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Le blog de Lucien PONS

Belfort est préservé, mais Alstom a-t-il un avenir? Par Martine Orange

5 Octobre 2016 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #La France, #La finance dérégulée, #Europe supranationale, #AMERIQUE, #Le capitalisme;, #La mondialisation, #Alstom, #Le grand banditisme

Belfort est préservé, mais Alstom a-t-il un avenir?
4 octobre 2016 | Par martine orange
Plus de 700 millions d’euros de commandes publiques vont être engagés pour sauver Belfort et ses emplois. Si ce plan permet d’assurer le maintien du site historique d’Alstom, l’avenir du groupe ferroviaire reste incertain. Alstom peut-il se maintenir seul ? L’absence de stratégie industrielle claire et le gaspillage de 3,2 milliards d’euros en rachat d’actions posent question.
 

Belfort est sauvé ! Il n’y aura pas de fermeture de site, pas de suppression d’emplois. Toute la ville a soufflé en découvrant, mardi 4 octobre, le plan gouvernemental destiné à aider le site d’Alstom après 2018. En un mois à peine, le gouvernement a bâti un programme massif pour éviter la fermeture du site historique du groupe, ainsi que la disparition de 450 emplois directs et environ 1 000 emplois indirects. Pour sauver Belfort, l’État a mis les moyens : pas moins de 700 millions d’euros vont être engagés pour l’achat de nouvelles rames TGV, sans compter les commandes à venir sur les nouveaux trains intercités.

Le sauvetage de l’usine de Belfort le vaut bien. Alors que la suppression de 5 000 postes à SFR est engagée dans l’indifférence générale, le dossier d’Alstom à Belfort menaçait de devenir un nouveau Florange à la veille de l’élection présidentielle, illustrant à nouveau le déclin industriel de la France et l’impuissance des pouvoirs publics à l’enrayer. Le gouvernement a donc mis tout en œuvre pour éteindre l’incendie qui couvait, raclant les fonds de tiroir, utilisant tous les expédients de la commande publique pour trouver une solution.

Sur les murs de Belfort © D.ISur les murs de Belfort © D.I

 

« Il faut se réjouir que les emplois soient maintenus, mais tout cela relève du bricolage industriel », n’a pu s’empêcher de commenter Benoît Hamon, candidat à la primaire socialiste sur France Inter, tandis que la droite dénonçait le « rafistolage pré-électoral ». L’ensemble des mesures prévues a de fait des allures de catalogue. Dans un premier temps, l’État va commander quinze rames de TGV (roulant à la vitesse des trains Corail) et six rames destinées à la ligne Paris-Turin-Milan, selon les annonces présentées par le secrétaire d’État à l’industrie, Christophe Sirugue, aux élus locaux. Ces commandes devraient permettre d’assurer l’activité du site de Belfort pendant au moins trois ans après 2018. D’autant que la SNCF a elle aussi été mise à contribution : elle doit passer commande de 20 locomotives de dépannage.

En accompagnement, Alstom s’est engagé à investir 40 millions d’euros d’ici à 2020 dans le développement de la production d’un nouveau modèle de locomotive hybride, avec l’aide de l’État. De plus, le groupe prévoit d’investir, avec l’aide des collectivités locales, 5 millions d’euros à Belfort dans la modernisation des ateliers de maintenance ferroviaire du site, avec l’objectif de doubler les effectifs de cette activité pour les porter à 150 personnes d’ici trois ans. Cinq millions d’investissements supplémentaires devraient être engagés pour diversifier les productions du site de Belfort, afin de lui permettre de produire d’autres types de trains mais aussi des véhicules électriques de transport en commun.

Cette rafale de commandes publiques devrait conforter non seulement le site de Belfort, mais aussi celui de La Rochelle. Tout cela afin de permettre au groupe de franchir la mauvaise passe, en attendant le TGV du futur, dont la conception doit être lancée par la SNCF et Alstom à partir de 2017 et qui doit commencer à être produit à partir de 2021. C’est en tout cas le calcul fait par le gouvernement.

