Poutine, la Russie et l’Orient Écrit par Jean SALVAN .
Le 20 décembre 2016 à Moscou, les ministres des affaires étrangères de la Russie, de l’Iran et de la Turquie se sont réunis et ont réglé entre eux le problème syrien, en précisant "beaucoup de joueurs extérieurs ont essayé d’utiliser (le printemps arabe) à leur avantage, dans le but de changer le régime… avant une prise conscience… la priorité n’est pas le changement de régime mais la lutte contre le terrorisme…". On ne peut imaginer un pire camouflet envers les initiatives de l’ONU, des Etats-Unis, de la France : depuis cinq ans, nous avons tout faux, et nous avons gâché tous nos atouts.
Soyons clair : c’est la stratégie mise en œuvre depuis quatre ans par Poutine, dans le cadre de traditions centenaires, qui l’a emporté.
Il est consternant de constater comment nos dirigeants se trompent sur Poutine - trop souvent présenté comme un petit lieutenant-colonel du KGB ou un tyran - et comment ils ignorent qu’il s’est coulé dans les traditions séculaires russes. Depuis la présidence de Sarkozy en passant par le ministère des affaires étrangères de Fabius, nos gouvernants cherchent à plaire à Bernard Henri Lévy : ils prétendent que leur priorité est la défense des droits de l’homme, plutôt que la préservation de nos intérêts.
Pour comprendre Poutine, il faut se replacer dans l’histoire longue. Et ne pas s’étonner de voir son bureau orné du portrait du Tsar Alexandre 1er, dont la devise fut "Orthodoxie, autocratie, identité nationale".
C’est au XVIIè siècle que la Russie s’ouvrit pour la première fois et avec difficulté aux influences occidentales : elle sortait alors de l’occupation mongole, du temps des troubles (1598-1613), elle venait d’échapper à la conquête polonaise. Les réticences face à l’Occident sont une constante de l’histoire russe. Klioutchevski nota : "A quoi l’Histoire destine la Russie ? Est-elle vouée à être la lumière de l’Orient, ou à ne rester que dans l’ombre de l’Occident ?" Et dans sa Chronique, le diacre Ivan Timophéev écrivit en 1620 : "Les Russes se tournent le dos, regardant les uns vers l’Orient, les autres vers l’Occident." Cela dit, la Russie hésite toujours entre l’attrait pour l’Occident, le courant eurasiatique qui voit son avenir en Orient, et les slavophiles, tentés par le retour à la Moscovie des origines. Quand Soljenitsyne prônait la fusion de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine, c’est bien le projet slavophile qu’il soutenait.
La continuité politique
A partir de 1994, Boris Eltsine voulut calquer en Russie le modèle occidental libéral. Mais les échecs et les pommes de discorde se sont multipliés : Tchétchénie, Iran, Irak, Serbie, Kosovo. Dès 1996, le ministre Primakov ressortit la carte chinoise et il fit entrer la Russie dans le groupe de Shanghaï, devenu l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS), qui regroupe la Chine, le Kazakhstan, la Kirghisie et le Tadjikistan. Comme le remarquait Léonid Ivachov : "L’Occident ne sera jamais l’ami de la Russie". Ou Victor Baranets : "Sarkozy et Medvedev peuvent toujours s’embrasser, nos intérêts seront toujours divergents.". Après l’effondrement de l’URSS, les Russes, humiliés, ont serré les rangs autour de Poutine qui les a sortis de la misère et qui leur a restitué une fierté nationale.
Quand Poutine déplore la disparition de l’URSS et la qualifie de "plus grande catastrophe", il regrette la stabilité du régime soviétique : il succéda aux Romanov qui régnèrent de 1613 à 1917. Pour Poutine, le vieil adage romain "Quieta non tangere", "ne touchez pas à ce qui est stable" est un principe politique : un tyran qui assure la stabilité de son régime et qui est prévisible est toujours préférable à un démocrate farfelu. Il faut absolument éviter le chaos qui succéda à la disparition de la Russie tsariste comme à celle de l’URSS. Et la situation qui suivit le "printemps arabe", de la Tunisie à l’Afghanistan, ne l’inspire pas davantage.
