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Le blog de Lucien PONS

L'homme sans qualités. Par Marc Rameaux

18 Juin 2017 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Comité pour une Nouvelle résistance, #La nation ., #Europe supranationale, #francais colloque, #La France, #AMERIQUE, #La mondialisation, #La République, #Le grand banditisme, #Le fascisme, #Les média, #l'horreur économique

vendredi 16 juin 2017

 
L'homme sans qualités
 
 
Par ce titre, il ne s’agit pas de dénier tout talent à l’homme qui vient de se faire élire président de la république. Mais de voir en lui ce que le célèbre roman éponyme de Robert Musil dévoile avec tant de lucidité.
 
Tout comme Ulrich - le héros du roman - Emmanuel Macron présente tous les dehors apparents d’atouts personnels. L’on prête ainsi à Ulrich intelligence, volonté et parfois courage. Musil ne cherche pas à faire le portrait d’un médiocre. Son titre révèle un malaise beaucoup plus profond : « l’homme sans qualités » est appelé ainsi non parce qu’il en est dépourvu, mais parce qu’il faudrait parler d’attributs abstraits le concernant, au sens mathématique du terme, plutôt que de qualités personnelles.
 
Dans le roman de Musil, Ulrich possède bien certains talents, mais ils se diluent dans un relativisme généralisé, un regard purement formel sur le monde, faisant de toute conviction ou tout engagement un simple protocole d’usage. Les qualités ne sont pas absentes, mais elles ne sont jamais habitées. Comme s’il ne subsistait plus que la liberté de choix à l’état pur, sans le pilotage de la conscience.
 
Musil parle dans son roman de l’Autriche-Hongrie finissante, sous le sobriquet de « Cacanie », un état qui « ne subsistait plus que par la force de l’habitude ». Les héros de son roman essaient de se donner des causes mais sans y croire. Musil diffuse une ironie perçante et glacée tout au long de son roman, sur le mouvement « d’Action parallèle » que rejoint Ulrich. Ce groupe politique auto-constitué est une dernière tentative de célébrer leur souverain François-Jospeh et leur pays, mais sans que personne ne sache plus ce qu’est leur nation ni ce qui la fonde.
 
 
La détermination à agir pour « l’Action parallèle » est affichée d’autant plus fortement et avec tous les signes extérieurs de la volonté qu’elle ne sait même pas pour quoi elle se bat : la forme véhémente doit masquer l’absence totale de contenu. Du reste dans la logique post-moderne, cette façon de rester toujours à la surface ne pose aucun problème : le fond n’est pas critiqué, il n’existe tout simplement pas. Pour Macron – Ulrich, la culture française n’existe pas. Elle n’est qu’un réceptacle abstrait accueillant tour à tour des tendances interchangeables, sa seule qualité précisément, étant de pouvoir se prêter à toutes les combinaisons.
 
 
L’on frémit en relisant Musil et les déboires de la Cacanie : discussions stériles et sans fin que l’on s’invente pour masquer les vrais problèmes, relativisme moral considérant que pouvoir accueillir tous les possibles devient une fin en soi, projets grandioses pris très au sérieux mais parfaitement creux, présentés comme une renaissance avant l’effondrement de l’Autriche-Hongrie.
 
Le stade terminal du post-modernisme est décrit avec une précision clinique. La France y est aujourd’hui tellement plongée que l’on ne peut même pas accuser Macron d’être post-moderne : il est le post-modernisme. Le reproche de relativisme moral confinant au cynisme le plus complet, comme le montre l’affaire Ferrand, glisse sur lui comme de l’eau sur une matière imperméable : il est le relativisme incarné.
 
Tout jugement moral n’a plus prise, non pas parce qu’il aurait quelque chose à y objecter, mais parce que la morale n’a pour lui aucun sens. Nos politiques traditionnels fautaient mais savaient qu’ils commettaient une faute. Pour Macron-Ulrich, cette notion est simplement dénuée de signification : seul compte le jeu formel des combinaisons car lui seul existe, sans jugement, sans historique, son seul critère d’évaluation étant de savoir s’il atteint ou non le but qu’il s’était fixé.
 
