Par Gunnar Bjornson − Le 25 mai 2016 − Source katehon.com
L’Union européenne est aujourd’hui considérée comme un standard de démocratie, de libéralisme et de droits de l’Homme. Pourtant, même si tout semble aller pour le mieux sur le plan du libéralisme, peut-être même à l’excès, on peut dire qu’il y a clairement un déficit démocratique. Le processus décisionnel de l’Union européenne est compliqué, et ne prévoit aucun mécanisme forçant les dirigeants de l’UE à rendre des comptes aux Etats membres. Le Parlement européen, la seule institution démocratique de l’UE, n’a qu’un rôle consultatif et ne constitue donc pas une réelle assemblée législative. En fait, le cauchemar de l’intégration européenne est confié à un cercle très restreint de personnes. De plus, cet aspect non démocratique du processus d’intégration est inhérent au système qui a été mis en place après la Deuxième guerre mondiale.
Juste avant le référendum britannique, les médias anglais ont révélé un fait important au sujet du passé de l’UE mettant en lumière son actuelle politique étrangère : depuis sa création, l’UE a été téléguidée par la CIA pour faire de l’Europe une entité géopolitique tournée contre la Russie.
Mais la CIA n’a pas construit l’UE à partir de rien. Les bases les plus importantes avaient été jetées bien plus tôt par les nazis. D’un point de vue géopolitique, le Troisième Reich, incluant les pays occupés d’Europe et leurs États satellites, a représenté une première version d’Europe unie. De nombreuses réalisations nazies ont été ensuite utilisées par les Américains et ont déterminé le caractère agressivement anti-national et rabiquement anti-Russe de l’UE de nos jours.
Les historiens allemands ont à plusieurs reprises publié des documents d’archives nazis contenant des projets d’intégration européenne. La compilation des documents de Gerhardt Haas et Wolfgang Schumann fut révélée à Berlin-Est en 1972 sous le titre Anatomie d’une agression : une nouvelle documentation au sujet des objectifs militaires de l’impérialisme allemand au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Cet ouvrage expose principalement les détails de projets de grande ampleur d’intégration européenne sous la direction des nazis, servant les intérêts du capital financier européen. Ces plans ont été élaborés au sein des ministères de l’Économie et des Affaires étrangères du Reich, et du Groupement industriel du Reich.
Une autre source documentaire allemande sur la relation entre le Troisième Reich et le processus d’intégration européenne a été rendue publique en 1987 à Munich. Intitulés L’Europe et le Troisième Reich, ces documents ont été compilés par Hans Werner Neulen. Ces sources analysaient en particulier les projets politiques des dirigeants nazis pour unifier l’Europe. En 1985, Michael Zalewski a publié le premier tome de ses documents sur l’histoire de l’intégration européenne, intitulé Projets pour une union européenne continentale: 1939-1945. On imagine aisément de quel type d’intégration il s’agit.
Les historiens ont remarqué que les formulations linguistiques telles que Union européenne, Communauté économique européenne et Confédération européenne, qui constituent la base du vocabulaire médiatique aujourd’hui, ont été à l’origine utilisées comme éléments de langage dans les documents officiels concernant les politiques étatiques du Troisième Reich.
L’intégration européenne par les SS
Un des premiers architectes de l’Europe unie fut l’officier SS Alexander Dolezalek, qui dirigeait un département créé spécifiquement à cet effet. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Dolezalek a travaillé pour les services spéciaux de l’Allemagne de l’Ouest et des États-Unis sous le nom d’Alexandre Bomhoff, à la tête du Projet éducatif pan-européen (Gesamteuropäischen Studienwerk) dans la ville allemande de Vlotho. Ses travaux d’après-guerre sur l’intégration européenne ont été étudiés de très près par des théoriciens de pointe dans ce domaine, et ont eu une influence sur le discours de Churchill prononcé à Zürich en 1946, au cours duquel l’ancien Premier ministre britannique a appelé à la création d’États-Unis d’Europe. Certains aspects de la Déclaration Schuman, qui marque le départ de la construction européenne, peuvent être retrouvés dans les premières esquisses de Dolezalek, en particulier sur le fait que le projet d’intégration garantirait une paix durable en Europe.
A sa décharge, les plans de cet officier nazi pour transformer l’Europe contenaient au moins une déclaration d’intention sur la préservation des identités des peuples d’Europe de l’Ouest, un élément que l’Union européenne d’aujourd’hui ne mentionne même pas. Au même moment étaient élaborés par d’autres unités SS des projets de germanisation de l’Europe conquise. En particulier, on peut citer un projet d’imposition de l’allemand comme lingua franca et la création d’un espace d’information médiatique homogène. Cet aspect du projet était la priorité du célèbre linguiste allemand Georg Schmidt-Rohr, au sein de la section SS-Ahnenerbe.
