Catalogne, un exercice en autodestruction par John Laughland
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Un exercice en autodestruction
Le texte de John Laughland du 4 octobre 2017 publié ci-dessous, repris de ses chroniques régulières sur RT-français, nous donne un excellent cadre de réflexion pour bien appréhender la crise catalane. Laughland nous donne la mesure des contradictions extraordinaires où nous conduisent les événements, nous dirions les contradictions extraordinaires où nous précipite le “tourbillon crisique” qui règle la marche du temps historique et accéléré que nous vivons.
La domination du Système est telle que la plupart des événements aujourd’hui ne peuvent plus porter que sur les contradictions internes du même Système, qui sont énormes et écrasantes ; la dynamique de surpuissance du Système est telle que rien ne peut stopper le rythme engendré par la rapidité historique signalé ci-dessus, et par conséquent la transformation de ces contradictions en autant de crises prenant leur place dans la paradoxale structure (puisque structure informelle) du “tourbillon critique”. Dans ce contexte, nous ne pouvons envisager la crise catalane que comme une avancée de plus de la transmutation de la surpuissance du Système en autodestruction.
Laughland est un conservateur britannique, mais du type eurosceptique profond ; philosophe également, donc bien au-dessus des polémiques de talk-shows télévisés ; souverainiste d’opinion intellectuelle plus que politicienne, partisan de l’État-nation contre le monstre bruxellois qu’il juge usurpateur, nous dirions assez proche des sources françaises (gaulliennes) de la chose. (Laughland travaille à Paris, où il est directeur des Etudes à l'Institut de la Démocratie et de la Coopération.) De ce point de vue, il devrait n’être pas très favorable à l’indépendance de la Catalogne, qui met en cause certains des principes qu’il défend.
Mais il y a longtemps que nous ne pouvons plus réduire nos réactions politiques au simple jeu du “pour ou contre”, selon nos références propres. La crise catalane est d’abord le résultat de la crise des principes fondamentaux de la politique, de la crise de la légalité internationale complètement bafouée par ceux-là même qui s’en prétendent les défenseurs sinon les inspirateurs, – nous parlons du bloc-BAO, et dans, ce cas, de l’UE plus précisément. (Nous ajoutons que ce bafouement de la légalité qu’on a soi-même proclamée répond aux pressions des choix idéologiques [progressiste-sociétaux] du bloc-BAO plus qu’à ses intérêts selon nous, même si les seconds ont bien entendu leur place.)
On verra donc l’exposé de la dérision complète où se trouvent le bloc-BAO, l’UE et l’OTAN, etc., devant une situation déterminée par leur forfaiture permanente, essentiellement et symboliquement portée par le cas absolument d’épure du Kosovo. Tout dans la crise du Kosovo, de l’attaque illégale et fabriquée de 1999 à l’“indépendance” faussaire de 2008 porte la trace de cette forfaiture, de ce mensonge de l’illégalité, du bafouement de la loi, du piétinement opérationnel et symbolique de tout ce qu’on prétend adorer et de tout ce qui forme votre propre ontologie.
RT, qui publie Laughland et fait d’intéressantes enquêtes malgré l’avis général de la civilisation postmoderne à cet égard, s’est intéressé au point de vue serbe, et aussi à l’appréciation d’un diplomate britannique, William Mallinson. Ce Britannique a suivi avec attention la crise de l’ex-Yougoslavie et la guerre du Kosovo, il critique « l’énorme poids de l’UE et de la globalisation, [impliquant] une lente destruction de l’État-nation lui-même. », ce qui entraîne un effet de dévolution avec « les divers composants [de l’État-nation] en état de plus en plus exacerbé » et poussés à la sécession. Quoi qu’il en soit, expose Mallinson, la logique voudrait que l’OTAN et l’UE (de facto) bombardassent Madrid pendant 78 jours comme elles bombardèrent Belgrade pendant 78 jours en 1999 :
« Mallinson then drew parallels between what is now happening in Spain to past events when NATO opened a relentless offensive on Yugoslavia and the capital Belgrade over the question of Kosovo independence. “Why isn’t NATO bombing Madrid for 78 days, because the situation is similar in very many ways.” “In fact, Kosovo is even more a part of Serbia than Catalonia [is to Spain.] Let’s remember in the Middle Ages joined when Ferdinand and Isabella joined all those bits of Spain together. Let’s remember that Spain is a united country but it is a conglomerate. We also must remember this dangerous knock-on effect. This is going to feed Basque anger more and more. And of course, other parts of Europe, possibly even the Walloons in Belgium, not to mention Scotland,” he continued... »
Là où la situation de contradiction décrite plus haut (contradiction conduisant la surpuissance vers l’autodestruction) devient du plus grand intérêt, c’est lorsque qu’on apprécie la crise catalane dans toutes ses implications, c’est-à-dire au-delà du premier degré, au-delà des arguments sommaires comme ceux que débitent les avocats des directions-zombies des divers acteurs officiels de la crise, espagnols et européens.