 
Comparatif trop sévère avec le roman de Musil ? L’on pourrait m’objecter que lors de la fameuse séquence où Macron hurlait à la fin de l’un de ses meetings, il n’était plus dans le formalisme neutre et semblait défendre une conviction, qu’elle nous plaise ou non. Pourtant, dans cette séquence comme lors de la poignée de main Trumpienne, ce n’est pas l’outrance qui m’a frappée et qui a attiré les commentaires de surface. C’est de ressentir combien cela sonnait faux, comme un acteur qui surjoue. Même les foucades sont calculées, et font partie du petit jeu de la société post-moderne. Le microcosme que Musil décrit avec cruauté met en scène des personnages qui semblent très concernés par leur cause, jouant la comédie de la détermination. Le génie du roman viennois est de nous faire ressentir sans jamais le dire tous les faux semblants enfouis derrière ces postures.
 
 
Mais ne tombons pas nous-mêmes dans l’abstraction. Je souhaite illustrer par quatre exemples concrets tirés du démarrage du jeune président pourquoi il peut faire irrésistiblement penser au héros de Musil, et à l’ambiance générale d’absurdité, de déliquescence et de convictions vides que le roman viennois met en scène.
 
 
Le partage des postes avec le Modem et la colère de Bayrou :
 
Dès les premiers jours de constitution de l’équipe gouvernementale, une trahison apparaissait. La presse s’en est amusée, et il faut admettre que ce croc en jambe avait un caractère savoureux, car c’est un maître traître qui en faisait les frais.
 
Ce n’est donc pas cette manœuvre obscure qui attirait mon attention, car elle est très classique dans le monde politique. La réaction de Macron et la conclusion qui en est sortie sont en revanche très révélatrices d’un degré supplémentaire de déliquescence. Macron ne chercha pas longtemps à résister aux demandes de Bayrou, qui obtint gain de cause en quelques jours. L’on aurait tort d’y voir un signe de faiblesse ou de manque de caractère du nouveau président. Car son revirement n’était pas fait sous le mode d’une capitulation, mais d’une sorte de cynisme souriant et assumé, affichant clairement « Tiens, cette combinaison-là n’a pas marché, il s’en est aperçu. Tant pis, changeons de combinaison et passons à autre chose. »
 
Pour bien comprendre le mode de fonctionnement de celui qui est maintenant président, il faut préciser que même le qualificatif de cynisme n’aurait aucun effet sur lui. Les combinaisons de facteurs peuvent s’interchanger dans l’instant et autant de fois que nécessaire, de manière parfaitement fluide, parce qu’elles ne portent aucun engagement moral ni aucun sens.
 
Si Bayrou n’avait pas obtenu le respect des engagements pris, cela n’aurait eu aucune sorte d’importance : respect ou non respect des engagements, seul le résultat final compte. Macron n’est pas seulement post-moderne, il est post-moral. Il franchit en cela une étape supplémentaire de la dégradation politique, peut-être l’étape terminale, de ne plus être dans la transgression et la faute, mais de considérer que la transgression et la faute n’existent même plus. Le pire étant qu’il le fait certainement en toute bonne conscience, et ne voit pas en quoi cet hyper opportunisme serait répréhensible. Les français ont élu une sorte d’ange amoral à leur tête.
 
 
L’affaire Richard Ferrand : misère du légalisme :
 
Je ne m’appesantirai pas sur le parallèle de l’affaire Ferrand avec l’affaire Fillon et sur la totale dissymétrie de traitement, aussi bien de la part de la justice que des media : d’autres l’ont déjà très bien relevé et commenté.
 
L’absence quasi-totale de réaction des contre-pouvoirs médiatique et judiciaire pour protéger un ami est plus inquiétante encore que l’acharnement dont ils ont fait preuve pour détruire un adversaire, et confirme clairement la fin de leur indépendance vis-à-vis de l’exécutif.
 
Cette fois c’est par la bouche d’Edouard Philippe que le nouveau président a fait savoir le reflet de sa pensée. Ces deux-là se sont bels et bien trouvés, tant leur mode de fonctionnement totalement amoral se ressemble. Il faudra s’y faire, la démultiplication de Macron à travers des personnages qui partagent son vide moral est un aspect de son Fregolisme politique. Macron n’a pas besoin d’hologrammes, il a déjà ses clones.
 
« Je dis oui, après avoir parfaitement compris, avoir parfaitement conscience de l'exaspération des Français, de leur émotion, de leur agacement. », déclare ainsi le premier ministre pour annoncer le maintien de Ferrand au gouvernement.
 