Certains autres des projets de Dolezalek semblent aujourd’hui encore d’actualité et coïncident en fait parfaitement avec la politique des élites européennes actuelles. En particulier, Dolezalek proposait l’abolition des frontières entre les pays européens et la création d’un passeport européen. Les habitants d’Europe de l’Est, comme aujourd’hui, étaient considérés comme des citoyens de seconde classe. Les SS planifiaient de redessiner les frontières ethniques en Europe de l’Est pour éviter tous les futurs conflits. Toutefois, les initiatives de création d’une Europe unie par les SS ne se limitent pas aux initiatives de Dolezalek.
Le 1er mars 1945, un autre officier SS, Hans Schneider, a reçu l’ordre de prendre en charge le développement du sujet des « modèles européens d’organisation ». Schneider, qui avait travaillé à l’Institut pour le patrimoine des ancêtres (Ahnenerbe), disparut rapidement, pour ne réapparaitre qu’après la guerre en possession de documents signés de son nouveau nom, Hans Schwertke, avec lesquels il rejoint la maison d’édition Stalling, qui était connue pour ses activités de propagande sur une certaine idée de l’Europe et l’intégration européenne. Il est intéressant de mentionner que Stalling a engagé pendant la même période d’anciens officiers du SD [services secrets, sous le commandement des SS, NdT] : Hans Reossner et Wilhelm Spengler.
L’organisation adhérait publiquement à l’idéologie libérale de gauche, mais de façon plus significative, leur propagande d’après-guerre sur l’intégration européenne était le fait des mêmes personnes qui développaient ce projet pendant les années de la dictature nazie. D’un point de vue géopolitique, ces acteurs ont essayé de recréer sur de nouvelles bases l’unité européenne obtenue par les armes allemandes pendant la guerre, et de refaire de l’Europe une seule entité géopolitique. De leur côté, les États-Unis ont tenté de manipuler les transfuges nazis devenus communistes, et de reprendre leurs travaux dans le but d’opposer une Europe unie à la Russie, comme ce fut le cas à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale. Dans les deux cas, le camp atlantiste s’appuyait sur les mêmes forces.
Le projet de Ribbentrop pour la construction d’une confédération européenne
Le ministère des Affaires étrangères du Troisième Reich travaillait également sur un projet d’Europe unie. De concert avec les SS, le cabinet de Ribbentrop [ministre des Affaires étrangères du Troisième Reich de 1938 à 1945, NdT] y porta une attention toute particulière après la défaite allemande à Stalingrad [1943, NdT]. Suite à cette défaite, il devenait nécessaire de proposer une idée qui galvanise les populations européennes contre la montée en puissance de l’Union soviétique. Le Bureau de la propagande dirigé par Goebbels a diffusé à cette époque un communiqué appelant à travailler activement à la création d’une « nouvelle représentation à l’échelle européenne de la politique étrangère de l’Allemagne ». Le nouveau Comité européen, créé en 1942 au sein du ministère des Affaires étrangères du Reich, se mit alors activement au travail. Le 21 mars 1943, Ribbentrop a envoyé à Hitler un mémorandum dans lequel il prenait position en faveur de la création d’une Confédération européenne. La composition de ce nouveau bloc devait comprendre l’Allemagne, l’Italie, la France, le Danemark, la Norvège, la Finlande, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Croatie, la Serbie, la Grèce et l’Espagne.
Un mémorandum daté du 9 septembre 1943, du ministère des Affaires étrangères allemand, révèle la structure de cette future Confédération européenne. La structure proposée ne diffère pas vraiment de la structure actuelle de l’Union européenne. Les questions économiques devaient être prises en charge par le Conseil économique européen, et il était déjà suggéré à l’époque que soient créées une Union monétaire européenne et une Banque centrale européenne. Toutes ces idées furent appliquées plus tard dans l’Union européenne, sous un format plus libéral.
