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Le blog de Lucien PONS

Documents secrets du FMI sur la Grèce (CADTM) 5 janvier par Eric Toussaint. Partie I

6 Janvier 2017 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Comité pour une Nouvelle résistance, #Europe supranationale, #La France, #AMERIQUE, #La mondialisation, #La finance dérégulée, #Le capitalisme;, #Le grand banditisme, #Economie, #Les transnationales, #Grèce, #La dette

Documents secrets 

Partie I

 

Documents secrets du FMI sur la Grèce avec commentaires d’Eric Toussaint (CADTM)

5 janvier par Eric Toussaint

 

Afin de convaincre le FMI, les dirigeants français, allemand et hollandais ont menti Le compte-rendu officiel de la réunion du 9 mai 2010 au cours de laquelle la direction du FMI FMI
Fonds monétaire international
Le FMI a été créé en 1944 à Bretton Woods (avec la Banque mondiale, son institution jumelle). Son but était de stabiliser le système financier international en réglementant la circulation des capitaux.

À ce jour, 188 pays en sont membres (les mêmes qu’à la Banque mondiale).

Cliquez pour plus.
approuvé un crédit de 30 milliards € à la Grèce montre très clairement qu’un nombre élevé de membres de la direction ont exprimé de très fortes critiques à l’égard du programme que l’institution s’apprêtait à mettre en œuvre. Certains d’entre eux ont dénoncé le fait que le programme visait à sauver les banques privées européennes qui étaient créancières de la dette Dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque Africaine de Développement, et à d’autres institutions multilatérales comme le Fonds Européen de Développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
publique et privée grecque, principalement quelques grandes banques françaises et allemandes. Plusieurs d’entre eux ont dénoncé une politique qui reproduisait ce qui avait conduit à la crise argentine de 2001 et à la crise asiatique de 1996-1997 (voir encadré avec la citation du directeur exécutif argentin). Plusieurs dirigeants ont dénoncé le fait que le noyau dirigeant du FMI avait modifié à l’insu des autres membres du conseil d’administration une des règles fondamentales qui conditionnent les crédits alloués par le FMI à ses membres. En effet, pour qu’un crédit puisse être octroyé par le FMI, il faut démontrer que ce crédit et le programme qui l’accompagne rendront soutenable le remboursement de la dette. Vu que cette condition ne pouvait pas être satisfaite dans le cas de la Grèce étant donné que la direction du FMI et les autorités européennes refusaient de réduire la dette grecque et d’y faire participer les banques privées, la condition mentionnée plus haut a été supprimée en catimini. Elle a été remplacée par un nouveau critère : la nécessité d’éviter un risque élevé de déstabilisation financière systémique internationale. La direction du FMI a justifié par l’urgence ce changement de critère non respectueux des règles de fonctionnement. Afin de convaincre ceux des dirigeants du FMI qui émettaient de très fortes réserves, les dirigeants français, allemand et hollandais ont menti en assurant que les banques de leur pays ne se débarrasseraient pas des titres grecs. Selon eux, les banques françaises, allemandes et hollandaises allaient conserver les titres grecs en leur possession afin de permettre la réussite du programme qui allait commencer. Or il est prouvé que les banques françaises, allemandes et hollandaises ont vendu massivement les titres qu’elles détenaient sur le marché secondaire en provoquant une aggravation de la crise grecque et en reportant sur le dos des contribuables européens, et en premier lieu sur le peuple de la Grèce, les risques qu’elles avaient pris et la crise qu’elles avaient très largement contribué à provoquer. Toujours pour lever les réticences de certains membres de la direction du FMI, les responsables du FMI en charge des relations avec la Grèce ont affirmé que des mesures sociales seraient prises pour éviter que les bas salaires et les petits retraités soient touchés par les mesures d’austérité. Ils ont menti. Pour emporter également l’accord des membres de la direction du FMI, ils ont affirmé que les banques grecques étaient saines et que leurs problèmes provenaient uniquement des risques que faisaient porter sur elles le poids d’une dette publique trop importante et d’un déficit public abyssal. C’était faux : les banques grecques se trouvaient dans un état désastreux. Toujours pour convaincre ceux des dirigeants qui doutaient, on leur a déclaré que le plan serait soumis pour approbation au Parlement grec. Or, en réalité, le programme a été imposé à la hussarde au parlement, sans possibilité d’amendement et en bafouant la constitution grecque, comme l’ont dénoncé à l’époque de nombreux juristes.