Le césaro-popisme
Historiquement, les Tsars et l’église orthodoxe ont pratiqué une symphonie des rapports de l’Eglise et de l’Etat : Nicolas Bedaiev écrivit : "le christianisme fut adapté à l’autorité de César", c’est ce que j’ai appelé le césaro-popisme. Depuis les Romanov, la Russie s’est sentie responsable des peuples slaves, Bulgares, Serbes,… etc. Depuis le traité de Kutchuk-Kainardi en 1774, la Russie s’est voulue la protectrice des chrétiens du Caucase et de l’empire ottoman.
Les relations avec l’Islam
Les Slaves ont une longue expérience des relations avec les peuples musulmans, même si elles furent souvent tumultueuses. Surtout quand on se souvient des vingt millions de Musulmans inclus dans l’ensemble russe.
Dès 921, des relations étaient établies entre le souverain bulgare et celui de Bagdad. Du XIII° au XV° siècle, la Horde d’or - des Turco-Mongols - dominèrent la Russie, l’Ukraine et la Bulgarie. La Russie s’est toujours intéressée à l’Orient et à la Méditerranée.
Rappelons Nicolas 1er : "La grandeur de la Russie exige qu’elle parle la première chaque fois qu’il s’agit du destin de l’Orient". Quant à Catherine II, elle faisait bombarder Beyrouth en 1770. Lors de la signature du traité de Kutchuk-Kaïnarsji, le 21 juillet 1774, le traité imposé à l’empire ottoman fit de la Russie la protectrice des chrétiens orthodoxes de cet Etat. En 1780, Catherine II avait imaginé un projet grec qui consistait à recréer l’empire chrétien d’Orient, dont Constantinople serait la capitale : ce projet fut repris par Nicolas II, qui y voyait le prix de sa participation au 1er conflit mondial. La révolution de 1917 fit capoter cette idée.
Depuis 1860, une mission russe était installée à Jérusalem : elle fut prolongée par la Société Impériale Orthodoxe de Palestine (SIOP), qui étendait ses activités dans ce qui est aujourd’hui le Liban, la Syrie, la Jordanie. En 2014, Poutine avait réuni à Moscou les quatre patriarches orthodoxes d’Alexandrie, d’Antioche, d’Istanbul, de Jérusalem. Ces personnalités ont déclaré Poutine : "Le vrai Président chrétien orthodoxe", et ils ont loué sa volonté "d’agir indépendamment de l’Occident." Ces personnages reprenaient mot pour mot les déclarations du philosophe Nicolaï Danilevski qui, dans "La question d’Orient", soutenait qu’il n’y avait pas d’antagonisme entre chrétiens orthodoxes et musulmans, mais bien plutôt un conflit entre la culture européenne et la civilisation slave, héritière de Byzance.
Le désastre subi par les armées arabes en novembre 1956 lors de la nationalisation du canal de Suez, puis la rupture de la fusion entre l’Egypte et la Syrie en 1961, permirent à l’URSS de s’engager pour réorganiser l’armée et les services de renseignement, et pour approvisionner en armement la Syrie et l’Egypte.
La suite logique de cette histoire et de ces traditions, ce sont les efforts russes depuis 2011 pour sauver le régime de Bachar el Assad, ce sont les bases russes de Tartous et de Hmeimim, une base partagée avec l’Iran, ce sont les alliances avec la Turquie et l’Iran. Il convient de remarquer les capacités de la diplomatie russe, s’alliant sans vraie difficulté avec les Chiites et les Sunnites…
Soyons clair : la Syrie est désormais un condominium russo-iranien.
Né le 3 mars 1932
Marié (1953) – 5 enfants
Officier, général de corps d'armée
Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr
Ecole d’Etat-Major
Ecole supérieure de guerre (ESG)
Commandant la IVème Région militaire
Général de corps d’armée (1988)
Représentant français auprès du Commandement Centre-Europe de l’OTAN (1986-1988)
Commandant de la 1ère Division blindée (1983-1985)
Commandant du 3ème Régiment de parachutistes d’infanterie de marine
Professeur à l’Ecole supérieure de guerre
Membre correspondant du Muséum d’Histoire Naturelle en 1964
Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées de droit public
Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux (1989-1994) ("Société et Défense")
Président de l’Union des blessés de la face (les Gueules cassées) (1995-2002)