La France agricole en faillite
La France agricole en faillite
Le 17 Février 2016
Nouvelle journée d’action des paysans en colère ce mercredi à Rennes. Le siège du salon de l’agriculture, fin février, est programmé
Rares sont sans doute les agriculteurs français à connaître le nom de l’historien Gaston Roupnel. Beaucoup feraient bien, pourtant, d’utiliser pour leurs slogans des extraits de son livre majeur: «L’histoire de la campagne française». publié en 1932. Pas un chapitre où le lien charnel, vital, existentiel entre l’hexagone et la paysannerie n’est souligné. «Cette terre encore mouillée de ses frais limons glaciaires» écrivait-il. «L’homme y était déjà fixé sur chaque terroir par des liens éternels». Une phrase symbole de l’abysse qui, depuis, s’est creusée sous les pieds des agriculteurs, devenus aujourd’hui une caste minoritaire, voire marginalisée, dans un pays que leurs prédécesseurs ont façonné. «Ce n’est pas une crise de nature économique. C’est une crise existentielle dont le pays entier va payer le prix», s’époumonait encore lundi, juste avant le Conseil européen des ministres de l’agriculture, le patron du principal syndicat agricole FNSEA, Xavier Belin.
Blocage routier de la ville bretonne de Vannes en début de semaine. Nouvel assaut prévu sur Rennes, ce mercredi, pour en couper les rocades d’accès. Mouvements annoncés sur plusieurs plate-formes de la grande distribution alimentaires en région Rhône Alpes. Alerte rouge autour du 53ème salon de l’agriculture à Paris, qui ouvrira ses portes à Paris le 27 février. La vérité est que le malaise agricole français est bien plus qu’une crise économique liée à l’abandon des quotas laitiers européens en 2015, ou à l’écroulement des cours mondiaux du porc: «C’est une faillite sociale et politique juge Vincent, un responsable du centre national des jeunes agriculteurs en Bretagne, région phare de la contestation. Etre paysan aujourd’hui en France, c’est voir le pays entier vous tourner le dos et penser que vous êtes inutile».
Les raisons de la faillite sont connues. Elles tiennent, surtout, à l’implosion d’un modèle agricole protecteur, conçu dans les années soixante alors que les paysans représentaient six millions d’emplois, soit près de 30% du marché du travail. Impossible, alors, de dissocier les communes rurales du monde agricole. Les éleveurs, particulièrement sinistrés aujourd’hui, règnent à l’époque sur les mœurs politiques de régions comme la Bourgogne, la Bretagne, ou le Limousin. La viande de Charolais, ou celle de Salers, dominent sans partage le monde bovin. Et les meilleurs taureaux français fécondent les troupeaux en Amérique Latine, ou en Australie. Problème: la filière hexagonale n’en a tiré aucune leçon. Plutôt que de miser sur l’étiquette, sur la qualité et sur le marketing synonyme, les syndicats paysans et leurs cortèges d’élus ont préféré se partager les subventions arrachées à Bruxelles. «Regardez ce que les viticulteurs ont réussi», explique un économiste de France Stratégie, l’ancien commissariat au plan. En 2015, les exportations de spiritueux français ont battu tous les records (11,7 milliards d’euros de recette, en hausse de 8% par rapport à 2014). Le reste du monde rural français, en revanche, est exsangue. «Car personne, malgré quelques labels de qualité, n’a pensé l’avenir en termes de concurrence et d’image.»
L’ancien ministre de l’agriculture Bruno Le Maire, aujourd’hui candidat aux primaires présidentielles de la droite, fait partie de ceux qui fulminent le plus contre son successeur depuis 2012, le socialiste sarthois Stéphane Le Foll, revenu lundi presque bredouille de Bruxelles. Son combat? «Le soutien urgent aux prix. Il est indispensable et incontournable», explique-t-il au Temps. Il faut remettre de la régulation sur les marchés agricoles. Sauf que le système, reconnaissent les experts, est vérolé. Depuis une décennie, la distribution de 9 à 10 milliards d’euros d’aides par an a été surtout happée par les gros producteurs. Lesquels ont laissé s’éroder la compétitivité de leurs exploitations. Comment ne pas prendre en compte, par ailleurs, la diminution du nombre d’exploitations agricoles? Il en existe aujourd’hui quelque 300 000 contre 386 000 en 2000 et plus du double dans les années 70. Et leur production représente 1,7% du PIB au lieu de 4% dans les années 80.
«La France agricole n’existe plus. Il y a différentes filières, différentes réalités et surtout des inégalités profondes. Le modèle n’est plus. Il ne faut pas un plan global mais du sur mesure», admet un syndicaliste paysan. «Il faut rebâtir une exception agricole Française», complète l’universitaire nantais François Collart-Dutilleul. Avec un chiffre en tête, qui sonne comme une épitaphe: dans une étude publiée en octobre 2013, l’institut national de veille sanitaire affirmait que le suicide est la troisième cause de mort dans le monde agricole, après les cancers et les maladies cardiovasculaires.
Source: letemps.ch