Le président de la BCE a menacé la Grèce de couper l’accès des banques aux liquidités de la BCE Pour convaincre les membres de la direction du FMI qui souhaitaient qu’on demande aux banques de participer « collectivement » à l’effort en acceptant une réduction de leurs créances Créances Créances : Somme d’argent qu’une personne (le créancier) a le droit d’exiger d’une autre personne (le débiteur). , les responsables du dossier grec ont affirmé que les autorités grecques ne voulaient pas d’une réduction de la dette publique. Et le représentant grec, Panagiotis Rouméliotis, a confirmé cette version des faits. Plus tard, ce même représentant a affirmé que c’est sous la pression du président de la Banque centrale européenne BCE
Banque centrale européenne
La Banque centrale européenne est une institution européenne basée à Francfort, créée en 1998. Les pays de la zone euro lui ont transféré leurs compétences en matières monétaires et son rôle officiel est d’assurer la stabilité des prix (lutter contre l’inflation) dans la dite zone.
Ses trois organes de décision (le conseil des gouverneurs, le directoire et le conseil général) sont tous composés de gouverneurs de banques centrales des pays membres et/ou de spécialistes « reconnus ». Ses statuts la veulent « indépendante » politiquement mais elle est directement influencée par le monde financier.
(BCE) que la Grèce a déclaré qu’elle ne souhaitait pas une réduction de sa dette. Selon le représentant de la Grèce au FMI, Jean-Claude Trichet aurait menacé la Grèce de couper l’accès des banques grecques aux liquidités Liquidité
Liquidités
Capitaux dont une économie ou une entreprise peut disposer à un instant T. Un manque de liquidités peut conduire une entreprise à la liquidation et une économie à la récession.
de la BCE. Il est certain que Jean-Claude Trichet a utilisé cette menace dans les mois au cours desquels le mémorandum a été négocié. Il est également avéré qu’il a utilisé la même menace à l’égard de l’Irlande quelques mois plus tard lors de la mise au point du mémorandum concernant ce pays. Il est également certain que les banquiers grecs, tout comme les banquiers français, allemands ou hollandais ne voulaient pas entendre parler d’une réduction de la dette grecque car ils n’acceptaient pas d’être mis à contribution pour assurer leur propre sauvetage. Les banquiers ont obtenu deux ans de répit afin de pouvoir se dégager et obtenir des compensations importantes.

Le FMI affirme très clairement que, vu l’appartenance de la Grèce à la zone euro, il lui est impossible de retrouver de la compétitivité en dévaluant sa monnaie. Du coup, le FMI considère qu’il faut dévaluer les salaires et les allocations sociales : c’est ce qu’on appelle la dévaluation Dévaluation Modification à la baisse du taux de change d’une monnaie par rapport aux autres. interne. Elle fait des ravages en Grèce et dans d’autres pays périphériques au sein de la zone euro. Le contenu de ces documents secrets conforte le jugement porté par la Commission pour la vérité sur la dette : les dettes réclamées par le FMI à la Grèce sont illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables (voir le chapitre 8 du rapport de la commission)

Comment fonctionne le FMI ?

À l’aide de l’organigramme simplifié du FMI ci-dessous, Michel Husson précise le fonctionnement du FMI.


Source : FMI, Comment les décisions sont prises au FMI, Avril 2016

« Une décision comme le plan d’aide à la Grèce est prise par le Conseil d’administration, sur la base d’études préparatoires commandées par la direction générale aux services compétents. Le staff emploie 2400 personnes, dont la moitié d’économistes.
Entre les économistes du staff et la direction générale, il existe des interactions variables ou plutôt des liens plus ou moins distendus qui ne concernent pas de la même manière l’ensemble des économistes payés par le FMI. Dans certains cas, la bride est relâchée et l’on obtient des études qui frisent l’hétérodoxie. Mais quand on passe aux affaires sérieuses, la courroie de transmission fonctionne à l’envers et les économistes ont alors pour fonction d’assurer la défense et l’illustration des orientations politiques
. » |1|

Dans la traduction des documents du FMI ci-dessous, nous utilisons les termes de « directeurs exécutifs » pour désigner les membres du « conseil d’administration » (Executive Board) du FMI. Nous utilisons le terme « staff » pour désigner les « services » du FMI.

