Plus que la gauche et la droite, les "anti-système" et les "purs produits du système", les mondialistes et les protectionnistes, le plus gros clivage en politique est probablement celui qui sépare ceux qui ont les codes de ceux qui ne les possèdent pas (encore). Au 12 avenue de Wagram, vendredi matin, l'équipe de François Asselineau boxait dans la seconde catégorie. Le président de l'Union populaire républicaine (UPR) a beau affirmer que l'obtention des 500 parrainages requis pour être candidat à la présidentielle n'a rien d'une surprise pour quiconque s'intéressait un minimum à sa candidature, lui-même contenait difficilement sa joie étourdie.
Dans une pièce trop petite pour accueillir les nombreux journalistes que le leader du "parti qui monte malgré le silence des médias" ne voyait pas souvent jusqu'à la semaine dernière, François Asselineau a pris le contrepied de l'intégralité de la classe politique bien installée en commençant sa conférence de presse avec trois minutes d'avance. Il a ensuite déroulé son programme, ses idées et sa vision de la France pendant 50 minutes, devant un parterre dans lequel les militants se mêlaient à la presse. Les premiers se distinguant de la seconde par la vigueur de leurs applaudissements et de leurs cris de joie, mais aussi par les sourires flottants de ceux qui ont encore du mal à encaisser le succès.
Au commencement était Asselineau
Puis vinrent les militants
Sur les militants, l'effet est immédiat. "C'est un authentique passionné", raconte Antoine Goblet, militant de l'UPR dans le Nord, qui a rencontré plusieurs fois le premier homme politique qui lui donne réellement envie de voter. "J'étais assez impressionné. Il a une carrure, un parcours et quelque chose qui émane de lui, une stature qui vous fait penser que vous avez un chef de l'État qui se tient devant vous." Comme de nombreux adeptes, ce jeune fonctionnaire territorial a découvert François Asselineau sur Internet. "Un ami m'a dit d'aller voir ses conférences en ligne."
Ces conférences, nombreuses, François Asselineau leur doit tout. "Je mélange la politique et Power Point pour faire de l'éducation populaire", résume le fondateur de l'UPR. Autrement dit, il expose ses thèses anti-construction européenne, explique comment la CIA finance le Front national ou pourquoi le logo de feu l'UMP est "traîtreusement américain". C'est long, la mise en scène est austère, et cela fait un carton : bien souvent, la barre des 50.000 vues est allègrement dépassée. Régulièrement, cela se compte en plusieurs centaines de milliers. "J'ai découvert ça de prime abord avec méfiance", reconnaît Antoine Goblet. "Et en fait, avec un peu de courage et de curiosité, ces analyses deviennent étonnantes. Au fur et à mesure qu'on découvre, on a le sentiment de récupérer les clefs de compréhension pour repérer le jeu politique français. Cela devient une véritable bouffée d'oxygène."
Comme lui l'a fait en 2014, près de 18.000 personnes ont adhéré à l'UPR, selon le décompte officiel du parti, qui se targue d'être le plus transparent en la matière. Elles viennent de droite comme de gauche, "majoritairement de gauche" même, précise François Asselineau. Et comme Antoine Goblet, nombreux sont les militants hyperactifs sur Internet. Sur les réseaux sociaux, ils dégainent plus vite que leur ombre lorsqu'un article parlant de leur candidat leur paraît mensonger. Le jeune homme, qui passe plusieurs heures dans les transports chaque jour pour rejoindre son lieu de travail, admet ainsi passer la majorité de ce temps libre sur Internet. "On a l'occasion d'interpeller les journalistes via Twitter, via Facebook. On en discute entre militants quand on tombe sur un article où, effectivement, il y a de la diffamation. On se dit qu'on irait bien contacter l'auteur."
Infatigables, ils tweettent, interpellent et versent parfois dans le harcèlement de journalistes politiques, qui ont tous ou presque reçu au moins une fois des messages très remontés (et très nombreux) d'anonymes excédés par le traitement médiatique réservé à leur champion. Ou, justement, l'absence de traitement médiatique. Mais les militants se défendent de toute stratégie encouragée par les instances dirigeantes du parti. "On s'organise à notre niveau, il n'y a pas de consignes", assure Antoine Goblet. "Je n'ai pas d'armée de l'ombre", confirme François Asselineau. Le colonel Régis Chamagne tempère quelque peu. "S'il se développe surtout de façon virale, le cybermilitantisme de l'UPR est parfois impulsé par le haut."
