Historique
Les premières manufactures d’armes apparaissent en France à la fin du 17ème siècle, d’abord à Charleville Mézière, puis à Maubeuge, St Etienne …
En 1945, elles seront regroupées sous le nom de DTAT et rattachés au ministère de la Guerre, puis en 1971, ce sera Giat Industries (Groupement industriel des armements terrestres) sous tutelle du ministère des Armées.
En 1990, Giat deviendra la société GIAT SA contrôlée à 100% par l’Etat.
En 2006, après un plan drastique de restructuration, réduction massive d’effectifs et fermeture de sites, une nouvelle entité NEXTER sera créée, contrôlée par la Holding GIAT, elle-même toujours détenue à 100% par l’État français.
Situation actuelle : la production et les implantations « douteuses »
La production de Nexter est organisée selon 3 pôles : Système pour l’artillerie, Munitions pour les munitions de moyen et gros calibre, Équipements pour l’électronique, l’optique …
Son développement a été assuré par des acquisitions de sociétés : SNPE (société nationale des poudres et explosifs), Paul Bové technologie (tenue de combat), Mecar en Belgique et Simmel Difesa en Italie.
Selon son document de référence, le groupe Nexter est engagé « aux côtés des forces de défense de plus de 100 pays »
Mais seuls 5 pays seront privilégiés, avec une implantation de proximité.
« Au 31 décembre 2014, Nexter comptait 3 300 employés répartis sur 10 sites en France, deux sites en Europe issus du rachat l’an dernier de deux sociétés munitionnaires (l’une en Belgique et l’autre en Italie), des succursales à Ryad et Abou Dhabi, ainsi que trois filiales de commercialisation, en Inde, en Espagne et au Canada » (déclaration du PDG à la commission AN du 14 janvier 2015)
Or l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis posent de graves questions éthiques quant à leurs pratiques démocratiques et à leurs relations avec « l’Etat islamique » .
On peut, à titre d’exemple, citer le titre d’une tribune de l’écrivain algérien Kamel Daoud, publiée par le quotidien américain The New York Times :
« L’Etat islamique a un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique »
Des ventes et des profits
En 2014, le chiffre d’affaires est de 1 milliard €, en hausse de 33% par rapport à 2013.
Les ventes d’armes à l’étranger représentent 53% du chiffre d’affaires.
Et l’année 2015 s’annonce sous de « très bons auspices », avec 1,237 milliard d’euros de prises de commandes dont 56 % à l’exportation.
« Depuis 2006, Nexter est continûment profitable et a versé un milliard de dividendes à l’État tout en continuant à investir environ 25 millions d’euros par an et à consentir un effort très significatif en recherche et développement (R & D), à hauteur de 18 % environ du chiffre d’affaires » (déclaration du PDG à la commission Assemblée Nationale)
En 2014, le résultat représente 11% de ce chiffre d’affaires avec 118 millions €, en hausse de 59% par rapport à 2013.
En 2014, sur les 100 premières entreprises mondiales d’armement, les Etats Unis se taillent la part du lion avec 59% du chiffre d’affaires mondial, suivie par la Grande Bretagne avec 11%, puis la Russie avec 7% et la France arrive en 4ème position avec 5%.
Pour la France, la première position est détenue par la division armement de Thales, suivie par celle de Safran, puis par DCNS et Nexter.
Une des filiales de Thales spécialisée dans l’armement (TDA) a vu son chiffre d’affaires passer de 60 millions € en 2006 à 82 millions € en 2014 avec des pointes de 125 millions € en 2012.
Son résultat d’exploitation a connu une progression bien plus forte : de 5 millions € en 2006 à 14 millions € en 2014, avec une pointe de 28 millions € en 2012.
Privatisation de Nexter et les « malheureux hasards » du calendrier
Après les massacres de Paris, trois jours de deuil national ont été décrétés pour la période du 15 au 17 novembre.