En premier lieu, nous proposons à la lecture le compte-rendu de la réunion du conseil d’administration du FMI du 9 mai 2010 car il met en évidence les divergences internes et n’est pas rédigé dans la langue de bois habituelle du FMI. Ce compte-rendu officiel sort tout à fait de l’ordinaire. Il est certain qu’il n’a pas été apprécié par les principaux dirigeants de cette institution despotique et mortifère. À vous de lire et de vous faire une opinion.

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Première page du document - version annotée

10 mai 2010

STRICTEMENT CONFIDENTIEL

Sujet :Réunion du Conseil d’administration à propos de la demande d’un Accord de confirmation (Stand-By Arrangement, SBA) pour la Grèce – 9 mai 2010

Le Conseil d’administration a adopté à l’unanimité la demande formulée par la Grèce afin d’obtenir un Stand-By Arrangement (SBA) sur trois ans pour un total de 30 milliards d’euros (26,4 milliards DTS), soit 32 fois le quota grec, le plus important programme adopté par le Fonds à ce jour. Les partenaires de la zone euro participeront à une aide financière bilatérale à hauteur de 80 milliards d’euros. Le montant total de 110 milliards d’euros couvrira le manque attendu de financements publics durant la période d’application du programme. Pour chaque paiement qui aura lieu durant la période d’application du programme, la Grèce s’est engagée à utiliser les ressources du FMI et de la Commission européenne (CE) dans un ratio constant de 3 pour 8.

Les principaux objectifs du programme sont : (i) de réduire le déficit budgétaire en-dessous de 3 % du PIB PIB
Produit intérieur brut
Le PIB traduit la richesse totale produite sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées.
Le Produit intérieur brut est un agrégat économique qui mesure la production totale sur un territoire donné, estimée par la somme des valeurs ajoutées. Cette mesure est notoirement incomplète ; elle ne tient pas compte, par exemple, de toutes les activités qui ne font pas l’objet d’un échange marchand. On appelle croissance économique la variation du PIB d’une période à l’autre.
d’ici à 2014, le ratio dette/PIB devant commencer à se stabiliser à partir de 2013, puis décliner progressivement ; (ii) de sauvegarder la stabilité du système financier à travers l’établissement d’un Fonds de stabilité financière (FSF) entièrement indépendant qui soutiendra les banques si nécessaire |2| ; et (iii) de restaurer la compétitivité de l’économie grecque à travers des réformes structurelles complètes.

En plus des mesures budgétaires déjà adoptées par les autorités au début de l’année 2010 (totalisant 5 % du PIB), le programme envisage un ajustement budgétaire de départ de 11 % du PIB entre 2010 et 2013. Toutes les mesures ont été identifiées, les principales étant : (i) une augmentation des recettes fiscales à hauteur de 4% du PIB, principalement par une TVA plus élevée ; (ii) une réduction significative des dépenses à hauteur de 5,2 % du PIB, principalement à travers l’abolition des 13e et 14e mois de salaire pour les fonctionnaires ainsi que des 13e et 14e mois de pension, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, à l’exception de ceux qui ont de bas salaires ou de basses pensions ; et (iii) des mesures budgétaires structurelles à hauteur de 1,8 % du PIB.

Tout en soutenant le programme, plusieurs directeurs exécutifs non-européens ont soulevé de nombreuses critiques.


1. Une demande d’aide du Fonds arrivée trop tard

Selon certains directeurs exécutifs (Australie, Canada, Chine, Russie, Suisse), le caractère tardif de la demande d’aide révélait des défauts dans l’architecture de la zone euro, y compris dans sa stratégie de communication (portant plutôt à confusion), qui semblait « parcellaire » selon le directeur étatsunien. Le directeur exécutif allemand a clarifié le fait qu’en l’absence d’une disposition appropriée dans le Traité de Maastricht, l’Union européenne avait dû rapidement concevoir un mécanisme d’assistance financière, désormais entièrement opérationnel. Il a été largement remarqué que six directeurs exécutifs européens (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Pays-Bas et Danemark) avaient publié un communiqué commun soutenant l’accord du SBA à la Grèce.


2. Des hypothèses de croissance optimistes

Les directeurs exécutifs chinois et suisse ont mis l’accent sur le fait que la croissance déterminerait à terme la capacité de la Grèce à se débarrasser du fardeau de sa dette. Un seul écart au scénario de référence du programme suffirait à faire dérailler l’objectif de consolidation budgétaire, mettant en danger la soutenabilité de la dette. Le staff du FMI a répondu en mentionnant qu’il pouvait à l’inverse y avoir des risques à la hausse, en raison des incertitudes sur l’ampleur de l’économie informelle.