Une question reste toutefois pendante : cette pluie de commandes publiques va certes sauver le site de Belfort pour les années à venir, mais est-ce suffisant pour garantir l’avenir d’Alstom ? Le groupe ferroviaire est-il encore de taille pour affronter la concurrence mondiale ?

Cette interrogation sur la solidité du groupe ferroviaire plane depuis qu’Alstom a vendu son activité énergie à General Electric en 2014. D’un seul coup, le groupe a changé de dimension : de plus de 21 milliards d’euros en 2013, son chiffre d’affaires est tombé à 6,7 milliards d’euros en 2015. Sur le site historique de Belfort, l’usine ferroviaire d’Alstom n’est plus installée que sur quelques milliers de mètres carrés, noyée dans des hectares d’usines et d’entrepôts aux couleurs de GE.

 

 

Même si le groupe a engrangé de nombreuses commandes au cours des dernières années, ses moyens semblent limités, d’autant que la commande publique partout se raréfie. La concurrence internationale devient de plus en plus rude. On y retrouve l’allemand Siemens, le canadien Bombardier, le japonais Hitachi, mais aussi les espagnols Talgo et CAF, sans parler du nouveau groupe public chinois CRRC, qui se développe à toute vitesse et fait peur à beaucoup. Parmi eux, nombreux sont ceux qui appartiennent à des conglomérats, ce qui leur permet de partager des frais de structure, de recherche, et surtout leur offre une surface financière importante. Des avantages qu’Alstom n’a plus.

Pour de nombreux observateurs, la cause est entendue. Alstom est voué à acheter ou être racheté. Dès la vente des activités énergie à GE, le président de Siemens Joe Kayser, dont l’offre de reprise avait été écartée, voyait l’avenir d’Alstom comme inéluctable et prévenait que le groupe allemand attendait son heure. « Alstom est voué à devenir une entreprise relativement petite, opérant dans le secteur du transport et devant lutter pour rester compétitive, sur un marché soumis à un processus de consolidation rapide », analysait-il dans un entretien au Figaro. Avant d’ajouter : « Dans le secteur de l’énergie, la perspective de créer un champion européen est probablement passée et Siemens devra continuer seul. Dans le secteur du transport, une consolidation entre entreprises européennes reste encore possible. »

{C}

3,2 milliards d'euros en rachat d'actions

 

Manifestation à Belfort le 15 septembre © D.IManifestation à Belfort le 15 septembre © D.I
« Siemens n’est peut-être pas le bon candidat. Il n’a pas grand-chose à apporter à Alstom. En revanche, le rapprochement avec Bombardier aurait beaucoup plus de sens. D’autant que la question va se poser à n’importe quel gouvernement : la France a-t-elle les moyens de soutenir trois constructeurs de locomotives ? », s’interroge un banquier d’affaires. Le sujet risque de rebondir dans les semaines à venir. Car pendant que l’État distribue les commandes à Alstom pour soutenir le site d’Alstom, qu’advient-il du site de Bombardier à Crespin (Nord), qui emploie 2 000 personnes ? Quel sort sera réservé au site de Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), où l’espagnol Caf produit des locomotives et des tramways ?

 

« Si l’État veut maintenir des savoir-faire, des compétences et des emplois, il aurait tout intérêt à se pencher sur le sujet et à favoriser des réorganisations, plutôt que de se laisser balloter par les circonstances et intervenir en pompier », poursuit ce banquier.

Ces logiques financières, ces grands Meccano industriels ne semblent pas de mise pour Alstom, du moins pour l’instant, à en croire Frédéric Genevrier, cofondateur de la société d’analyse financière indépendante OFG. « Les métiers ferroviaires répondent à des logiques très particulières qui ne s’exportent pas. Tout se conçoit avec les clients. La logique conglomérat n’apporte rien. Alstom n’a pas besoin de Siemens qui ne lui apporterait rien. Quant à Bombardier, ils travaillent déjà beaucoup ensemble. » Pour lui, plutôt que de spéculer sur des fusions financières, il importe de lui donner du temps pour se développer, après avoir vécu dans l’ombre des activités énergie pendant des décennies. « Alstom est un groupe en construction. Même s’il a le même nom, ce n’est plus le même groupe. Il lui faut changer d’image, faire oublier la présidence de Patrick Kron et les scandales de la corruption », dit-il.