La Communauté économique européenne, et les débuts de l’intégration européenne
L’autre terme de « Communauté économique européenne » a lui aussi été mentionné en détail et utilisé la première fois dans des documents nazis au sujet des différents projets d’intégration de l’espace économique européen tels qu’ils étaient développés par les ministères et bureaux en charge de l’Économie du Reich. Le théoricien principal sur ce sujet était Werner Deitz, le directeur de la Société pour la planification économique européenne et pour l’économie des grands espaces. Les théoriciens économiques nazis prévoyaient d’établir un système uniforme de planification et de gestion pour l’économie européenne qui saperait progressivement la souveraineté économique des États. Dans le même temps, la souveraineté politique des États au sein de ce système devait être remplacée par la souveraineté des peuples qui, dans les faits, devait amener à la destruction de l’indépendance des États-nations traditionnels, comme c’est actuellement le cas dans l’Union européenne.
Les ministères et autres entités en charge de l’économie au sein du Reich ont pensé l’intégration européenne comme un processus au sein duquel toutes les autres nations européennes promouvraient le développement de l’économie allemande. A la même époque, certains économistes allemands ont élaboré une approche différente, et ce malgré le fait qu’ils partageaient la vision officielle de l’intégration européenne. Comme le préconisait le secrétaire d’État du ministère impérial de l’Économie, l’officier SS Gustaw Schlotterer, le processus d’unification européenne sur une base économique dans l’intérêt de l’économie allemande pouvait commencer par un rapprochement des économies nationales. Ce concept devint par la suite la base du processus actuel d’intégration européenne. La Commission Schlotterer a également élaboré des projets pour la création d’une future Banque européenne qui devait être basée à Vienne.
Il convient de souligner que l’actuelle Union européenne est née de la Communauté européenne pour le charbon et l’acier (CECA). Les mêmes industries allemandes du charbon et de l’acier dans la région de la Ruhr soutenaient le projet Schlotterer, et en 1951, elles lancèrent même une nouvelle association professionnelle. Schlotterer trouva même, après la période de dénazification, un emploi d’économiste dans l’industrie de l’acier à Düsseldorf, au centre de la région Rhin-Ruhr.
A la lumière de la forte impulsion donnée par les nazis à la création de l’Union européenne, il n’est pas surprenant que des gens comme Walter Hallstein, le premier président de la Commission de la CEE, un des pères fondateurs de l’UE et le père du droit européen dans les années 1930 et 1940, ait été un membre de l’Union des juristes national-socialistes. De la même manière, il a ouvertement fait usage, après la Seconde Guerre mondiale, des mêmes phrases et des mêmes constructions logiques au sujet du nouveau droit européen qu’il utilisait sous le régime hitlérien lorsqu’il discutait de nouveaux systèmes juridiques des États sous occupation allemande.
Bien entendu, des projets d’unification européenne ont existé avant la Seconde Guerre mondiale. Les nazis n’ont rien inventé de nouveau, mais ce sont leurs efforts d’organisation à grande échelle et leur évangélisme à ce sujet qui ont contribué à transformer le concept d’Europe unie du stade de mythe au stade de projet politique et économique viable.
Leurs réalisations ont formé la colonne vertébrale de l’intégration européenne dans sa version libérale, de la même manière que les anciens nazis sont devenus après la guerre les militants du projet européen. Les mêmes grands industriels allemands qui ont amené les nazis au pouvoir (les familles Thyssen et Krupp) ont été à l’origine de la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier [la CECA, créée en 1952 et expirée en 2002, NdT].
À n’en pas douter, l’Europe mérite de devenir un des pôles dans un monde multipolaire. Cependant, l’ADN du processus d’intégration européenne, hérité du projet nazi, peut inquiéter quant au sort des pays européens au sein de cette structure. L’héritage nazi a été absorbé par le projet libéral de l’Union européenne d’aujourd’hui, en grande partie grâce à la base rationaliste commune que ce projet partage avec les Lumières. Cet héritage commun comprend :
− Une hyper-centralisation dans les sphères économique et politique, qui aboutit à un empiètement sur la souveraineté des États membres.
− Un objectif d’élimination de la souveraineté des États en Europe.
− L’unification de l’Europe au nom d’un principe idéologique unique (nazi ou libéral) et la soumission des intérêts nationaux à cette abstraction (nazie ou libérale).
− Une nature fondamentalement non-démocratique des institutions européennes, qui ont des compte à rendre uniquement aux élites financières et industrielles, et pas aux assemblées des peuples européens.
− L’exploitation des pays faibles de la périphérie européenne (Grèce, Europe de l’Est) par les puissances d’Europe occidentale, principalement l’Allemagne.
− Une orientation géopolitique fortement anti-russe.
Gunnar Bjornson
Liens
Qui a financé Hitler : la liberté en échange du silence ? Des noms et des faits.
Traduit par Laurent Schiaparelli, édité par Hervé, relu par Catherine pour Le Saker Francophone