, bien que l’extension correspondante du chaos islamiste ait été anticipée dès 2012 par le Renseignement militaire du Pentagone (DIA). (91)
En août dernier, j’ai étudié les révélations du général Michael Flynn sur Al-Jazeera, en soulignant qu’elles n’avaient pas été relayées par les médias français. (92) Ancien directeur de la DIA, le général Flynn a confirmé qu’en 2012, la Maison Blanche savait que le « noyau dur » de la rébellion en Syrie était extrémiste, et que le soutien multinational à ces groupes pourrait engendrer l’émergence d’un « État Islamique » entre l’Irak et ce pays. (93) Or, le général Flynn n’a pas démenti les accusations du journaliste d’Al-Jazeera, qui affirma à plusieurs reprises durant son interview qu’en 2012, «les États-Unis aidaient [la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite] à coordonner les transferts d’armes vers [des] groupes (…) salafistes, les Frères musulmans [et] al-Qaïda en Irak » afin de déstabiliser la Syrie. (94) Il semble même avoir confirmé ces allégations, qui se basaient sur un rapport déclassifié de la DIA. (95) Sollicité durant l’écriture de cet article, le général Flynn n’a pas répondu à mes demandes de clarification.
Pour contextualiser cette interview, j’avais reproduit un argument clé de Nafeez Mosaddeq Ahmed, selon lequel « la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. (…) [D]es responsables américains du renseignement militaire (96) [ont] supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la Turquie [aux rebelles en Syrie], à partir des mêmes centres de commandement opérationnel dans le Sud de la Turquie et en Jordanie, qui continuent d’être coordonnés conjointement par les services de renseignement occidentaux et arabes. » (97) Bien que Nafeez Ahmed soit un spécialiste mondialement reconnu, un ami m’a fait remarquer que cet argument était insuffisamment documenté. Or, dans un article plus récent, le Dr. Ahmed a cité Charles Lister, un expert de la prestigieuse Brookings Institution. En mai dernier, cet analyste confirma que les États-Unis dirigent des opérations de guérilla depuis deux centres de commandement multinationaux en Turquie et en Jordanie. Et d’après cette source crédible, à partir du printemps 2015, les services spéciaux états-uniens ont appuyé directement des forces islamistes :
« En public, la ligne officielle consiste à dire que la stratégie de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie ne finance pas directement le Front al-Nosra, bien que cette coalition géopolitique ait conscience que ce groupe bénéficiera du soutien apporté à des factions islamistes rebelles.
En privé, de nombreux commandants de la rébellion en charge de l’opération (…) menée à Idleb [au printemps 2015] ont déclaré à Charles Lister, [un expert de la] Brookings Institution, “que la salle d’opérations dirigée par les États-Unis au sud de la Turquie, qui coordonne les approvisionnements d’aide létale et non-létale à des groupes d’opposition sélectionnés [par la CIA], a servi à faciliter [l’]engagement [des islamistes] dans cette opération à partir de début avril [2015]. Ces dernières semaines, ce centre de commandement, ainsi qu’un autre en Jordanie, qui couvre le Sud de la Syrie, semblent avoir considérablement intensifié leur aide et leurs transferts de renseignements à des groupes jugés non extrémistes [par la CIA]”.
En d’autres termes, la branche officielle d’al-Qaïda en Syrie, et une autre milice étroitement liée à [cette nébuleuse terroriste], faisaient partie des factions “modérées” et “triées sur le volet” qui ont reçu des armes et du soutien de la part d’États du Golfe et de la Turquie, sous la supervision de personnel des renseignements militaires états-uniens sur le terrain. » (98)
Sollicité durant l’écriture de cette analyse, Nafeez Ahmed m’a indiqué que l’expression « personnel des renseignements militaires » des États-Unis désignait des officiers de la CIA collaborant avec le JSOC, le commandement des opérations spéciales du Pentagone. Ainsi, l’Agence et ses partenaires états-uniens et étrangers ont « facilité » au printemps 2015 les offensives des factions « islamistes » dans la province d’Idleb.
Nafeez Ahmed et Charles Lister désignent en fait l’Armée de la Conquête, une coalition de groupes jihadistes créée et soutenue par le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie au premier trimestre 2015. (99) Cette milice allie le Front al-Nosra et le groupe Ahrar al-Sham, une force rebelle salafiste fréquemment décrite comme « modérée ». (100) Précédemment, nous avons souligné que cette coalition extrémiste recevait, essentiellement par l’entremise de l’Arabie saoudite, des missiles TOW de fabrication états-unienne – dans le cadre d’un programme clandestin de la CIA. Il semblerait donc que ces livraisons d’armes aient été coordonnées depuis ces « salles d’opérations » en Turquie et en Jordanie. Dans son article, Nafeez Ahmed a rapporté d’autres révélations alarmantes de Charles Lister sur ces politiques profondes : (101)
« “Bien que ces centres d’opérations multinationaux aient d’abord demandé que les bénéficiaires des aides militaires cessent leur coordination directe avec des groupes tels que le Front al-Nosra”, écrivit Lister, “les dynamiques récentes à Idleb nous amènent à un constat différent. En effet, non seulement ces livraisons d’armes à des groupes soi-disant ‘triés sur le volet’ se sont multipliées, mais ces centres de commandement ont spécifiquement encouragé une plus étroite collaboration avec des islamistes commandant les opérations sur le front” [, les missiles TOW étant un élément essentiel de ces offensives (102)]. »
Contacté durant l’écriture de cet article, Charles Lister n’a pas répondu à mes sollicitations, sachant que je lui avais demandé la localisation de ces centres de commandement multinationaux. Néanmoins, la base opérationnelle de la CIA en Jordanie est située à Amman, selon différentes sources de la presse grand public, dont le New York Times. (103) À ma connaissance, l’existence de ce centre de commandement – plus connu sous l’acronyme MOC, pour Military Operations Center –, avait été révélée en décembre 2013. (104)
De plus, nous savons depuis juillet 2012 qu’une autre salle d’opérations multinationale avait été mise en place dans la ville d’Adana, au sud de la Turquie. (105) Par la suite, deux autres centres de ce type ont été créés à Istanbul puis à Ankara. (106) Or, sachant que Monsieur Lister a fait référence à une « salle d’opérations dirigée par les États-Unis au sud de la Turquie », il est possible que ce « centre névralgique » soit celui d’Adana – ville qui abrite également une base aérienne de l’OTAN. Par ailleurs, bien que la CIA soit officiellement en charge de superviser les opérations clandestines des États-Unis en Syrie, des forces spéciales et des services secrets occidentaux participent à ce conflit de l’ombre, en étroite collaboration avec leurs homologues turcs, qataris, saoudiens, jordaniens et israéliens – voire avec d’autres agences. (107) Depuis 2013, cet engagement profond de la CIA et de ses alliés dans la guerre civile en Syrie s’est considérablement intensifié, et nous commençons tout juste à en mesurer l’ampleur. (108)
Contrairement au mythe de l’« inaction » occidentale contre le régime de Bachar el-Assad, la CIA a été massivement impliquée en Syrie, dans le cadre d’une intervention clandestine subventionnée par des budgets classifiés, mais également étrangers. Or, ces financements extérieurs et les milliards de dollars qu’ils mobilisent ne sont pas supervisés par le Congrès US, cette institution n’ayant pas le pouvoir d’exercer son contrôle sur des politiques ou des budgets étrangers. (109) Selon le Washington Post, ce programme de la CIA a été cofinancé par le gouvernement des États-Unis à hauteur d’environ un milliard de dollars par an depuis 2013 ; et cette politique s’est inscrite jusqu’à présent dans un « effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie », officiellement pour soutenir une coalition « modérée » depuis la Jordanie. (110)
Or, comme l’avons vu précédemment, de telles opérations sont également coordonnées par la CIA depuis le Sud de la Turquie, et elles impliquent actuellement les milices extrémistes de l’Armée de la Conquête. Le Washington Post n’a pas fait le lien avec ces actions dans le Nord de la Syrie, mais il a confirmé le caractère multinational de l’intervention de la CIA. Essentiellement, le volume de dépenses avancé par ce journal tend à confirmer une véritable guerre secrète, qui implique notamment « la gestion d’un vaste réseau logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers [la Syrie]. » Voici donc un extrait de cet important article :
« Récemment, la Commission de la Chambre des Représentants sur le Renseignement a voté à l’unanimité pour supprimer jusqu’à 20 % des fonds classifiés alimentant un programme [secret] de la CIA, que certains hauts responsables états-uniens ont décrit comme l’une des plus grandes opérations clandestines de l’Agence, dotée d’un budget avoisinant le milliard de dollars par an. (…) Le coût de ce programme de la CIA n’avait pas été dévoilé auparavant ; et ces chiffres nous montrent à quel point l’attention et les ressources de l’Agence ont été redirigées vers la Syrie. Financées à hauteur d’un milliard de dollars [par an], les opérations liées à ce pays représentent un dollar sur quinze dans le budget général de la CIA, à en juger par les niveaux de dépenses révélés dans des documents obtenus par le Washington Post grâce à l’ancien consultant des renseignements états-uniens Edward Snowden. (…)
La CIA a refusé de commenter ce programme et son budget. Mais des hauts responsables états-uniens ont défendu l’ampleur de ces dépenses, déclarant que cet argent finançait bien plus que des salaires et des armes, et qu’il entrait dans le cadre d’un plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie pour soutenir une coalition de milices regroupées sous le nom de “Front du Sud” de l’Armée Syrienne Libre.
