L’intrusion du journaliste Bernard de La Villardière au fin fond de la Seine-Saint-Denis vaut au présentateur de la sixième chaîne une indignation qui souffle du plateau de Cyril Hanouna au blog du directeur adjoint de L’Express en passant par le quotidien gratuit 20 minutes. Comme un écho du flot d’insultes déversés sur son compte Twitter. Le CSA a été saisi et Nicolas de Tavernost, président de la chaîne M6 a reçu une docte lettre du président de L’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco. Pour l’ancien secrétaire général de François Mitterrand « la généralisation des difficultés telles que présentées par ce reportage donne une vision déformée de la réalité ». Comble de la vanité, il s’étonne que M6 n’ait pas mentionné le « travail considérable » effectué par son organisme. La défense de la laïcité par Jean-Louis Bianco mériterait en effet un “Dossier Tabou” à lui tout seul…
L’islam, une vache sacrée médiatique
Le célèbre journaliste de “Zone Interdite” et “Enquête exclusive” a plutôt bien choisi le titre de sa nouvelle émission. Selon le Larousse, un tabu est étymologiquement en polynésien “un interdit de caractère religieux qui frappe un être, un objet ou un acte en raison du caractère sacré ou impur qu’on leur attribue.” Par extension, le tabou “a un caractère social et moral qu’il serait malséant d’évoquer, en vertu des convenances sociales ou morales.” “L’islam en France, la république en échec”: le titre de la première émission de Dossier tabou avait tout de la vache sacrée médiatique.
En préliminaire, la présentation de l’émission avait le mérite de ne pas tourner autour du pot. ” Nous avons découvert que les imams les plus extrémistes gagnent du terrain aux dépens de modérés républicains, parfois menacés de mort (…) L’Union des Organisations Islamiques de France a pour but de déconnecter la communauté musulmane du reste de la société, de grignoter peu à peu l’espace public au nom de la liberté d’expression pour installer la charia en France. Elle organise de grands rassemblements et attire des centaines de milliers de personnes qui peuvent écouter des prédicateurs étrangers souvent homophobes, antisémites et favorables à la lapidation des femmes. D’anciens Frères Musulmans ont accepté de témoigner pour dévoiler la stratégie cachée du mouvement qui veut former les élites islamistes de demain.“
Aussitôt accusé de racolage télévisuel, le sujet choisi par La Villardière avait en effet l’inconvénient d’intéresser le français moyen, au point de réaliser pour sa première un très joli score d’audience, 2,4 millions de téléspectateurs. La « mosquée Daech » de Sevran, louée par un imam de l’UOIF, la branche française des frères musulmans, ne méritait sans doute pas qu’un journaliste se déplace jusque là. Filmer à Sevran une mosquée salafiste clandestine ou une école coranique sur un terrain municipal, franchement quel intérêt sinon de stigmatiser les salafistes? Pour Stéphane Gatignon, maire écolo de Sevran
interrogé sur RMC, la venue de l’équipe de M6 n’est rien d’autre que “
de la provoc””. Bernard de la Villardière a voulu “
faire de l’audience sur le dos de la ville de Sevran” Dans un communiqué il dénonce
“une polémique politicienne cherchant à faire de Sevran un Molenbeek français”. Si les jeunes de Sevran partent en Syrie, c’est donc la faute de la course à l’audimat chez M6. Allez comprendre.
Complotisme mainstream
Les chiens de garde du PAF ont aussi pointé, avec un soupçon de complotisme, le montage de la scène d’agression dont La Villardière était forcément le déclencheur. S’appuyant sur une vidéo amateur censée dédouaner les jeunes de Sevran, un certain Ousmane, venait donner du grain à moudre à l’observatoire de l’islamophobie, pardon à l’Observatoire de la laïcité (pardonnez la confusion, mais l’équipe de Jean-Louis Bianco passe visiblement plus de temps à traquer les pourfendeurs de l’islam radical que les ennemis de la laïcité). Silence gêné en revanche quand le Ousmane en question se révèle être un grand admirateur de Dieudonné.
La vidéo complète diffusée ensuite par M6 pour éteindre la polémique ne laisse aucun doute sur la bande de voyou ceinturant l’équipe de reportage. Frappés et mis au sol, les journalistes sont contraints de quitter les lieux.
Un geste de solidarité ou un mot de soutien était bien le minimum qu’on pouvait attendre de la part des confrères de La Villardière. Face à un délit d’entrave à la liberté de la presse, la gauche morale, d’habitude si prompte à défendre les libertés, s’est retournée sur l’agresseur blanc à particule. Lequel n’aurait pas dit « bonjour » aux individus qui tentaient d’interrompre son interview (la vidéo de M6 devait démentir cette accusation grotesque). Un peu de sérieux et d’honnêteté suffisent à constater que le journaliste et son équipe étaient au contraire d’une patience infinie avant leur prise à partie.
Au lieu de s’interroger sur la violence de l’islamisme dans certains territoires perdus de la République, les petits marquis de la bien-séance médiatique reprochent à l’équipe de M6 de ne pas avoir demandé aux caïds de la cité l’autorisation de filmer leur terrain de jeu. Pour ne pas traiter le fond du sujet, on lance un contre-feu qui en dit long sur l’état de la liberté d’expression en France.