3. Risques liés au programme

En raison de l’ajustement budgétaire à deux chiffres face auquel se retrouve la Grèce, certains directeurs exécutifs (Argentine, Australie, Canada, Brésil et Russie) ont souligné les risques « immenses » que comporte le programme (ainsi que le risque de réputation qui s’en suivrait pour le Fonds). Certains ont comparé la situation grecque à celle de l’Argentine avant la crise de la fin 2001.

1er Encadré réalisé par le CADTM et inséré dans le texte du FMI afin de le rendre plus compréhensible.

Pablo Pereira, le représentant argentin, critique sans ambages l’orientation passée et présente du FMI : « Les dures leçons de nos propres crises passées sont difficiles à oublier. En 2001, des politiques similaires ont été proposées par le Fonds en Argentine. Ses conséquences catastrophiques sont bien connues (...) Il y a une réalité qui ne fait aucun doute et qui ne peut être contestée : une dette qui ne peut pas être payée ne sera pas payée sans une croissance soutenue (...) Nous savons trop bien quelles sont les effets des « réformes structurelles » ou des politiques d’ajustement qui finissent par déprimer la demande globale et, par conséquent, les perspectives de reprise économique (...) Il est très probable que la Grèce finisse plus mal en point après la mise en œuvre de ce programme. Les mesures d’ajustement recommandées par le Fonds vont réduire le bien-être de sa population et la capacité réelle de remboursement de la Grèce ». 

D’un autre côté, le directeur exécutif russe a fait remarquer que, par le passé, d’autres programmes du Fonds (par exemple au Brésil et en Turquie) que l’on estimait particulièrement risqués se sont finalement révélés être des succès.
Le staff du FMI a lui-même reconnu les risques exceptionnellement élevés du programme, notamment dans leur évaluation de la soutenabilité de la dette à propos de laquelle ils déclarent : « dans l’ensemble, le staff considère que la dette est soutenable sur le moyen terme, mais des incertitudes de taille sur ce sujet rendent difficile toute affirmation catégorique qui dirait qu’il y a une forte probabilité que la dette soit soutenable ».

Le staff du FMI a souligné que la crédibilité du programme repose en partie sur le fait qu’il permet à la Grèce de ne pas devoir retourner sur les marchés financiers Marchés financiers
Marché financier
Marché des capitaux à long terme. Il comprend un marché primaire, celui des émissions et un marché secondaire, celui de la revente. À côté des marchés réglementés, on trouve les marchés de gré à gré qui ne sont pas tenus de satisfaire à des conditions minimales.
avant longtemps (un à deux ans). La mise en place effective du programme conduirait à des excédents budgétaires considérables dont on estime qu’ils rassureront les marchés malgré le niveau élevé de la dette publique.

Le staff du FMI admet que le programme ne fonctionnera pas sans la mise en œuvre de réformes structurelles. À cet égard, les autorités auront pour plus grand défi de vaincre l’opposition féroce des intérêts particuliers. Le directeur exécutif australien a mis l’accent sur le fait qu’il existe un risque à répéter les erreurs commises durant la crise asiatique, en ce qui concerne le fait d’imposer trop de conditionnalité structurelle. Alors que la conditionnalité structurelle du Fonds est vitale au niveau « macro », celle imposée par la Commission européenne ressemble à une « liste de courses » (« shopping list ») - un inventaire à la Prévert ou un catalogue des Trois Suisses.

Le staff du FMI reconnait que le programme mettra certainement la société grecque au défi. Le staff du FMI a rencontré les principaux partis d’oppositions, organisations non-gouvernementales et syndicats. Selon le staff du FMI, la « chose frappante » est que le secteur privé soutient entièrement le programme, vu comme l’instrument qui permettra de mettre fin à de nombreux privilèges du secteur public.

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Extrait du document - page 3 - version annotée
Fin de la Partie I 

A suivre!

 

Eric Toussaint

docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est l’auteur des livres Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège. Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015. Suite à sa dissolution annoncée le 12 novembre 2015 par le nouveau président du parlement grec, l’ex-Commission poursuit ses travaux et s’est dotée d’un statut légal d’association sans but lucratif.

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