La majorité de cet argent dépensé par la CIA est dédiée au fonctionnement de camps d’entraînements secrets en Jordanie, à la collecte de renseignements pour soutenir les opérations des milices appuyées par l’Agence, ainsi qu’à la gestion d’un vaste réseau logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers ce pays. » (111)
Comme je l’ai indiqué précédemment, les articles de presse et les déclarations publiques sur l’implication de la CIA en Syrie en ont presque systématiquement minimisé l’ampleur. (112) Or, cet engagement a été récemment décrit par leWashington Post comme l’une des priorités budgétaires de l’Agence. Et comme l’a révélé cet article, un nombre indéterminé de milliards de dollars provenant de « l’Arabie saoudite, [du] Qatar et [de] la Turquie » cofinancent ce programme. Il est néanmoins surprenant que le Post ait attribué ces budgets au seul soutien d’« une coalition de milices regroupées sous le nom de “Front du Sud” de l’Armée Syrienne Libre », tout en évoquant un « un vaste réseau logistique utilisé pour déplacer des combattants, des munitions et des armes à travers [la Syrie] ». (113) Par ailleurs, cet article n’évoque pas le centre de commandement de la CIA basé au sud de la Turquie, dont nous avons étudié les opérations récentes impliquant al-Qaïda. Contactés durant l’écriture de cette analyse, les deux journalistes à l’origine de ces révélations du Washington Post n’ont pas répondu à mes demandes.
Néanmoins, leurs informations nous confirment l’existence d’une opération clandestine de grande ampleur, qui implique les trois États notoirement connus pour soutenir les groupes extrémistes dans ce conflit. Loin de nous permettre d’en tirer des conclusions définitives, ces révélations soulèvent des questions dérangeantes sur les politiques profondes de la CIA et de ses alliés en Syrie, en particulier si l’on prend en compte la doctrine du « déni plausible » étudiée précédemment.
Récemment, la collaboration du MI6 avec des groupes jihadistes en Syrie a été reconnue par la justice britannique. (114) Dans l’Hexagone, deux députés de l’opposition ont dénoncé le rôle trouble des services spéciaux français dans ce conflit, l’un d’entre eux ayant même déclaré que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». (115) En janvier 2012, « trois mois et demi après que l’administration [Obama] eut annoncé pour la première fois une “aide non-létale” à l’opposition [en Syrie], la CIA commença à faciliter des livraisons aéroportées d’armements à la rébellion. En mars 2013, 160 vols étaient recensés et “environ 3,500 tonnes d’équipement militaire” avaient été livrés aux rebelles. La CIA aida les “gouvernements arabes à acheter ces armes”, et “enquêta sur les commandants rebelles et leurs groupes afin de déterminer lesquels devaient recevoir ces armements lorsqu’ils arrivaient à destination.” » (116)
Or, quelques mois après ces révélations, le parlementaire britannique Lord Ashdown dénonça le fait que ces armements livrés « avec l’aide » de la CIA étaient destinés à des jihadistes en Syrie. D’après lui, « “[ces rebelles] n’ont pas besoin d’armes. Il n’a pas été démenti que 3 500 tonnes d’armes avaient été livrées depuis la Croatie avec l’aide de la CIA. Financés par les Qataris, financés par les Saoudiens, [ces armements] sont allés presque exclusivement vers les groupes les plus extrémistes”, déclara l’ancien haut représentant international en Bosnie lors d’un débat [parlementaire]. » (117)
Ainsi, à partir de l’année 2012, nous pouvions déjà parler d’une intervention clandestine multinationale à grande échelle – sur le modèle de l’Afghanistan dans les années 1980. En janvier 2013, le principal expert en terrorisme de la « CIA privée » Stratfor déclara que « le niveau d’ingérence extérieure en Syrie [était] comparable à celui observé contre l’URSS et ses alliés communistes à la suite de l’intervention soviétique en Afghanistan. Les soutiens étrangers [– désignés comme étant “les États-Unis, la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et des États européens” –,] fournissent non seulement des entraînements, des renseignements et de l’aide, mais également des armes – des armes exogènes qui rendent évidents ces approvisionnements extérieurs. Par ailleurs, il est intéressant de constater que deux des principaux soutiens externes en Syrie sont Washington et Riyad, bien qu’ils soient alliés dans ce pays avec des puissances régionales telles que la Turquie, la Jordanie, le Qatar et les Émirats Arabes Unis, plutôt qu’avec le Pakistan [– en référence à la guerre secrète de la CIA, de l’ISI pakistanaise et du GID saoudien en Afghanistan dans les années 1980]. » (118)
Ainsi, dès le début de l’année 2013, l’une des principales firmes mondiales de renseignement privé comparait cet ensemble d’actions clandestines en Syrie à la guerre secrète menée par la CIA en Afghanistan dans les années 1980. Or, ces opérations se sont intensifiées cette même année 2013, lorsque la Maison Blanche a révélé à la presse le lancement d’un programme de soutien « létal » à l’insurrection, et ce malgré les mises en garde des juristes de la présidence. En effet, selon The New Republic,
« l’administration Obama envisagea d’armer et d’entraîner des rebelles syriens [officiellement en 2013]. (119) À cette époque, les conseillers juridiques de la Maison Blanche incitèrent le Président Obama à agir discrètement, car cette politique pouvait potentiellement violer le Droit international. Bien qu’Obama en appelait fréquemment au départ de Bachar el-Assad, les États-Unis n’étaient pas en guerre contre la Syrie. El-Assad était encore le leader souverain de ce pays, et aider les rebelles reviendrait à soutenir une insurrection. Ces juristes mirent en garde [l’administration Obama] sur le fait que cette intervention s’apparenterait à la politique de soutien des Contras menée sous la présidence Reagan dans les années 1980 – une [intervention] que la Cour Internationale de Justice qualifia de “violation [des] obligations internationales [des États-Unis,] en vertu des normes coutumières du Droit international imposant de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre État.” Par conséquent, Obama a discrètement œuvré via la CIA, qui collaborait avec des alliés du Golfe tels que le Qatar et l’Arabie saoudite. » (120)
Cette discrétion de l’administration Obama tend à expliquer la confusion qui règne autour de cette guerre secrète, qui est donc illégale par essence. À l’image des opérations de la CIA au Nicaragua, en Afghanistan et dans bien d’autres pays, la vérité historique sur ces interventions clandestines sera difficile à établir. (121) À l’heure actuelle, l’ampleur et la nature de l’engagement de l’Agence et de ses partenaires en Syrie restent impossibles à déterminer. Cette confusion a été alimentée par les innombrables déclarations trompeuses des États-Unis et de leurs alliés occidentaux sur les aides accordées à l’insurrection, qui se limitaient officiellement à un soutien « non-létal » de l’insurrection – du moins jusqu’à l’automne 2013 et le revirement inattendu du Président Obama. Quoi qu’il en soit, cette guerre secrète multinationale reste une guerre à part entière – déstabilisante, insidieuse, ultraviolente et meurtrière. De ce fait, les gouvernements occidentaux qui l’ont alimentée ne peuvent continuer de fuir leur coresponsabilité dans ce drame, en accablant aussi bien leurs ennemis syriens, russes et iraniens que leurs alliés turcs et pétromonarchiques. (122)