Le terme « j’ai parfaitement conscience de… », ou « nous avons parfaitement conscience de… » est devenu l’un des plus intéressants cas de dérive sémantique que je connaisse. Il apparaît aussi bien dans les communications des politiques que dans certaines circulaires officielles émanant de l’administration. Sa signification est la suivante : lorsque quelqu’un vous dit qu’il a parfaitement conscience de ce que vous réclamez ou de ce que vous vivez, cela annonce son intention de n’absolument rien faire et de piétiner totalement et sans complexe votre demande.
 
Il faudra un jour créer un dictionnaire des expressions toutes faites dont le sens a été ainsi inversé. Il faut aussi relever que c’est le mot « conscience » qui a été choisi par le détournement post-moderne, c’est-à-dire ce qui exprime normalement la quintessence de la vie intérieure, aujourd’hui contre employée pour signifier son absence totale.
 
Finalement gêné par certaines protestations quant à son silence jupitérien, le jeune président se sent obligé de communiquer sur le sujet, en renchérissant sur les déclarations de son clone barbu :
 
"Un gouvernement doit gouverner, la presse doit faire son travail et ensuite une justice indépendante en France fait son travail. Il ne faut confondre aucun de ces rôles"
 
Le formalisme, encore et toujours, employé comme prétexte s’exonérant de tout devoir moral : l’une des armes préférées du post-modernisme. Ceci permet de faire passer les préoccupations éthiques pour un comportement passionnel et – accusation suprême pour le post-modernisme – non professionnel.
 
Macron confond ici à dessein l’indépendance des pouvoirs, impératif catégorique qui doit être à tout prix préservé et des règles formelles qui l’empêcheraient soi-disant d’exprimer son opinion d’homme. C’est à la seule justice de juger Ferrand. Mais cela n’empêche pas pour autant d’exprimer une opinion sur le caractère éthique, et non légal, de ses agissements : c’est aussi le rôle humain du meneur d’une équipe.
 
En instaurant un tel formalisme des rôles, il faudrait interdire au sein de toute communauté d’hommes au travail, et un gouvernement en est une, toute forme de sentiment humain et d’opinion, de peur qu’il s’agisse d’un jugement. Prétexte bien commode pour celui qui veut s’abstenir de faire la distinction entre le légal et le moral lorsque celle-ci s’avère très gênante. Le légalisme est au politique ce que le vice de forme est à l’avocat.
 
Dans le cas de Fillon, il était absolument nécessaire que le coupable soit trainé en place publique. Dans le cas de Ferrand, ses actions sont bien regrettables mais il est urgent d’oublier le passé, de passer à autre chose afin de se tourner vers un avenir radieux évitant de se poser la moindre question. Ce faisant, Macron comme Philippe commettent une entorse bien plus grave à la justice qu’en exprimant une opinion humaine, puisqu’ils décident du caractère grave ou pardonnable des actes reprochés. Dans un registre « circulez, il n’y a rien à voir », le nouveau gouvernement annonce clairement son intention de se moquer éperdument de toute opinion du peuple français et de s’octroyer tous les droits de faits du prince
 
 
L’ancienne position sur le burkini et l’écho de Castaner :
 
Les récentes déclarations sur l’islamisme de Christophe Castaner – un autre parmi les clones du président - rappellent à notre bon souvenir la position de Macron sur le burkini, et plus généralement sur l’ensemble du communautarisme.
 
Les termes précis qu’employait Macron à l’époque du débat sur le burkini valent la peine d’être analysés. Sa première déclaration semblait aller dans le bon sens, celui du respect des lois de la république et des valeurs sociales et historiques de la France qui les sous-tendent :
 
« Il était justifié à certains endroits, pour des raisons d'ordre public, d'interdire le burkini. Il est indispensable de mener une bataille politique, idéologique, pour dire que ce vêtement est contraire à l'idée que nous nous faisons de la civilité et de l'égalité entre homme et femme. »
 
Mais ce fut pour poursuivre aussitôt de la façon suivante :
 
« Il est en même temps indispensable de défendre la liberté individuelle si certains veulent s'habiller d'une certaine façon. C'est une formidable défaite de voir des policiers arriver sur une plage et demander à une femme, au nom de la laïcité, de ne plus porter un burkini. »
 
 
Il faut à un moment ou à un autre savoir se situer. Une question de société ne peut pas à la fois se placer dans les limites inadmissibles de nos valeurs et relever en même temps de l’exercice du libre arbitre. J’avais produit un article sur le burkini montrant que le considérer comme un simple choix vestimentaire revenait à dire que dans les années 1930, il n’y aurait pas eu lieu d’interdire aux fringants jeunes gens appelés SA de porter ces si jolis brassards à la croix gammée parce que cela relevait du goût personnel pour un accessoire décoratif. Voilà le beau résultat du culte du libre arbitre comme valeur en soi, expurgé de toute conscience.
 