Mais au cours de ces 3 mêmes jours, un autre décret paraissait en toute discrétion, celui annonçant la privatisation de Nexter :
« DECRET PARU AU JOURNAL OFFICIEL DU 17 NOVEMBRE
Décret n° 2015-1483 du 16 novembre 2015 autorisant le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Nexter Systems SAPublic concerné : société Nexter Systems.
Objet : autorisation du transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Nexter Systems SA.
Entrée en vigueur : le texte entre en vigueur le lendemain de sa publication.
Notice : le présent décret est pris en application de l’article 189 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Cette loi autorise le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société Groupement industriel des armements terrestres (GIAT) et de ses filiales. »
Cette publication en pleine période de deuil national paraît proprement indécente.
Ce projet se pare de vertus en prenant le nom d’un philosophe allemand du 18ème siècle. Mais il n’a d’allemand que la nationalité d’une usine d’armement : KMW, société contrôlée par la famille Bode Wegmann. En effet, la privatisation a pour seul objectif de donner un cadre juridique au «rapprochement» de Nexter avec cette société allemande.
Après un an de tractations, un accord a été signé à Munich (moins mortifère que celui de 1938, espérons le!).
« Munich/Versailles, le 29 juillet 2015 –Nexter Systems et Krauss-Maffei Wegmann, deux des principaux leaders européens de la défense terrestre, ont scellé aujourd’hui leur alliance annoncée il y a un an… » selon le communiqué de presse.
Cette alliance était conditionnée à l’autorisation des deux Etats, l’Allemagne l’a donné le 24 aout et la France le 16 novembre.
La totalité des actions de Nexter et de KMW sera transférée à une société Holding Newco domiciliée au Pays Bas, créée pour l’occasion.
Nexter et KMW deviendront filiales de Newco, en principe à partir du 1er janvier 2016.
Les actionnaires de Newco seront à parité l’Etat français et la famille Bode Wegmann ( 27 membres).
Pour, cependant, s’assurer d’un contrôle renforcé, l’Etat français bénéficie d’une action spécifique (Golden Share) qui lui donne droit de veto en cas de projet de modification concernant les activités armes et munitions.
Cette structure, devant être opérationnelle au 1er janvier 2016, est prévue pour durer 5 ans, période au cours de laquelle les actionnaires s’engagent à conserver leurs actions. Au-delà, il pourrait y avoir d’autres transformations juridiques, fusion, introduction en Bourse … ?
Les deux entreprises sont en bonne santé et de taille comparable excluant ainsi tout rapport de domination, leurs productions sont à la fois similaires et complémentaires.
La mutualisation des ressources financières, des compétences et des capacités industrielles est rendue nécessaire par la forte concurrence des pays émergents.
Elle est indispensable, face aux risques et menaces actuels.
Nexter a coûté à l’Etat, donc au contribuable, 4,5 milliards € lors de la restructuration de GIAT et de la création de Nexter.
La rentabilité de Nexter est due aux contrats juteux passés avec le ministère de la défense, les dividendes versés ne sont, en fait, qu’un simple retour.
L’éthique de KMW a été ternie en 2014, (article des Echos du 1er juillet 2014)
« la société fait l’objet d’une enquête de la justice grecque, qui l’accuse d’avoir versé des pots-de-vin dans le cadre de sa livraison de 170 chars à la Grèce pour 1,7 milliard d’euros au début des années 2000»
Et les clients importants de KMW sont le Qatar et l’Arabie saoudite.
L’abandon de la souveraineté nationale sur les ventes d’armement paraît en contradiction avec la volonté de lutter contre le terrorisme.
Avec la privatisation, la recherche du maximum de profit prévaudra sur la sécurité des citoyens.
Et pourquoi tant de discrétion sur cette privatisation ?
Document de référence 2011 et 2014 de Nexter
Comptes TDA armement sas 2006-2014
Commission de la défense nationale et des forces armées : rapport du 14 janvier 2015
JORF n°0266 du 17 novembre 2015 page 21418
Journal les Echos du 1/7/2014
Communiqué de presse du 29 juillet 2015
Article La Tribune du 29/7/2015
Magazine américain défense nexw TOP 100 for 2015