À travers les informations analysées dans cet article, j’ai tenté de démonter la persistance et l’intensification, depuis 2011, d’une guerre secrète multinationale en Syrie. Cette intervention clandestine a impliqué des États occidentaux et moyen-orientaux, ces derniers appuyant ostensiblement des milices jihadistes. (123) D’après différentes sources, cette guerre secrète de la CIA a été coordonnée jusqu’à présent depuis deux centres de commandement dirigés par les États-Unis, et elle pourrait être la principale raison de l’intervention russe. (124) Par ailleurs, comme nous l’avons démontré, la « modération » des principales forces soutenues par les puissances occidentales et leurs partenaires en Syrie est une notion de plus en plus discutable. Quoi qu’il en soit, ces politiques profondes ont alimenté décisivement un chaos islamiste qui s’est imposé comme l’une des premières menaces globales. (125) Dans ce contexte périlleux, sachant que la Russie tente d’enrayer militairement ce processus, il faut impérativement éviter que les Syriens ne subissent un état de guerre permanent, à l’instar des Afghans depuis le lancement de la guerre secrète de la CIA en 1978. (126) En Occident, d’anciens militaires de haut rang, comme le général Vincent Desportes ou le général Michael Flynn, ont décrit l’intervention russe en Syrie comme une démarche qu’il fallait soutenir pour contrer le péril islamiste. (127)
Par conséquent, il est indispensable d’expliquer à l’opinion publique qu’aujourd’hui, les puissances occidentales et leurs alliés soutiennent en priorité l’Armée de la Conquête – une coalition extrémiste coagulée autour d’al-Qaïda. Et il nous faut comprendre que la démarche russe, certes non dénuée d’intérêts, vise avant tout à empêcher la destruction complète de l’État syrien et le chaos islamiste encouragé par les politiques profondes de la CIA et de ses alliés. En particulier, il faut nous libérer du manichéisme imposé par les médias et saisir enfin toute la complexité de la situation tragique que subit le peuple syrien. En effet, bien que Bachar el-Assad, soutenu dès le début de cette guerre civile par Moscou et Téhéran, partage une lourde responsabilité dans ce drame humain, le dénoncer comme étant la seule et unique cause des exodes massifs et des centaines de milliers de morts engendrés par ce conflit brutal est une dangereuse illusion. (128) D’après l’ancien ambassadeur belge en Syrie Philippe Jottard,
« [o]n compte quatre à cinq millions de réfugiés installés dans les pays limitrophes de la Syrie. Ceux d’entre eux qui prennent la route de l’Europe proviennent pour une part, mais pas seulement, de Turquie après qu’ils aient été chassés de chez eux par les combats. L’opposition en rend responsable les bombardements aériens menés par l’armée sur les zones rebelles alors que, selon Bachar el-Assad, les Occidentaux sont seuls responsables de la crise des migrants en raison de leur soutien au “terrorisme”. Quant aux déplacés internes qui constituent la moitié de la population restée au pays (soit huit millions et demi de déplacés), ils se sont réfugiés dans les zones gouvernementales devant l’avance des groupes rebelles. Ceci n’en fait pas nécessairement des partisans de Bachar el-Assad, mais à choisir ils préfèrent la sécurité fournie par l’armée régulière. Environ 60% de la population totale se trouvent encore dans les territoires sous contrôle du régime. Les revers récents subis par les forces loyalistes affaiblies par plus de quatre ans de guerre en dépit de l’aide fournie par leurs alliés russes, iraniens, chiites irakiens et libanais font craindre non pas leur effondrement, mais que des avancées majeures des rebelles terrifient la population et lancent une partie de celle-ci sur les routes de l’exil. » (129)
La réalité syrienne est donc bien plus complexe que ne l’affirment les promoteurs intransigeants d’un renversement de Bachar el-Assad, alors que les politiques profondes de la CIA et de ses alliés appuient al-Qaïda en Syrie. À la suite des premières frappes russes contre cette organisation, les gouvernements des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne ont cosigné une déclaration commune avec le Qatar, la Turquie et l’Arabie saoudite. (130) Or, nous avons vu que ces trois États sont à l’origine de la création de l’Armée de la Conquête en Syrie – une politique discrètement approuvée et soutenue par Washington. (131) Comme nous l’avons indiqué, il s’agit d’une coalition de milices liées ou affiliées à al-Qaïda, qui constituait depuis le printemps dernier la principale menace contre le régime el-Assad. (132) Essentiellement, le fait que ce communiqué associe les quatre premières puissances occidentales avec les trois États unanimement désignés comme les soutiens d’al-Qaïda en Syrie a choqué bien peu d’observateurs, alors que les États-Unis et leurs alliés sont censés être en guerre globale contre cette organisation depuis le 11-Septembre. Ainsi, il ne semble pas illégitime de se demander pourquoi ces gouvernements n’ont-ils pas appelé Moscou à frapper al-Qaïda dans leur déclaration commune. Si l’on considère que la CIA mène une guerre secrète multinationale qui renforce la branche syrienne de cette nébuleuse terroriste, la réponse est sans équivoque.
Dans ce contexte, entre le chaos islamiste et la dictature, plusieurs millions de Syriens ont fait leur choix, sans nécessairement être des partisans de Bachar el-Assad. Ne pas prendre en compte cette réalité et amplifier la guerre secrète en Syrie reviendrait certes à combattre un régime criminel, mais surtout à favoriser la prise de Damas par des forces islamistes d’une puissance et d’une dangerosité sans précédent. Désignant Daech comme « l’ennemi numéro un », l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine a rappelé « qu’au moment de combattre Hitler, il [avait] fallu s’allier avec Staline ». (133) Il faut donc espérer que les dirigeants occidentaux fassent preuve de la même sagesse, et qu’ils comprennent qu’intensifier leur engagement clandestin en Syrie pour faire échec aux Russes et aux Iraniens serait une grave erreur. (134) Alors que les principaux acteurs de ce conflit se réunissent à Vienne, et que l’Arabie saoudite a accepté pour la première fois que l’Iran participe aux négociations, la diplomatie doit et peut triompher des politiques profondes. (135)
Notes
1. « Les États-Unis n’entraînent qu’une soixantaine de rebelles syriens », LeMonde.fr avec AFP et Reuters, 08 juillet 2015. Bien que ses auteurs n’en aient probablement pas eu l’intention, le titre de cet article donne l’impression que les États-Unis n’ont formé qu’une soixantaine de rebelles pour combattre en Syrie. Nul doute que les innombrables articles publiés à travers le monde sur le fiasco de cette opération du Pentagone ont renforcé cette perception erronée. Or, je démontrerai que l’engagement clandestin de la CIA et de ses partenaires en Syrie a été à la fois massif, trouble et illégal, et qu’il pourrait s’apparenter à une véritable guerre secrète multinationale.
2. « Seulement “4 ou 5” rebelles formés par les Américains combattent », LeProgres.fr avec AFP, 16 septembre 2015. Ce titre est encore plus trompeur que le précédent. Détail intéressant : en fin d’article, on peut lire que « [l]a CIA anime parallèlement un programme clandestin d’entraînement de rebelles en Syrie ». Dans la plupart des récits médiatiques sur l’échec de cette opération du Pentagone, soit le vaste programme clandestin de la CIA n’est pas mentionné, soit il est brièvement évoqué, comme s’il s’agissait d’un détail insignifiant dans la guerre civile syrienne.
3. « Syrie: le Pentagone réduit son programme d’entraînement de rebelles », BFMTV.com avec AFP, 9 octobre 2015 : « Les États-Unis ne vont plus essayer d’entraîner des groupes syriens anti-État islamique mais se concentrer sur la fourniture d’équipement et d’armes à des chefs de groupes rebelles triés sur le volet, selon un responsable américain du ministère de la Défense. »
4. Armin Arefi, « Les forces en présence sur le territoire syrien », LePoint.fr, 17 septembre 2015. Dans cet article, la CIA et les services spéciaux occidentaux ne sont pas même évoqués parmi « les forces en présence sur le territoire syrien ». Nous verrons que de nombreuses autres sources refoulent ou minimisent cette intervention clandestine multinationale de la CIA, dont des médias importants et des hauts responsables à Washington.
