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Le blog de Lucien PONS

Dans l'Allier, l'achat de 900 hectares de terres par un Chinois fait grincer des dents.Par  Edouard de Mareschal

7 Février 2018 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Europe supranationale, #La France, #AMERIQUE, #Les transnationales, #Economie, #l'agriculture

Dans l'Allier, l'achat de 900 hectares de terres par un Chinois fait grincer des dents.Par  Edouard de Mareschal
Dans l'Allier, l'achat de 900 hectares de terres par un Chinois fait grincer des dents

REPORTAGE - Dans le canton de Chevagnes, un homme d'affaires chinois a discrètement racheté plusieurs terres agricoles, suscitant l'incompréhension et l'agacement des exploitants locaux. L'opération relance le débat sur la souveraineté alimentaire de la France, et la lutte contre l'accaparement des terres.

«Des champs français jusqu'aux assiettes chinoises»: le slogan de Reward group international a pris une tournure très concrète dans la campagne bourbonnaise, où le consortium chinois possède désormais 750 à 900 hectares de terres agricoles. «On l'a appris par la presse», se souvient Daniel Marchand, maire de Thiel-sur-Acolin, dans le nord de l'Allier. «On aurait aimé rencontrer les propriétaires, ou au moins leurs représentants. Pour un maire, c'est quand même la moindre des choses de savoir ce qu'il se passe dans sa commune.»

La vente s'est faite discrètement, en novembre dernier. Une fois finalisée, tout le monde a été mis devant le fait accompli. À commencer par la Safer de l'Allier, l'organisme d'État qui veille sur l'aménagement du territoire rural du département. «Elle l'a appris lorsque le notaire lui a notifié la promesse de vente», explique Marc Bernardet, adjoint aux finances à Thiel-sur-Acolin. «La Safer ne pouvait rien faire, donc elle n'a pas répondu.»

Des boulangeries en Chine

Car le groupe chinois s'est appuyé sur une faille juridique bien connue dans le monde rural: l'organisme ne peut exercer son droit de préemption que sur la totalité d'une exploitation agricole. Il suffit donc pour le vendeur de se constituer en société, avant de céder la quasi-totalité des parts de l'exploitation à l'acheteur. C'est précisément ce qui s'est passé dans l'Allier, où le propriétaire français a revendu toutes ses terres formées en groupements agricoles, tout en gardant une ou deux parts dans chacune d'elles.

Pourquoi l'«Empire du milieu» rachète-il des terres à 8000 kilomètres de Pékin? «On est étonnés que les Chinois s'intéressent à nos terres», concède André, un ancien exploitant agricole de 82 ans. «J'ai vu sur Antenne 2 qu'ils comptaient cultiver du blé chez nous. Mais c'est qu'il y a des bouches à nourrir là-bas, et ce n'est pas 1000 hectares qui vont faire la différence...»

La société d'exploitation agricole comprend plusieurs parcelles disséminées dans le canton de Chevagnes dans l'Allier.
La société d'exploitation agricole comprend plusieurs parcelles disséminées dans le canton de Chevagnes dans l'Allier. Edouard de Mareschal
 

Derrière cette opération financière, il y a un homme d'affaires aux grandes ambitions. Keqin Hu est à la tête de Reward group, un immense consortium fondé en 1995 à l'objectif clair: «développer l'industrie au service de la patrie», peut-on lire sur son site internet traduit en français. Ses activités vont de la fabrication de produits d'entretien ménager à l'immobilier, en passant par le tourisme ou l'agroalimentaire. L'une de ses filiales, spécialisée dans le lait en poudre, possède une exploitation laitière de 13.000 hectares en Mongolie intérieure. Et elle est aussi présente en France.

Parmi toutes ses activités agroalimentaires, Keqin Hu ambitionne de «mettre les céréales françaises sur les tables chinoises». Le financier se targue de posséder «en France huit grandes fermes en propriété permanente». Pour répondre aux exigences croissantes de la classe moyenne chinoise, il souhaite ouvrir une chaîne de boulangeries «haut de gamme» en contrôlant l'ensemble du processus industriel, de la moisson en France jusqu'aux étals de pains et viennoiseries en Chine.