(Le roi Felipe a été remarquable dans ce cas, en fait d’arguments du premier degré, – primaires bien plus que premiers, – incapable de s’élever pour embrasser le rôle du roi constitutionnel qui devrait être celui d’arbitre entre le gouvernement central et la crise d'un composant majeur de la nation dont il est l’autorité symbolique suprême. Donc, roi-imposteur comme les autres, brandissant les tables sacrées de la loi que tous les organismes au nom desquels il parle parce qu’il leur est soumis bafouent sans vergogne.)
L’intérêt se trouve dans le maximalisme des situations, évaluées autant par le symbole, l’historicité, la perception culturelle et la psychologie, que par les arguments plus rationnels. La Catalogne est l’exemple d’un symbole plutôt progressiste, avec sa riche histoire culturelle, sa tradition libérale sinon libertaire, la situation progressiste de ses mœurs et de sa culture ; il y a par exemple, mais exemple ô combien puissant, sa place singulière durant la Guerre d’Espagne où se développa à Barcelone un courant anarchiste très puissant (le POUM) qui eut à lutter autant contre les franquistes que contre les liquidateurs du NKVD de Staline, – donc, bataille symbolique contre les deux grands courants totalitaires du XXème siècle dont l’UE, et le système à son cul certes, prétendraient quasiment être le dragon vertueux qui les a terrassés (ces totalitarismes).
En face ? Le gouvernement espagnol, issu théoriquement du magnifique mouvement démocratique dont l’UE est si fière, – la Mavista de 1975-1977 transformant la dictature franquiste en démocratie promise à être vraiment très avancée dans le sens progressiste-sociétal ; également zélé supplétif de la politiqueSystème des USA puis du bloc-BAO, depuis Aznar et ses accointances avec GW Bush ; puis zélé exécuteur des hautes œuvres de la politiqueSystème appliquée à l’économie, dans le chef de la globalisation, du bloc-BAO d’après l’automne 2008 et ainsi de suite... Et c’est ce monument de vertu qui affronte ce symbole de vertu qu’est la Catalogne ? Cela s’appelle une situation explosive.
On comprend bien qu’à ce point et dans ce cas, les considérations politiques deviennent un cloaque incontrôlable propre au temps du triomphe progressiste-sociétal pour qui veut dégager un jugement clair de cette situation. Il faut par conséquent en venir ou en revenir à nos références constantes, – l’antiSystème versus le Système. Dans ce cas, le choix est clair, et c’est bien sûr celui de l’indépendance de la Catalogne, parce que le gouvernement de Madrid est dans cette crise le parfait mandataire du Système, complètement au service de l’UE et de sa “Secte”, tout cela parfaitement identifié et bien compris. L’hésitation ne peut être possible, et ceux qui se réfèrent aux principes, à la référence structurante de l’État-nation, etc., ne peuvent ignorer une seule seconde qu’ils se trouvent dans ce cas en présence du simulacre le plus achevé de ces pseudo-principes, avec des acteurs qui sont tout au plus des “réplicants” à la mode Blade Runner, avec l’émotion de la tentation du spirituel en moins bien sûr.
La crise catalane n’est pas intéressant pour le point de vue antiSystème du fait de ce qu’elle va nous donner, de ce sur quoi elle va déboucher, elle est intéressante justement à cause de cette mise à jour de toutes ces contradictions enfantées par le monstrueux Système et la politiqueSystème qu’il impose. Elle est intéressante parce qu’elle s’inscrit complètement et parfaitement dans le swinging-shift qui est la marque de notre époque, – cette colossale agonie du Système avec sa production monstrueuse de surpuissance conduisant à la transmutation de cette surpuissance en autodestruction. Pour cela, “Visca Catalunya lliure”...