5. Par « alliés moyen-orientaux » de la CIA, je fais essentiellement référence à l’Arabie saoudite, au Qatar, à la Turquie et à la Jordanie. Comme je le montrerai, ces deux derniers pays abritent chacun un centre de commandement des opérations multinationales de l’Agence, également appelé « salle d’opérations » (« operations room »). Et nous verrons que l’Arabie saoudite et le Qatar, avec la Turquie, ont été les principaux soutiens financiers et militaires des factions extrémistes en Syrie. Le Mossad est également actif dans cette guerre secrète multinationale, mais son rôle est plus discret que celui de la CIA et de ses partenaires. Il semblerait notamment que les services israéliens aient joué un rôle crucial dans les activités de collecte de renseignements de l’Agence en Syrie (Joseph Fitsanakis, « US spy agencies turn to Israel, Turkey, for help in Syria war », IntelNews.org, 24 juillet 2012). En revanche, l’armée israélienne a joué un rôle nettement plus visible dans ce conflit, à l’instar de l’armée turque. Voir notamment Robert Parry, « Should US Ally with Al Qaeda in Syria? », ConsortiumNews.com, 1er octobre 2015 : « [Branche syrienne d’]al-Qaïda, le Front al-Nosra a également bénéficié d’une alliance de facto avec Israël, qui a soigné des combattants d’al-Nosra pour les renvoyer ensuite combattre dans la zone du plateau du Golan. Israël a également mené des frappes aériennes en Syrie afin de soutenir les avancées d’al-Nosra, tuant notamment des conseillers du Hezbollah ou de l’Iran qui aidaient le gouvernement syrien. »
Par « alliés occidentaux » de la CIA, je désigne principalement les services spéciaux français et britanniques. Avec l’Agence, ils ont joué un rôle actif dans la déstabilisation de la Syrie, notamment dans la formation des rebelles (Julian Borger et Nick Hopkins, « West training Syrian rebels in Jordan », TheGuardian.co.uk, 8 mars 2013). Néanmoins, d’autres pays européens pourraient être impliqués dans ces opérations (Tolga Tanış, « There are 50 senior agents in Turkey, ex-spy says », HurriyetDailyNews.com, 16 septembre 2012). Dans la « salle d’opérations » multinationale basée en Jordanie, des officiers de services spéciaux et d’armées de près de 14 pays ont été recensés par un journal émirati à la fin de l’année 2013 (Phil Sands et Suha Maayeh, « Syrian rebels get arms and advice through secret command centre in Amman », TheNational.ae, 28 décembre 2013).
Enfin, par « services spéciaux », je ne signifie pas uniquement des services secrets, tels que la CIA ou le MIT, mais également des forces spéciales ou d’autres éléments militaires qui sont clandestinement impliqués dans cette guerre secrète. C’est le cas du JSOC, qui est le commandement des opérations spéciales du Pentagone (David S. Cloud et Raja Abdulrahim, « Update: U.S. training Syrian rebels; White House ‘stepped up assistance’ », LATimes.com, 21 juin 2013). Les forces spéciales britanniques et françaises sont également engagées dans cette guerre secrète (Borger et Hopkins, « West training Syrian rebels in Jordan »).
6. Greg Miller et Karen DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut », WashingtonPost.com, 12 juin 2015. Remarque importante : dans l’immense majorité des récits sur l’intervention de la CIA en Syrie, l’action de l’Agence est décrite comme « inefficace » et d’ampleur limitée (Voir par exemple Ben Hubbard, « Warily, Jordan Assists Rebels in Syrian War », NYTimes.com, 10 avril 2014). Or, l’importance de cet article duWashington Post réside dans le fait que, contrairement à ce qui était unanimement affirmé dans la presse, cet engagement de la CIA en Syrie n’est pas « limité » mais massif, et qu’il entre dans le cadre « d’un plus vaste effort de plusieurs milliards de dollars impliquant l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie » – c’est-à-dire les trois États notoirement connus pour soutenir les factions extrémistes en Syrie (cf. la note suivante).
7. Ibidem (accentuation ajoutée). Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voir Luc Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas », Liberation.fr, 14 mai 2015 ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS », CSPAN.org, 20 septembre 2014 : « Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire Daech] ?”Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” » ; Éric Leser, « Sans la Turquie, Daech n’existerait pas », Slate.fr, 2 août 2015 ; « Le Qatar : “valet des Américains” ou “club Med des terroristes” ? », entretien avec Fabrice Balanche, Challenge.fr, 15 janvier 2015 : « [L]e Qatar a financé le Front Al-Nosra (ou Nosra) jusqu’à la scission intervenue en avril 2013. L’organisation, rattachée à Al-Qaïda, est pourtant inscrite sur la liste terroriste des États-Unis depuis le 20 novembre 2012 et la déclaration d’Hillary Clinton. Après la scission en avril 2013 – autrement dit la séparation entre Nosra dirigé par le syrien Al-Joulani et l’État islamique (EI) conduit par l’irakien al-Baghdadi – le Qatar a choisi de soutenir l’EI contrairement à l’Arabie Saoudite qui continue de financer Nosra. Néanmoins, la réalité est bien plus complexe encore. Si l’EI est une organisation soudée et structurée, les groupes de Nosra, bien qu’ils prêtent tous allégeance, semblent bien plus autonomes. Ainsi, le Qatar peut être également amené à financer un groupe de combattants se revendiquant de Nosra pour un intérêt particulier. De même, il existe différents clans en Arabie Saoudite, qui est loin d’être un royaume monolithique. Ces familles soutiennent aussi bien Nosra que l’EI » (accentuation ajoutée) ; etc.
8. Selon Vox.com et d’autres sources, l’« ordre secret » d’armer les rebelles a été approuvé en avril 2013, mais l’approvisionnement en armes et les entraînements se seraient concrétisés en septembre 2013, après qu’Obama eut repoussé l’intervention militaire directe en Syrie (Max Fisher et Johnny Harris, « Syria’s war: a 5-minute history », Vox.com, 14 octobre 2015). En septembre 2013, le Washington Post avait rapporté que les États-Unis commençaient à armer les rebelles, sans évoquer l’« ordre secret » d’Obama rapporté par Vox.com (Ernesto Londoño et Greg Miller, « CIA begins weapons delivery to Syrian rebels », WashingtonPost.com, 11 septembre 2013). En réalité, la CIA et le MI6 ont clandestinement armé les rebelles en Syrie depuis au moins janvier 2012, mais essentiellement via la logistique et les financements du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite (Adam Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government », FAIR.org, 20 septembre 2015).
9. Souad Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them », WashingtonPost.com, 18 août 2014) : « Au cours de nombreux entretiens menés ces deux derniers mois [avec des membres de l’État Islamique et du Front al-Nosra], ils ont décrit comment l’effondrement sécuritaire durant le Printemps arabe les a aidés à recruter, à se regrouper et à utiliser en leur faveur la stratégie occidentale – c’est-à-dire le soutien et l’entraînement de groupes afin de combattre des dictateurs. “Des Britanniques et des Américains nous avaient [également] entraînés durant le Printemps arabe en Libye”, d’après un homme surnommé Abou Saleh, qui a accepté d’être interrogé si son identité restait secrète. [Ce dernier], qui est originaire d’une ville proche de Benghazi, affirma qu’un groupe de Libyens et lui-même avaient bénéficié dans leur pays d’entraînements et de soutien de la part de membres des forces [spéciales] et des services de renseignement français, britanniques et états-uniens – avant de rejoindre le Front al-Nosra ou l’État Islamique [en Syrie]. Interrogées pour cet article, des sources militaires arabes et occidentales ont confirmé les affirmations d’Abou Saleh, selon lesquelles des rebelles en Libye avaient bénéficié d’“entraînements” et d’“équipements” durant la guerre contre le régime de Kadhafi » (accentuation ajoutée).