L’ennui est que Henri Poupard-Lafarge, qui dirige cette activité depuis plus de cinq ans, ne s’explique pas sur sa stratégie industrielle. La direction du groupe ferroviaire ne dit rien de ce nouvel Alstom, de l’avenir qu’elle lui imagine. Avant l’annonce brutale de la fermeture du site de Belfort, désormais annulée, la première vraie décision, presque la seule, prise depuis la cession de l’activité d’énergie a été de racheter ses actions. Le groupe a dépensé 3,2 milliards d’euros touchés de la vente pour reprendre ses titres et les annuler pour le seul bénéfice des actionnaires, comme lorsque Alcatel s’était séparé d’Alstom en 1999 et avait exigé des milliards de dividendes exceptionnels. La décapitalisation comme illustration de l’esprit d’entreprise.

N’y avait-il vraiment pas de meilleures utilisations, à un moment où le groupe est en pleine reconfiguration ? La mobilité, le transport sont pourtant des sujets d’avenir qui intéressent tout le monde. Le groupe, après avoir été l’un des leaders technologiques dans ce domaine, s’est fait distancer tout au long des années 2000 et n’a rattrapé qu’une partie de son retard. La perte de commande de locomotives face à l’allemand Vossloh n’est pas seulement liée à un problème de prix, mais aussi de produit : les motrices allemandes sont beaucoup plus modernes et intégrées. Quels moyens pense engager le groupe pour inventer des trains, des trams, des moteurs plus confortables, plus faciles et plus économes à exploiter ? Mystère.

 

Sites de production d'Alstom en France © AlstomSites de production d'Alstom en France © Alstom
De même, puisque l’activité ferroviaire est désormais totalement autonome, ne convient-il pas de repenser son organisation industrielle ? Est-il justifié par exemple de maintenir la production de boogies en Inde, quand les sites industriels français sont en sous-production ? De même, si l’avenir de Belfort est assuré, qu’advient-il du site d’Ornans (Doubs) ? Celui-ci, qui conçoit, développe et produit des moteurs de tractions ferroviaires, emploie plus de 300 personnes. Une cinquantaine d’emplois doivent être supprimés d’ici à la fin de l’année.

 

De façon plus générale, alors que tous les industriels allemands sont en train de réfléchir à la numérisation, à la façon dont ces nouvelles technologies vont s’intégrer dans les processus industriels, changer tout de la conception à la production, a-t-on entendu la direction d’Alstom expliquer que le groupe allait profiter de ce redémarrage et de sa capacité financière pour s’emparer de ce sujet, et le mettre en œuvre pour la réalisation de ces futures commandes ? À l’image de tout le patronat français qui a délaissé l’innovation et l’industrie, Alstom préfère gémir sur les charges patronales et renvoyer le tout sur le dos de l’État.

Dans cette affaire, ce dernier est loin d’être irréprochable. Sa politique incohérente en matière de transports, privilégiant outrageusement la route au détriment du ferroviaire, plombant la SNCF de mille charges tout en lui refusant de reprendre sa dette héritée du passé, comme l’a fait le gouvernement allemand avec la Deutsche Bahn, sans parler de l’abandon en rase campagne des projets de ferro-routages, a produit des catastrophes qu’il essaie de réparer en urgence. Mais Alstom ne peut se dédouaner de tout. Maintenant que l’État s’est engagé à l’aider, il lui revient de prouver que tout ce qui est mis en œuvre se justifiait, qu’il est capable de redevenir un groupe industriel innovant, portant des visions d’avenir. Car pour l’instant, la démonstration est loin d’être faite : quand l’État met plus de 700 millions d’euros sur la table, lui en met 40 en demandant en plus l’aide des collectivités locales, après avoir dissipé 3,2 milliards d’euros rien que dans du papier boursier.

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