Avant de mettre la main sur les terres bourbonnaises, Keqin Hu avait déjà réalisé une opération similaire dans l'Indre. Entre fin 2014 et avril 2016, son fonds d'investissement Hong Yang rachetait plusieurs sociétés civiles d'exploitation agricole à Châtillon-sur-Loire, Vendœuvres ou Clion. Au total, 1700 hectares de terres sont passés dans son giron. Pour se faire, il peut compter sur l'intercession de Marc Fressange. Cet homme d'affaires français, diplômé d'HEC, a fondé une entreprise d'export de produits du terroir français en Chine. Pour le compte de Keqin Hu, il entre systématiquement dans la gérance des sociétés agricoles rachetées.

Jean-Paul Dufrègne, député communiste de l'Allier devant sa permanence à Moulins.
Jean-Paul Dufrègne, député communiste de l'Allier devant sa permanence à Moulins. Edouard de Mareschal
 

«Une pression foncière qui rend la terre inaccessible aux jeunes agriculteurs»

Dans l'Allier, l'opération financière fait grincer des dents. Le montant de la transaction n'est pas public, mais il oscillerait entre 10 à 12 millions d'euros. «Impossible de partir de cette somme pour extrapoler un prix à l'hectare», tempère Pierre Marnay, directeur général de la Safer Auvergne-Rhône-Alpes. «Car il comprend aussi les comptes de la société, les contrats en cours, l'état des stocks, le matériel et les bâtiments agricoles...» Mais pour le député communiste de la circonscription, Jean-Paul Dufrègne, la transaction n'a aucun rapport avec la réalité du marché. «Ici, l'hectare vaut entre 2500 et 3000 euros», estime-t-il. «Ajoutons 3000 euros par hectare pour l'installation des drains et des rampes d'arrosage, et on reste à des niveaux trois fois supérieurs à ceux du marché. La conséquence est simple: cela crée une pression foncière qui rend la terre inaccessible aux jeunes agriculteurs.”

Effectivement, l'opération financière n'a pas échappé aux jeunes agriculteurs du canton. Jean Taboulot est installé sur une exploitation à la sortie de Thiel, sur la route de Dompierre. Aujourd'hui, lui et son associé exploitent une ferme de 460 hectares et 360 têtes de race charolaise. Mais dans sa jeunesse, Jean a travaillé pour le propriétaire alsacien qui a revendu ses terres aux Chinois. «Je ne dirai jamais de mal de cet homme», prévient-il d'emblée. «Monsieur M. a investi dans les années 80, à un moment où on en avait besoin. Il y avait tout à faire: drainer, installer des pivots pour irriguer...» Mais lorsque cet homme a revendu, impossible pour un jeune agriculteur de s'aligner. «C'est malheureux, mais les banques ne font plus leur travail. Elles investissent des sommes folles pour afficher leurs logos sur des trimarans, mais il n'y a plus personne pour aider un jeune agriculteur à s'installer», lâche Jean Taboulot. «Il aurait fallu diviser le lot par trois ou quatre, mais la Safer ne fait pas son travail.»

Après 60 ans d'existence, les Safer sont face à un défi inédit. Censées veiller au développement des territoires ruraux et à l'intérêt des agriculteurs, elles sont impuissantes pour juguler la pression foncière provoquée par le développement urbain ou les investissements financiers de ce type. Car les Chinois ne sont pas les seuls à les pratiquer: les Français bien sûr, un peut partout, mais aussi les Allemands, les Belges ou les Hollandais ne sont pas en reste - pour ne citer que les Européens, attirés par des terres très bon marché.

En pointe sur le sujet, le député socialiste Dominique Potier avait fait voter fin décembre 2016 une proposition de loi pour lutter contre l'accaparement des terres agricoles. La disposition permettait notamment aux Safer d'intervenir dans une vente comme celles de l'Allier et de l'Indre. Mais l'initiative a été censurée par le Conseil constitutionnel. «Les Sages considèrent cette disposition contraire à la liberté d'entreprendre», explique Dominique Potier. «Pour ma part, je maintiens qu'elle vise au contraire à protéger la liberté d'entreprendre des jeunes agriculteurs, plutôt que de laisser les terres à des fonds de pension ou à des nations étrangères.»

Avec un groupe de députés, dont Jean-Paul Dufrègne, Dominique Potier est «reparti à la bagarre». Au sein d'une commission d'information sur le foncier, dont il est le co-rapporteur, il prépare une nouvelle mouture de son texte pour le rendre conforme à la Constitution. Objectif: l'intégrer à la prochaine loi sur l'agriculture annoncée par le ministre Stéphane Travert.

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