Les choses ont un sens et une symbolique et tous les choix ne sont pas neutres. Macron affirme dans ce domaine tout et son contraire : comme beaucoup de néo-libéraux, il raisonne sur une épure idéale dans laquelle tout est question de choix personnel responsable et d’usage totalement ouvert du libre arbitre.
 
Ce modèle oublie qu’il faut d’abord satisfaire des pré-requis élémentaires de vie en société avant de prétendre rentrer dans le territoire du libre arbitre. Le modèle d’une société libre et ouverte est certainement à préserver, mais il n’est pas acquis qu’il s’étende de façon naturelle à tous les comportements humains existants. Idéalement il suppose des citoyens responsables et respectueux des libertés d’autrui. L’idéologie néo-libérale considère l’emploi du libre arbitre comme un droit sacré, sans lui adjoindre aucun devoir. C’est la raison pour laquelle il est si maladroit dès lors qu’il faut penser les conflits, les rapports de force au sein d’une société, enfin la question de l’usage légitime ou illégitime de la force et de l’autorité.
 
 
Si les choses sont sans signification et qu’elles ne se réduisent qu’à des combinaisons formelles interchangeables au gré des opportunités, le principe de non contradiction n’existe pas non plus. Macron se retrouve pour cette raison abonné aux oxymores : sur le burkini comme sur d’autres sujets, il se retrouve à défendre tout et son contraire. Comme Ulrich, il est homme sans qualités non pas parce qu’il en est potentiellement dépourvu, mais parce qu’il veut indéfiniment conserver ses choix ouverts.
 
 
Le traitement de la radicalisation islamique par Castaner relève de la même logique. Il est très grave de considérer comme il le fait les crimes islamistes comme relevant du droit commun, niant tout lien avec leur religion d’origine.
 
Il y a dans l’équipe Macron un formalisme du cloisonnement, de la séparation étanche, permettant d’évacuer les sujets dérangeants. Des sujets naturellement reliés se retrouvent isolés afin de nier ce qui contredirait l’épure idéale de société. Le formalisme n’est plus employé pour garantir un respect de la règle, mais pour évacuer toute forme d’intelligence des situations considérées comme gênantes.
 
La relégation des actes djihadistes dans une case totalement décorrélée de tout fait religieux - pour ne pas vexer les musulmans – détruit des années de lents et patients travaux de reconstitution et d’explication, ceux des « Territoires perdus de la République » de Georges Bensoussan et Emmanuel Brenner ou « Les nouveaux enfants du siècle » d’Alexandre Devecchio.
 
Comprendre la radicalisation islamique nécessite un travail sociologique fourni, montrant le continuum existant entre le déclassement des banlieues, la démission de l’état ou des élus locaux voire leur complaisance clientéliste, une culture de la revanche aigrie nourrie d’intimidation territoriale, de racisme et d’antisémitisme venant de la gauche d’une indulgence infinie vis-à-vis des dérapages des rapeurs, le tout adoubé par des convictions religieuses.
 
Il n’y a pas une infime minorité de fanatiques et une écrasante majorité de musulmans paisibles et respectueux des lois et du mode de vie français, mais une palette continue de toutes les nuances entre les deux, avec le danger d’un effet d’entrainement faisant basculer une majorité de ce dégradé vers la partie extrême, surtout lorsque la lâche inaction de nos politiques leur envoie un signal de consentement.
 
Castaner ou Macron lui-même n’ont-ils pas lu le rapport de l’institut Montaigne – pourtant une figure de proue du post-modernisme – rapportant l’effrayant chiffre de 28% de musulmans français affirmant de façon décomplexée des convictions qui les précipitent dans une radicalisation et un mépris de la France quasiment irréversibles ?
 
Des sémanticiens de seconde zone sont rentrés dans des distinctions oiseuses, affirmant que ce rigorisme et ce mépris affiché pour les lois et pour le mode de vie français ne prouvaient pas que cette population pourrait passer à l’acte, allant jusqu’à dissocier finement rigoristes islamistes, salafistes et enfin activistes violents.
 