À l'UPR, tout le monde avance le même argument pour expliquer cette omniprésence sur Internet : c'est bien parce que les médias négligent le parti que ses militants et son président sont obligés d'investir la Toile. "Depuis dix ans, on n'a aucun écho, aucun relais médiatique. Il y a un sentiment d'injustice et beaucoup de militants qui sont agacés", explique Antoine Goblet. Selon lui, ce silence subi a renforcé la motivation des troupes. "Il y a vraiment de la ténacité, de l'envie, de l'enthousiasme à l'idée de faire découvrir les analyses irréfutables de François Asselineau."
Des amateurs très bien rôdés
Il n'y a pas que sur Internet que les militants sont hyperactifs. Comme leurs collègues d'autres partis, ils tractent sans relâche sur les marchés. Et probablement plus que ceux d'autres partis, ils collent des affiches partout. "Comme on ne passait pas dans les médias, on a eu beaucoup de volontaires", raconte François Asselineau. L'UPR a investi 14.000 euros dans 200.000 affiches "de mauvaise qualité", comme l'admet le président lui-même, pour en recouvrir toutes les surfaces disponibles, notamment à Paris.
Leur nombre et leur engagement expliquent grandement comment François Asselineau a pu obtenir plus de 500 parrainages, lui qui avait plafonné à 17 signatures en 2012. "Je suis allé sur le terrain pour aller voir les maires, leur expliquer la situation", raconte Antoine Goblet, qui convient volontiers que ça n'a pas été facile. "Beaucoup d'élus locaux ne voulaient même pas nous recevoir. Mais quand on arrivait à avoir un rendez-vous, on s'est aperçus que beaucoup voulaient faire émerger des petits candidats pour enrichir le débat, au nom du pluralisme." La motivation des militants joue aussi. "Ce n'est pas pour le candidat que [j'ai donné mon parrainage] mais pour la personne qui est venue me le vendre", confie ainsi Serge Cardonne, maire d'une petite commune dans le Gers, à Franceinfo. "[François Asselineau] sait s'entourer de personnes qui savent convaincre." Jean-Pierre Valette, édile dans la Côte-d'Or, ne dit pas autre chose. "Ils se sont déplacés. C'est plus pour leur énergie que j'ai apporté mon parrainage."
Autant de preuves, pour François Asselineau, que son parti fonctionne bien par la base. "Je ne suis pas derrière tout le monde. Il y a une effervescence collective." Pourtant, le président reste, quoi qu'il en soit, la clef de voûte. Celui par lequel tout passe et auquel il est très difficile de s'opposer. "Il a, comme tout le monde, les défauts de ses qualités. Il veut tout contrôler et ne sait pas déléguer", estime ainsi Régis Chamagne. "Cela peut s'apparenter à de l'autoritarisme." Le colonel s'est mis en retrait du bureau national du parti avant de le quitter définitivement en 2015. Il protestait à l'époque contre l'éviction d'un autre responsable, Yannick Hervé, exclu après avoir diffusé des messages à caractère antisémite sur son compte Facebook. "Il y a eu une campagne à charge d'Asselineau. À aucun moment Yannick Hervé n'a pu se défendre devant le Bureau national", dénonce Régis Chamagne.
Au final, cette verticalité est en totale adéquation avec la vision politique de François Asselineau. Lui qui se présente en nouveau de Gaulle, au-dessus des partis, ni de droite, ni de gauche, présente un programme entièrement centré sur sa personne et les prérogatives régaliennes d'un chef de l'Etat. "L'éducation, la santé, l'écologie, l'environnement, tout ça relève d'un programme pour les législatives, par pour la présidentielle", assène-t-il. Programme que l'UPR devra bien finir par présenter, puisque le parti a prévu d'investir 577 candidats à la députation.