10. Pour illustrer la confusion qui règne sur les politiques profondes de la CIA en Syrie, y compris chez les spécialistes, j’ai détecté une erreur factuelle dans un article du grand reporter Régis Le Sommier. Dans cette analyse, qui est pourtant d’une grande pertinence, il est écrit que « la CIA devait entraîner 15 000 rebelles “modérés” [sic]. Ils ne sont en fin de compte que 60, regroupés dans la Division 30. » (Régis Le Sommier, « Pourquoi Daech est là pour durer », ParisMatch.com, 11 septembre 2015). En réalité, le Pentagone, et non la CIA, avait été chargé par le Congrès en 2014 de former 15 000 combattants sur 3 ans pour lutter contre Daech (« Des soldats américains entraîneront des rebelles syriens », TDG.ch, 16 janvier 2015). D’après l’important article duWashington Post cité précédemment, l’Agence aurait formé non pas 60 mais 10 000 combattants pour lutter contre le régime de Bachar el-Assad (Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut »). Cette erreur factuelle de la part d’un journaliste aussi compétent me semble être symptomatique de la confusion qui règne autour du rôle de la CIA en Syrie.
11. Depuis le début du conflit, les forces loyalistes de Bachar el-Assad ont commis des exactions massives contre la population civile. Ces actes sont aussi inhumains qu’indéfendables. Or, ils le sont tout autant que les politiques étrangères occidentales ayant généré plusieurs millions de morts et de blessés rien qu’en Irak, en Afghanistan et au Pakistan depuis un quart de siècle. Voir Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Les victimes ignorées des guerres de l’Occident : 4 millions de morts en Afghanistan, au Pakistan et en Irak depuis 1990 », VoltaireNet.org, 11 avril 2015. Allons plus loin dans ce raisonnement. Selon l’intellectuel Andre Vltchek, « “[d]epuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le colonialisme et le néocolonialisme occidentaux ont causé la mort de 50 à 55 millions de personnes” (…). À celles-ci, “mortes en conséquence directe de guerres déclenchées par l’Occident, de coups d’État militaires pro-occidentaux et d’autres conflits du même acabit”, s’ajoutent “des centaines de millions de victimes indirectes qui ont péri de la misère, en silence”. » (Nic Ulmi, « Noam Chomsky raconte “l’Occident terroriste” », LeTemps.ch, 12 juin 2015 [accentuation ajoutée]). Il me semblerait utile que les détracteurs les plus intransigeants de Bachar el-Assad – qui s’émeuvent à juste titre des exactions commises par le régime syrien –, en prennent conscience et fassent preuve de la même indignation à l’égard des politiques étrangères occidentales décrites dans cette note.
12. Comme je l’ai expliqué dans la première note, je tenterai de démontrer que l’engagement clandestin de la CIA et de ses partenaires occidentaux et moyen-orientaux en Syrie a été à la fois massif, trouble et illégal, et qu’il pourrait s’apparenter à une véritable guerre secrète multinationale. Ainsi, le caractère confidentiel de ces opérations explique pourquoi cette coresponsabilité est refoulée, incomprise ou minimisée en Occident.
13. Aux États-Unis, l’ONG FAIR – qui lutte contre la désinformation médiatique –, a souligné que « les activités clandestines pourtant bien documentées [de la CIA] en Syrie avaient été fréquemment ignorées lorsque les médias traitaient de l’approche “non-interventionniste” de l’administration Obama dans ce conflit (…) [U]n article duNew York Times (…) et un autre “article explicatif” de la guerre civile syrienne publié par Vox ont fait encore pire : ils n’ont pas seulement omis le fait que la CIA avait armé, entraîné et financé des rebelles depuis [janvier] 2012, mais ils ont lourdement sous-entendu qu’elle ne l’avait jamais fait. » (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government », [accentuation ajoutée]). En vérité, les services spéciaux occidentaux ont entraîné des rebelles en Libye dès 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda (Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them »).
14. Certains faiseurs d’opinion, comme Bernard Kouchner, nient toute coresponsabilité occidentale dans le drame syrien. Voir Maxime Chaix, « Non, Bernard Kouchner, Bachar el-Assad n’a pas “assassiné 230 000, 250 000 Syriens” », MaximeChaix.info, 13 octobre 2015. En général, les dirigeants politiques français ont admis avoir soutenu la rébellion « modérée et démocratique », comme François Hollande l’avait affirmé au journal Le Monde en août 2014 (« François Hollande confirme avoir livré des armes aux rebelles », LeMonde.fr, 20 août 2014). Or, deux députés français de premier plan ont accusé le gouvernement d’avoir clandestinement soutenu des rebelles pas aussi « modérés » qu’ils nous ont été présentés – l’un d’entre eux ayant même affirmé que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». Voir Maxime Chaix, « Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” », MaximeChaix.info, 1er juillet 2015. Dans ses mémoires, Hillary Clinton a affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en Syrie. Voir « I Wanted to Arm Syrian Rebels, but Obama Refused », Haartez.com, 6 juin 2014. Par conséquent, sachant que la CIA a été étroitement impliquée dans des opérations multinationales de trafic d’armes en faveur des rebelles, et ce depuis au moins janvier 2012, soit Hillary Clinton ment et protège Barack Obama, soit ce dernier ne maîtrise pas ses services spéciaux (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).
15. Je précise que mon ami et mentor intellectuel Peter Dale Scott – dont je suis le principal traducteur francophone –, n’a pas relu cette analyse avant sa publication. Par conséquent, les arguments défendus dans cet article n’engagent que moi. Pour lire une intéressante définition de la « Politique profonde » et des différents concepts développés par Peter Dale Scott, je vous recommande cet article – que j’ai récemment complété et actualisé : Bruno Paul, « La politique profonde et l’État profond », MaximeChaix.info, 29 juillet 2015.
16. Seymour M. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats », VoltaireNet.org (traduction : Institut Tunisien des Relations Internationales), 12 avril 2014 : « Au lendemain de l’attaque du 21 août [2013], Obama a ordonné au Pentagone de dresser une liste objectifs à bombarder. Au début, a déclaré l’ancien responsable du Renseignement, “la Maison-Blanche a rejeté 35 listes de cibles fournies par les chefs d’état-major sous prétexte que c’était insuffisamment ‘douloureux’ pour le régime d’Assad.” Les objectifs initiaux incluaient uniquement des sites militaires et aucune infrastructure civile. Sous pression de la Maison-Blanche, le plan d’attaque US a évolué vers une “frappe monstrueuse” : deux flottes de bombardiers B-52 ont été transférées vers des bases aériennes proches de la Syrie, et des sous-marins et des navires équipés de missiles Tomahawk ont été déployés. “Chaque jour, la liste de cibles s’allongeait”, m’a affirmé l’ancien responsable du Renseignement » (accentuation ajoutée).
Remarque importante : Seymour Hersh est un grand reporter mondialement renommé, qui est considéré commel’un des meilleurs journalistes aux États-Unis. Son analyse, et le rapport du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) cité dans la note suivante, mettent sérieusement en doute la responsabilité du régime el-Assad dans les attaques chimiques de la Ghouta. En 2014, Franz-Olivier Giesberg avait déploré que l’article de Seymour Hersh et le rapport du MIT n’avaient quasiment pas été repris dans la presse (Franz-Olivier Giesberg, « FOG : Ayons le courage de le dire… », LePoint.fr, 26 juin 2014).
17. Armin Arefi, « Attaque chimique en Syrie : le rapport qui dérange », LePoint.fr, 19 février 2014 : « Une étude du prestigieux MIT affirme que le massacre chimique d’août 2013 a été perpétré depuis une zone rebelle, contredisant les affirmations occidentales » (accentuation ajoutée).
18. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » : « Pendant des mois, il y avait eu une vive inquiétude parmi les dirigeants militaires et la communauté du renseignement sur le rôle joué dans la guerre par des voisins de la Syrie, en particulier la Turquie. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan était connu pour son soutien au Front Al-Nosra, une faction djihadiste de l’opposition rebelle, ainsi qu’à d’autres groupes rebelles islamistes. “Nous savions qu’il y en avait certains dans le gouvernement turc”, m’a dit un ancien haut responsable du renseignement états-unien qui a toujours accès aux dossiers, “qui ont cru qu’ils pouvaient choper Assad par les couilles en l’impliquant dans un attentat au gaz sarin à intérieur de la Syrie – et forcer Obama à réagir”. (…) Tandis que des bribes d’information et autres données étaient recueillies sur les attaques du 21 août, la communauté du Renseignement a vu des preuves venir étayer ses soupçons. “Nous savons désormais qu’il s’agissait d’une opération clandestine planifiée par les gens d’Erdoğan pour pousser Obama à franchir la ligne rouge”, a dit l’ancien responsable du Renseignement » (accentuation ajoutée).