 
Encore et toujours ce cloisonnement formel se réfugiant derrière la sémantique, pour mieux nier ou retarder la réalité : un processus d’évolution similaire à la montée du nazisme ou à n’importe quelle contagion du totalitarisme dans un pays. Pour penser la situation, il ne suffit pas de rentrer dans des distinctions abstraites qui vident les phénomènes de leur substance. Il faut reconstituer l’historique et la temporalité de cette évolution, la lente progression des mille petites démissions face à une force mouvante sentant qu’elle a l’opportunité de prendre les commandes.
 
Il faut pour cela relier les événements apparemment indépendants, avoir de la mémoire, effectuer un travail d’historien, en un mot penser. Les distinctions formelles de Macron et de son équipe ne sont pas des analyses mais une ablation de parties entières du cerveau. Le scalpel n’est pas celui de la distinction de l’esprit mais celui de la lobotomie. Les post-modernes haïssent la mémoire, l’histoire, la temporalité, parce qu’elles reconstituent ce qu’ils ne veulent pas voir, qu’elles contredisent leur société de particules élémentaires dans un gaz parfait, d’entrechocs élastiques et sans mémoire, assimilant la liberté humaine et la liberté de conscience aux degrés de liberté de la mécanique.
 
 
Le discours aux « whirlpool » :
 
S’il faut reconnaître au Macron candidat de s’être lancé au milieu des salariés de Whirpool avec le courage que l’on connaissait à Ulrich, ce fut pour leur conseiller de suivre une formation ou d’aller travailler pour Amazon.
 
Le formalisme vide du post-modernisme se traduit en économie par des habitudes de gestionnaire, non d’entrepreneur comme Macron aimerait pathétiquement faire croire qu’il en fait partie. L’action ne peut être conçue que comme de petites retouches de l’existant. Le mouvement qui nous précipite de manière évidente vers une grande majorité de citoyens vivant dans la précarité et aux limites de la survie, pour une petite minorité d’ultra privilégiés sans rien au milieu – c’est-à-dire un mode d’organisation économique typique d’états totalitaires – ne fait pas douter une seule seconde ceux qui pensent gouverner mais ne font que glisser sur cette pente.
 
Je ne développerai pas ici mes convictions en matière de solution économique car ce n’est pas le lieu, mais qui ne repense pas radicalement le monde du travail est voué à une lente et inéluctable agonie. Les modèles présentés comme exemplaires pour se sortir de l’ornière sont des pays à la réussite en trompe l’œil, dont la précarité nous fait revenir à Zola, ne jouant que sur une compétitivité prix et une baisse du coût du travail ne laissant quasiment aucune marge de manœuvre et d’un simplisme univoque.
 
Il y a dans l’agitation de ceux qui pensent piloter l’économie mais ne font que la subir, la grandiloquence ridicule des habitants de la Cacanie du roman de Musil, une détermination d’opérette, une volonté s’affichant d’autant plus forte qu’elle est de pacotille, un règne de l’absurde déliquescent s’habillant de grands projets.
 
 
 
L’enfer, tous les bons théologiens le savent, n’est pas brûlant de flammes et de vices. L’enfer est froid. Il n’est pas un puits profond de toutes les turpitudes - après tout ceux qui y sont condamnés pourraient s’y complaire - car il est bien pire que l’immoralité : l’amoralité dépasse celle-ci de cent coudées.
 
Georges Bernanos avait déjà fait observer que le pillard qui tue ses victimes à l’arme blanche a encore conscience de son vice, car il ressent la douleur charnelle de sa victime. L’homme post-moderne qui largue une bombe d’un avion en pressant sur un bouton pourra déchiqueter dix fois plus de personnes, mais aura tout loisir de rester décontracté et souriant par la distanciation.
 
 
L’enfer ne dévore pas ses victimes par le feu, il éteint petit à petit leurs forces par le givre de l’indifférence. Il n’est pas un lieu sale et tordu, il est d’une grande beauté formelle, structure de règles vides permettant d’éviscérer le sens en se faisant passer pour des principes, effaçant toute trace qui permettrait à l’homme de retrouver son chemin. Il ne retentit pas des cris des damnés, mais fait comprendre à l’homme que toute révolte est inutile, non pas parce qu’elle sera réprimée, mais étouffée dans une ouate épaisse dont il s’épuisera à sortir. Bienvenue en Cacanie.



 
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