La crise ukrainienne a montré les faiblesses du Conseil de l'Europe, organe international essentiellement orienté vers l'idéologisation des pays de l'espace post-soviétique, pudiquement appelée "démocratisation". Indépendamment de la CEDH, dont le cas est spécifique, l'Assemblée parlementaire s'est radicalisée avec le temps au point de devenir contre-productive avec la mise à l'écart de la Russie. Aujourd'hui, c'est non seulement la légitimité de cette institution qui se pose, mais aussi ses capacités de fonctionnement, si elle ne trouve pas la force de dépasser sa politisation pour revenir à une politique plus rationnelle.
L'Assemblée parlementaire (APCE) adopte un certain nombre de résolutions, dont la nature politico-juridique fait largement penser aux actes du PCUS, à mi-chemin entre la forme juridique et le fond idéologique. Le summum est atteint dans les résolutions touchant la crise ukrainienne. "L'annexion" de la Crimée, "l'agression" de la Russie, tout est mis en oeuvre pour satisfaire la crise existentielle de ce nouveau pouvoir fantoche issu du Maïdan et donner bonne conscience à ces pays européens qui doivent forcément être du côté du Bien, puisqu'ils sont a priori et pour toujours le Bien. Ce qui se passe bien évidemment de démonstration tout autant que d'argumentation. Aucun mot sur les exactions de l'armée ukrainienne et des bataillons punitifs dans le Donbass contre les populations civiles.
Défendant ainsi le Bien contre le Mal, autrement dit l'Europe, revue et corrigée des données saisonnières, contre la Russie, incarnation de l'ennemi s'il en faut. Hystérie contre bon sens politique, le Conseil de l'Europe, porté par le feu des croisades, a alors retiré à la Russie son droit de vote et de parole au sein de l'APCE et des organes de direction. En réponse à ces mesures discriminatoires, la
Russie a refusé de payer sa contribution et ne le fera pas non plus pour 2018. Les pertes sèches pour le Conseil de l'Europe sont de 22,3 millions d'euros pour 2017 et 32,8 millions pour 2018.
L'inconséquence de cette structure laisse pantois. Il s'en dégage un sentiment d'éternité. Comme si les Etats ne pouvaient faire autrement que d'y adhérer. Comme si les Etats n'avaient jamais existé avant et ne pourront jamais exister en dehors. Une sorte d'enfant-roi qui ne comprend pas pourquoi il devrait expliquer ses caprices et au nom de quels principes ceux-ci pourraient ne pas être exécutés.
Donc les éruptions continuent, mais passent de plus en plus mal. La dernière poussée est une nouvelle
résolution sur l'Ukraine, adoptée sur la base du rapport du représentant lituanien, les pays de l'Est étant lancés en tête de pont dans la politique russophobe européenne, résolution adoptée par 56 voix pour, aucune voix contre, sur 318 membres ... L'on y retrouve évidemment tout l'arsenal habituel.
Le vice-président de la Douma, Tolstoï, a rappelé aux journalistes sur place que de toute manière, cette résolution sur l'Ukraine, comme ce qui concerne la Crimée, ne sera jamais appliquée. Les auteurs de la résolution le savent par ailleurs parfaitement, elle n'a pas été adoptée dans l'espoir d'être appliquée mais pour servir d'instrument et de justification primaire à la politique russophobe de l'institution. La Crimée est russe, c'est un fait qui ne se discute pas pour la Russie. Ne pouvant influer sur cet état de fait, le Conseil de l'Europe va bien devoir en tirer les conclusions. Enfin, s'il veut sortir de l'impasse. Car ce combat est perdu.
Et il en va de la légitimité de cette institution. La Russie est le plus grand pays du Conseil de l'Europe, mais surtout je dirais, le plus gros poisson. Quel intérêt de s'occuper de l'Ukraine si la Russie est absente? La plupart de ces pays européens de l'Est ne présentent ici un intérêt qu'indirect. L'on ne s'est occupé d'eux non pas pour eux-mêmes, mais dans la vision du rapport de forces avec la Russie et de la prise de contrôle politique du continent. L'on voit alors apparaître un conflit entre deux positions: celle de ceux qui se font manipuler depuis des années et celle de ceux qui manipulent. La première est évidemment plus rigide, quand la seconde est plus souple.
D'une part la position des radicaux, évidemment autour de
l'Ukraine, qui tentent de jouer la carte de la légitimité autour des violations à leurs yeux inacceptables des droits faites par la Russie. Dans cette optique, même le paiement des cotisations n'y changerait rien: le but est l'exclusion de la Russie. Leur vision n'est pas stratégique, elle est affective. Le représentant ukrainien comprenant par ailleurs parfaitement que ce n'est qu'une question de temps pour qu'un dialogue complet ne soit restauré avec la Russie.
D'autre part, l'on trouve les partisans d'une vision plus lucide des choses, notamment T.
Jagland déclarant qu'un départ de la Russie du Conseil de l'Europe serait une défaite énorme qui renverrait l'institution des années en arrière. Comme l'écrit la
presse ukrainienne elle-même:
"I did not say that we will be able to solve problems between Ukraine and the Russian Federation, but I believe, and it is my position, that the way out is a peaceful settlement. Countries must adhere to the rule of law, principles of the protection of human rights and freedoms, and prevent war. That is why all actions of member states have such importance to us," Jagland said.
Si l'on traduit ces paroles en langage courant, le jeu a assez duré, on a perdu, il faut faire avec et sortir de la situation sans y laisser trop de plumes. Un Conseil de l'Europe sans Russie n'a aucun sens, alors que la Russie peut vivre sans difficultés en dehors de ce résidu idéologique du 20e. A trop longtemps jouer avec le feu, ça va devenir dangereux. Le plus difficile pour eux va être de calmer les hystériques qui ne voient un sens à leur vie que dans le combat russophobe. Il faut dire qu'ils ont été bien poussés en ce sens. Mais, à chacun ses problèmes.
Pour autant, il ne sera pas si facile de sortir de la crise en faisant semblant que tout va pour le mieux - en tout cas, pour le Conseil de l'Europe. Il demande le paiement des arriérés de cotisation, à savoir environ 50 millions d'euros. Pour des raisons très simples, sans cet argent il ne peut plus fonctionner normalement. C'est en tout cas ce que déclare le représentant
danois: il manque 32 millions pour fonctionner.
Pour sa part, la
Russie ne voit pas sur quel fondement elle devrait payer pour une institution à laquelle elle est interdite de participer. Sa position est claire: tant que non seulement elle n'aura pas été restaurée dans ses droits, mais que le Règlement intérieur de l'APCE n'aura pas été modifié pour éviter à l'avenir toute possibilité de prendre des mesures discriminatoires, elle ne reviendra pas et donc n'aura rien à payer.
Le conflit ici est presque habituel. D'un côté le formalisme des positions sans fondement: il faut payer, car il faut payer. Ce sont vos obligations, quelle que soit la situation, quelle que soit la réalité des choses. De l'autre, le réalisme: privée de participation, la Russie n'est plus contrainte au paiement.
Il est plus qu'urgent pour le Conseil de l'Europe de sortir de cet infantilisme bon ton en Europe, enfin s'il estime vouloir avoir un avenir. Car il a plus besoin de la Russie, que celle-ci n'a besoin de lui. C'est la loi du marché ...