19. Ibidem : « À fin août, le président avait donné aux chefs d’état-major une date limite pour le lancement des opérations. “L’heure H devait être au plus tard lundi matin [2 septembre], un assaut massif pour neutraliser Assad” a dit l’ex-responsable du Renseignement. Ce fut donc une surprise pour beaucoup quand, lors d’un discours à la Maison-Blanche dans le Jardin des roses, le 31 août, Obama déclara que l’attaque était repoussée, et qu’il se retournait vers le Congrès pour la soumettre à un vote » (accentuation ajoutée).
20. « Les enseignements de la guerre en Syrie », Reforme.net, 26 août 2015 : « “En 2011, les Occidentaux ont péché par leur assurance, attisée par leur succès initial en Libye, après l’intervention qui a abouti à la mort du colonel Kadhafi, [selon Fabrice Balanche]. Ce succès couronnait vingt années d’hégémonie occidentale sur le monde, depuis l’effondrement de l’URSS. Mais depuis le camouflet qu’a constitué pour eux l’intervention armée en Libye, les Russes ont décidé de défendre leurs intérêts de manière plus agressive, notamment au moyen de leur droit de veto à l’ONU. Et si les Occidentaux, États-Unis en tête, décident d’intervenir sans aval du Conseil de sécurité, le Kremlin a fait savoir qu’il ne resterait pas les bras croisés.” Selon le chercheur, c’est ce qui s’est passé, en septembre 2013, quand la flotte américaine s’est approchée des côtes syriennes, peu après les révélations de l’utilisation d’armes chimiques par Damas. En face, la Russie avait installé des batteries de DCA. Les Américains finirent par s’éloigner, mais l’affrontement direct fut évité de peu » (accentuation ajoutée).
21. Hersh, « La ligne rouge et celle des rats » : « Ce sont les chefs d’état-major qui ont conduit Obama à changer de cap. L’explication officielle de la Maison-Blanche pour la volte-face – telle que racontée par les médias – était que le président (…) a soudainement décidé de demander l’approbation de la frappe à un Congrès profondément divisé avec lequel il était en conflit depuis des années. L’ancien responsable du département de la Défense m’a dit que la Maison-Blanche [aurait] fourni une explication différente aux membres de la direction civile du Pentagone : la frappe avait été annulée suite à des analyses selon lesquelles, en cas [d’attaque états-unienne], “le Proche-Orient [s’embraserait]”. »
22. Londoño et Miller, « CIA begins weapons delivery to Syrian rebels ». En réalité, la CIA et le MI6 ont clandestinement armé les rebelles en Syrie depuis au moins janvier 2012, mais essentiellement via la logistique et les financements du Qatar, de la Turquie et de l’Arabie saoudite (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).
23. Je recommande vivement aux lecteurs anglophones l’analyse suivante de Joel Veldkamp, un étudiant du Centre des Études sur le Moyen-Orient de l’Université de Chicago. Résumant l’un de ses travaux universitaires, son article expose la succession de mensonges politiques et de déformations médiatiques sur l’engagement soi-disant « limité » des États-Unis en Syrie. Il montre comment la communication trompeuse de l’administration Obama a dissimulé, depuis 2012, des politiques profondes de guerre secrète dans ce pays. Enfin, je tiens à préciser que cet article a été publié sur le site de Joshua Landis, un professeur de l’Université d’Oklahoma qui est considéré comme l’un des principaux experts de la Syrie. Joel Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees », JoshuaLandis.com, 14 août 2015.
24. D’après le Washington Post, les forces spéciales et les services secrets occidentaux ont entraîné des rebelles en Libyeen 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda. Voir Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them ». Ces informations semblent corroborer les révélations précoces de l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi. En effet, en décembre 2011, ce dernier expliquait que des « [a]vions non immatriculés de l’OTAN [étaient] en train de se poser dans des bases militaires turques proches d’Alexandrette, vers la frontière syrienne, livrant des armes pillées dans les arsenaux de feu Mouammar Kadhafi. Ces avions acheminaient aussi des miliciens du Conseil National de Transition libyen ayant de l’expérience dans la mobilisation de volontaires locaux contre des soldats entraînés – un savoir-faire qu’ils ont acquis en combattant l’armée de Kadhafi. Alexandrette est également le siège de l’Armée Syrienne Libre, la branche armée du Conseil National Syrien. Des instructeurs des forces spéciales françaises et britanniques sont sur le terrain pour aider les rebelles syriens, tandis que la CIA et les forces spéciales états-uniennes fournissent des équipements de communication et des renseignements pour soutenir la cause des rebelles, permettant à ces combattants d’éviter les concentrations de soldats syriens » (accentuation ajoutée). Voir Philip Giraldi, « NATO vs. Syria », TheAmericanConservative.com, 19 décembre 2011.
25. Au sujet des centres de commandement multinationaux des opérations de la CIA en Turquie et en Jordanie, voir notamment Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » : « [L]es responsables américains du renseignement militaire [ont] supervis[é] la fourniture d’armes et l’aide des États du Golfe et de la Turquie, à partir des mêmes centres de commandement opérationnel dans le Sud de la Turquie et en Jordanie, qui continuent d’être coordonnés conjointement par les services de renseignement occidentaux et arabes (…) » (accentuation ajoutée). D’autres sources analysant les activités de ces centres de commandement seront exposées dans cette analyse.
26. Concernant les « nombreux pays hostiles à Bachar el-Assad », voir la note 5.
27. Trevor Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA », TheGuardian.co.uk, 17 novembre 2014 : « [L]es informations sur les armes qui étaient déjà clandestinement acheminées en Syrie ont été dissimulées à la majeure partie du Congrès. John Kerry refusa de répondre aux questions sur les activités de le CIA en Syrie lorsqu’il fut interrogé par la Commission sénatoriale des Affaires étrangères, bien que des informations sur l’implication de l’Agence [dans ce pays] aient fait les gros titres pendant des années. “Je déteste dire cela”, déclara-t-il, “mais je ne peux ni confirmer ni démentir tout ce qui a été écrit à ce sujet, et je ne peux parler de toutpossible programme” » (accentuation ajoutée).
28. Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees ». Encore une fois, je recommande vivement cette analyse aux lecteurs anglophones. Pour compléter cette réflexion et mon propre article, l’analyse suivante est tout aussi importante : Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».
9. En général, les dirigeants politiques français ont admis avoir soutenu la rébellion « modérée et démocratique », comme François Hollande l’avait affirmé au journal Le Monde en août 2014 (« François Hollande confirme avoir livré des armes aux rebelles »). Or, deux députés français de premier plan ont accusé le gouvernement d’avoir clandestinement soutenu des rebelles pas aussi « modérés » qu’ils nous ont été présentés – l’un d’entre eux ayant même affirmé que « la France soutient al-Qaïda en Syrie ». Voir Chaix, « Selon le député Claude Goasguen, “la France soutient al-Qaïda en Syrie” »). Concernant la Grande-Bretagne, nous verrons que le soutien clandestin du MI6 en faveur de réseaux jihadistes en Libye et en Syrie a été discrètement reconnu par la justice.
30. Comme nous l’avons vu, Hillary Clinton a affirmé que le Président Obama avait refusé d’armer les rebelles en Syrie. Voir « I Wanted to Arm Syrian Rebels, but Obama Refused ». Par conséquent, sachant que la CIA a été étroitement impliquée dans des opérations multinationales de trafic d’armes en faveur des rebelles, et ce depuis au moins janvier 2012, soit Hillary Clinton ment et protège Barack Obama, soit ce dernier ne maîtrise pas ses services spéciaux (Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government »).
31. Pour des détails sur ces opérations, voir C.J. Chivers et Eric Schmitt, « Arms Airlift to Syria Rebels Expands, With Aid From C.I.A. », NYTimes.com, 24 mars 2013. Au moment où cet article fut publié, les livraisons d’armes aux rebelles étaient en train de s’intensifier, d’après le New York Times. Seymour Hersh a également révélé un rôle actif du MI6 britannique dans ces opérations, ce qui aurait permis à la CIA d’échapper à la supervision du Congrès (Hersh, « La ligne rouge et celle des rats »). Je reviendrai sur ce point crucial.
32. Robert Winnett, « Syria: 3,500 tons of weapons already sent to rebels, says Lord Ashdown », Telegraph.co.uk, 1erjuillet 2013. Cet article rapporte les propos alarmants du parlementaire britannique Lord Ashdown : « “[Les rebelles en Syrie] n’ont pas besoin d’armes. Il n’a pas été démenti que 3 500 tonnes d’armes avaient été livrées depuis la Croatie avec l’aide de la CIA. Financés par les Qataris, financés par les Saoudiens, [ces armements] sont allés presque exclusivement vers les groupes les plus extrémistes”, déclara l’ancien haut représentant international en Bosnie lors d’un débat [parlementaire] » (accentuation ajoutée).
33. « Syrie : les Russes ont frappé les rebelles formés par la CIA (sénateur McCain) », LOrientLeJour.com avec AFP, 1eroctobre 2015.
34. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant » : [L]a revendication de Joe Biden [selon laquelle] “nous ne pouvions pas convaincre nos collègues [turcs, qataris et saoudiens] de cesser [d’]approvisionner” [les islamistes] dissimule le fait que la CIA a été directement impliquée dans la gestion de ces réseaux d’approvisionnement rebelles. » ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS », CSPAN.org, 20 septembre 2014 : « Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire de Daech] ?” Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” Sénateur Graham : “Oui, mais est-ce qu’ils en embrassent la cause ? Ils (…) ont financé [Daech] car l’Armée Syrienne Libre ne pouvait pas combattre Assad, ils essayaient de battre Assad, et je pense qu’ils ont réalisé à quel point ces méthodes étaient folles. » Sans surprise, le sénateur Graham n’a pas dit un mot sur l’implication de la CIA et de ses partenaires occidentaux dans cette stratégie de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar.
35. Ahmed, « Ennemis perpétuels : comment les États-Unis soutiennent Daech en le combattant ». Si l’on en croit la Brookings Institution, en avril 2015, « [l]a branche officielle d’al-Qaïda en Syrie, et une autre milice étroitement liée à [cette nébuleuse terroriste], faisaient partie des milices “modérées” et “triées sur le volet” [par la CIA] qui reçoivent des armes et du soutien de la part d’États du Golfe et de la Turquie, sous la supervision de personnel des [services spéciaux] états-uniens sur le terrain » (accentuation ajoutée). Nous reviendrons en détail sur cette analyse.
36. Timm, « If you thought the Isis war couldn’t get any worse, just wait for more of the CIA » : « Le plus choquant est peut-être de savoir que Barack Obama a lui-même lu l’étude de la CIA, et qu’il a conscience qu’armer les rebelles en Syrie – ou n’importe où ailleurs – était une idée incroyablement dangereuse. Parlant visiblement de cette étude, Obama déclara à David Remnick du New Yorker [en 2014] : “Très tôt dans ce processus, j’ai en fait demandé à la CIA d’analyser des exemples de réussites dans le financement et l’approvisionnement en armes des insurrections. Et ils n’ont pas réussi à m’en donner beaucoup.” » Cette posture « non-interventionniste » d’Obama a été récemment exagérée par certains médias. Voir Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».
37. Voir par exemple Adam Entous, « Covert CIA Mission to Arm Syrian Rebels Goes Awry », WSJ.com, 26 janvier 2015 : « Des hauts responsables [états-uniens] défendent la décision de maintenir un réseau d’approvisionnement en armes réduit [sic] et étroitement contrôlé [sic], citant leur préoccupation que des armements pourraient tomber entre de mauvaises mains. (…) En dépit des contrôles, des armes ont néanmoins basculé du mauvais côté. » Comme nous l’avons vu, et comme je le monterai en apportant d’autres sources, cet argument du « réseau d’approvisionnement en armes réduit et étroitement contrôlé » est grossièrement mensonger. Voir notamment Veldkamp, « How to Understand Those 60 Trainees » ; Johnson, « Down the Memory Hole: NYT Erases CIA’s Efforts to Overthrow Syria’s Government ».
38. Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut ». Bien que ce programme soit décrit comme « inefficace » par des parlementaires interrogés dans cet article, les journalistes citent pourtant des hauts responsables anonymes vantant les réussites de cette opération multinationale – tout en prenant soin de la limiter au soutien d’une milice « modérée » au sud de la Syrie. Nous allons voir que la réalité est bien plus complexe.
39. Roy Gutman et Mousab Alhamadee, « Tense relations between U.S. and anti-Assad Syrian rebels », McClatchyDC.com, 5 septembre 2014.
40. Miller et DeYoung, « Secret CIA effort in Syria faces large funding cut ». Sur la création et le soutien, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, d’une coalition de groupes islamistes comprenant al-Qaïda comme l’une de ses principales forces, voire Mathieu, « Syrie : l’Armée de la conquête sur le chemin de Damas » ; « General Dempsey aknowledges U.S. Arab allies funding ISIS » : Sénateur Lindsey Graham : “Connaissez-vous un allié arabe de premier plan qui embrasse la cause de l’EIIL [, c’est-à-dire Daech] ?” Général Martin Dempsey : “Je sais que des alliés arabes de premier plan les financent…” » ; etc.
41. D’après le Washington Post, les forces spéciales et les services secrets occidentaux ont entraîné des rebelles en Libyeen 2011, ces derniers ayant été envoyés combattre en Syrie avant de rejoindre al-Qaïda. Voir Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them ». Ces informations semblent corroborer les révélations précoces de l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi (cf. note 24).
42. Adèle Smith, « Wikileaks dévoile les secrets de la “CIA privée” », LeFigaro.fr, 27 février 2012.
43. Scott Stewart, « The Consequences of Intervening in Syria », Stratfor.com, 31 janvier 2013 (accentuation ajoutée).
44. Ibidem (accentuation ajoutée).
45. Ibidem.
46. Steven R. Weisman, « PRESIDENT CALLS NICARAGUA REBELS FREEDOM FIGHTERS; News session transcript, page D22 », New York Times, 5 mai 1983 (accentuation ajoutée).
47. Peter Dale Scott, La Route vers le nouveau désordre mondial : 50 ans d’ambitions secrètes des États-Unis (Éditions Demi-Lune, Paris, 2010), p.174 : « Dans les années 1980, les Soviétiques se sont heurtés dès le départ à l’opposition des moudjahidines (appelés “combattants de la liberté” à Washington et “terroristes” à Moscou), qui furent armés, financés et entraînés dès 1978 – peut-être même plus tôt – par les services secrets combinés du Pakistan, de l’Arabie saoudite et la CIA » (accentuation ajoutée).
48. Ibidem, pp.167-93 (chapitre 6).
49. Gilles Bataillon, «Contras et reContras nicaraguayens (1982-1993) : réflexions sur l’action armée et la constitution d’acteurs politico-militaires», Cultures & Conflits (en ligne), hiver 1993 : « La multiplication des opérations armées [des Contras] sur l’ensemble du territoire à partir de 1982, les attaques systématiques des coopératives sandinistes, les exécutions sommaires de représentants et de responsables locaux du pouvoir sandiniste, ne visent pas seulement à affaiblir l’adversaire et à l’installer dans une position défensive. Elles visent tout autant à démontrer la matérialité du conflit ami/ennemi sur l’ensemble du territoire et à détruire, moins des objectifs économiques vitaux pour l’économie du pays (du moins de 1982 à 1985), que tout ce qui peut symboliser l’avènement d’un “monde nouveau”. Ainsi les groupes qui, venant des camps d’entraînement honduriens ou costariciens, cheminent jusqu’au centre du pays et y multiplient les coups de main contre les coopératives sandinistes, les postes militaires, les activistes du Front, cherchent tout autant à accréditer l’idée d’une guerre généralisée à l’ensemble du territoire qu’à mener des opérations en fonction de plans de bataille strictement militaires. De même leurs exactions sanglantes contre des coopérateurs, des activistes souvent adolescents, des femmes et parfois même des enfants ne s’inscrivent nullement au registre d’une quelconque efficacité guerrière, mais sont à mettre au compte de la volonté de multiplier les mises en scène du conflit ami/ennemi et son caractère inexpiable. »
50. Dennis Kucinich, « Le Congrès US autorise le soutien des “rebelles” », DeDefensa.org, 19 septembre 2014 (accentuation ajoutée).
51. Richard Labévière, « Diplomatie française : improvisations, revirements et amateurisme… », ProchetMoyen-orient.ch, 28 septembre 2015 : « Les yeux toujours rivés sur le baromètre intérieur, François Hollande demande instamment à Laurent Fabius d’organiser à Paris, le 8 septembre dernier, une conférence internationale pour venir en aide aux Chrétiens et autres minorités d’Orient. Celui-ci s’exécute à reculons, toujours partisan d’armer l’opposition syrienne “laïque et modérée” pour en finir avec Bachar, c’est-à-dire “les bons p’tits gars de Nosra”, comme il l’affirmait en décembre 2012 lors d’un voyage au Maroc. Rappelons que Jabhat al-Nosra, c’est tout simplement Al-Qaïda en Syrie, qui achète et absorbe, depuis plusieurs années, les rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) qui n’existe plus que sur le papier. Rien appris, rien oublié ! Laurent Fabius persiste et signe. Cette conférence est un fiasco absolu. »
52. Gareth Porter, « Obama won’t admit the real targets of Russian airstrikes », MiddleEastEye.net, 16 octobre 2015. Pour les lecteurs anglophones, cet article est à lire intégralement. En effet, son auteur réussit à expliquer que les États-Unis soutiennent des jihadistes via leurs alliés moyen-orientaux, mais sans l’affirmer directement. On peut le déduire rien qu’en lisant le titre de son analyse (« Obama n’admettra pas les vraies cibles des frappes aériennes russes »). Du grand journalisme, argumenté, subtil, et documenté.
53. « Syrie : les Russes ont frappé les rebelles formés par la CIA (sénateur McCain) », LOrientLeJour.com avec AFP, 1eroctobre 2015.
54. Ryad Ouslimani et Philippe Corbé, « Syrie : les Russes “ont frappé pour une bonne part des résistants”, selon Laurent Fabius », RTL.fr, 1er octobre 2015. Au lendemain des attentats de janvier 2014, je m’étais offusqué de la politique étrangère de la France en Syrie, et notamment des prises de position scandaleuses de Laurent Fabius quant au « bon boulot » d’al-Qaïda en Syrie (Voir Maxime Chaix, « Al-Qaïda : terroriste en France, alliée en Syrie », DeDefensa.org, 10 janvier 2014).
55. « Syrie : qui se cache derrière les rebelles », entretien avec Alain Rodier, Figaro.fr/Vox, 13 octobre 2015 (accentuation ajoutée). Ancien officier supérieur des services français, Alain Rodier est un expert du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), dont je recommande le site et les analyses.
56. Mekhennet, « The terrorists fighting us now? We just finished training them » (cf. note 9).
57. Steven Chovanec, « Why We Must Not Arm Even One More Syrian Rebel », LevantReport.com, 16 juillet 2015 : « En avril [2014], le leader du Front Révolutionnaire Syrien “modéré” et soutenu par les États-Unis a reconnu qu’al-Qaïda n’était “pas [son] problème”, et que ses combattants menaient des opérations conjointes avec al-Nosra. “Si les gens qui nous soutiennent nous disent d’envoyer des armes à un autre groupe, nous les envoyons. Il y a un mois, [le Front al-Nosra,] nous [a] demandé d’envoyer des armes à Yabroud, donc nous avons envoyé beaucoup d’armes là-bas (…).” Le colonel Okaidi (…) est l’un des principaux commandants rebelles “modérés” à être soutenu par les États-Unis, et il est l’un des premiers bénéficiaires de l’aide occidentale. Dans une vidéo, qui a été authentifiée par [l’expert de la Syrie] Joshua Landis (…), [Okaidi] a déclaré lors d’une interview : “Ma relation avec les frères de l’EIIL [Daech] est bonne… Je communique tous les jours avec les frères de l’EIIL… Notre relation est bonne, elle est même fraternelle.” » Remarque importante : ne les ayant pas reproduites, j’ai néanmoins vérifié les sources de Monsieur Chovanec avant de traduire ces informations alarmantes.
58. Charles Lister, « The West is walking into the abyss on Syria », Brookings.edu, 28 septembre 2015. Dans cet article, Monsieur Lister souligne le récent fiasco du Pentagone dans l’entraînement des rebelles contre Daech, mais sans évoquer le programme de la CIA – ce qui donne l’impression que l’Agence et ses alliés ne sont pas intervenus dans ce conflit ; puis il attribue la responsabilité de la montée en puissance des factions jihadistes à Bachar el-Assad. Une ou plusieurs sources prouvant ses accusations auraient été appréciables.
59. Charles Lister, « Are Syrian Islamists moving to counterbalance Al-Qaeda? Will it last? », Brookings.edu, 23 mars 2015 (accentuation ajoutée). En écrivant cela, il souligne néanmoins qu’« en public », ce fait est « rarement reconnu explicitement ».
60. Voir par exemple Joseph Fitsanakis, « Analysis: Bandar’s return affirms hawkish turn in Saudi foreign policy », IntelNews.org, 26 juillet 2012 : « Bandar “veut voir l’Arabie saoudite gonfler ses muscles, en particulier si les Américains sont avec lui [au Moyen-Orient]”, selon [un spécialiste du Woodrow Wilson Center nommé] Ottaway. Et il y a des chances qu’ils le seront, au vu des contacts étroits du prince Bandar au sein de la communauté du Renseignement états-unien. Le commentateur saoudien Jamal Khashoggi a déclaré que le style de Bandar est “plutôt agressif, aux antipodes de celui des diplomates saoudiens, qui sont habituellement prudents ; et il sera libre de faire ce qu’il estime nécessaire”, en particulier dans le cas de la Syrie » (accentuation ajoutée).
61. Ibidem : « La rumeur veut que, durant le premier mandat de George W. Bush, George Tenet – qui était alors directeur de la CIA –, se serait saoulé dans la grandiose maison de Bandar à Washington. Il serait alors tombé tout habillé dans la piscine, avant d’être secouru par l’un des serviteurs de Bandar. Si cette histoire est vraie, elle indique un degré d’intimité plutôt dérangeant dans la relation du prince avec l’establishment de politique étrangère des États-Unis, sur lequel l’Arabie saoudite va sans aucun doute s’appuyer dans les prochaines années » ; voir Peter Dale Scott,L’État profond américain : la finance, le pétrole et la guerre perpétuelle (Éditions Demi-Lune, Plogastel-Saint-Germain, 2015), p.159 : « [I]l est compréhensible que George Tenet, le directeur de la CIA sous George W. Bush, ait suivi le précédent de [William] Casey [, le directeur de l’Agence sous Reagan,] en rencontrant une fois par mois environ le prince Bandar, l’ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis – mais sans révéler le contenu de leurs discussions aux officiers de la CIA chargés des questions saoudiennes » (accentuation ajoutée). Voir aussi la note précédente.
62. J’ai utilisé l’expression « désignés coupables » car – près d’une quinzaine d’années après les attentats du 11-Septembre –, la perspective d’un procès régulier et équitable des accusés du 11-Septembre illégalement détenus à Guantanamo continue de s’éloigner. N’en déplaise aux esprits conformistes, la vérité sur ces attaques est donc loin d’être établie. Voir par exemple : « La moitié des prisonniers de Guantanamo resteront enfermés “indéfiniment” », LeMonde.fr avec AFP, 1er septembre 2015. Voir également Bob Graham ; « Il faut rouvrir l’enquête du 11-Septembre! », HuffingtonPost.fr, 9 novembre 2012 ; concernant les accusations sur le rôle présumé du prince Bandar et de l’Arabie saoudite dans le 11-Septembre, voir Nafeez Mosaddeq Ahmed, « Mille et un 11 septembre », MiddleEastEye.net, 15 septembre 2015 : « [L]es États-Unis savaient que le prince Bandar était lié aux attentats du 11 septembre, selon des fuites dans la presse au sujet des célèbres 28 pages classifiées du rapport de l’enquête du Congrès publié en 2002. Dans son livre Intelligence Matters (2004), le sénateur Bob Graham, vice-président de la commission d’enquête, évoque une note top-secrète de la CIA concernant deux pirates de l’air du 11 septembre, Khalid al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi, qui conclut qu’il y avait “des preuves irréfutables qu’il existe un soutien pour ces terroristes a