Source : Proche & Moyen-Orient, Richard Labévière, 29-01-2018
Genève, Hôtel Intercontinental, 26 janvier 2018.
A deux pas du Palais des nations (siège européen des Nations unies), l’hôtel Intercontinental abrite toujours les délégations étrangères de passage à Genève. Comme dans tous les établissements de ce genre, on n’échappe pas aux écrans Samsung ou équivalents, branchés en permanence sur CNN ou BBC World. Le monde ne se repose jamais, Monsieur ! Et, ce vendredi est d’autant plus cathodique, que le maître du monde est… en Suisse, dans les montagnes des Grisons pour parler aux puissants de la planète réunis au dernier « Forum économique mondial ».
Alors surgit des montagnes enneigées, l’hélicoptère présidentiel VH-71/White One. La caméra suit la lente progression du gros insecte métallique et s’appesantit sur le rotor et les cercles de vapeur blanche provoqués par les pales en mouvement. A ce moment précis, comment ne pas revoir les pales du ventilateur qui brassent le plafond de la chambre d’hôtel du capitaine Willard – des forces spéciales américaines basées à Saïgon – en train de cuver son whisky. La sourde résonnance des pales se mêle à la chanson des Doors « This is the end » qui renvoie du néant la silhouette des UH1, Dustoff/Medevac, les hélicoptères de combat engagés au Vietnam et dans tous les coups tordus d’Amérique latine.
Appontage sous haute sécurité. Policiers et services secrets américains font la loi dans la station grisonne. Les enfants des écoles ont été convoqués pour voir le maître du monde en chair et en os. Donald Trump s’extirpe de l’hélicoptère et salue les sapins avant de disparaître dans une limousine blindées encadrées d’autres véhicules de sécurité. Arrivé au palais des congrès, commence la séquence rockstar, autographes, selfies et sourires figés.
Tellement impressionné, le patron du Forum Klaus Schwab rate complètement son introduction en félicitant le président américain pour sa réforme fiscale, soulignant qu’« il y a eu des interprétations biaisées » de ses déclarations et de sa politique. Mais l’américain ne comprend pas même pas le sens de cette flagornerie, n’arrêtant pas de fixer le bout de ses chaussures. S’ensuit la balade d’une fanfare montée sur scène. Plutôt grotesque ! Donald Trump prend alors la parole pour une vingtaine de minutes baclées, improvisées, sans fil conducteur, ni structure.
L’Américain déroule son message attendu sur la réussite économique de son pays dont il s’attribue tout le mérite. Le message vise les patrons présents dans la salle à qui il martèle qu’il n’a jamais été aussi intéressant que maintenant « d’engager, de construire, d’investir et de croître aux Etats-Unis ». Au patron de Thyssen Krupp qui lui dit que sa firme a construit les ascenseurs de la Liberty Tower à New York et que cette dernière a une taille comparable à celle de son concurrent américain Otis, le président répond : « Great. That’s good . Great product. Thank you very much ». Il se montre un peu plus disert à d’autres moments, mais son message aux entreprises présentes – dont les Suisses ABB, Novartis et Nestlé – va toujours dans le même sens : venez et profitez de ma réforme fiscale.
Par conséquent, tous ceux qui attendaient des précisions sur le dollar et les négociations avec le Mexique et le Canada dans le cadre de l’ALENA (l’alliance commerciale nord-américaine), sont restés sur leur faim. Sur le réchauffement climatique aussi ! Message redondant, aussi simple qu’inexpliqué : « je ferai toujours passer l’Amérique d’abord, tout comme les dirigeants d’autres pays devraient le faire aussi (avec le leur). Mais l’Amérique d’abord ne signifie pas l’Amérique seule… », et, « je soutiens le commerce libre, mais il faut qu’il soit équitable… » Equitable ? Ah bon, mais encore… C’est clair comme du jus de chique !
Au-delà d’un numéro de séduction qui n’a convaincu que quelques Armaillis acquis à la cause de l’état de nature, il a répété que la croissance mondiale redémarre grâce à lui. Mais, sans le dire, Donald Trump a, surtout justifié son arme du dumping fiscal : une baisse de l’impôt sur les sociétés de 20 à 35%, des cadeaux aux actionnaires et aux plus fortunés. Sans bruit, il multiplie aussi d’autres traitements de faveur permettant d’aspirer capitaux et cerveaux vers les pôles d’affaires américains. Et dans cette logique, il ne faut pas applaudir trop rapidement la dernière réunion de Versailles organisée par Emmanuel Macron, facilitant l’installation de centres de recherche de grandes sociétés multinationales en France. L’accès – in vivo – à un pool de talents exceptionnels, au rapport qualité-prix imbattable, financés par des dispositifs publics, rendent – en effet – notre recherche ultra-attractive. Mais, au final, on aura permis à dix multinationales anglo-saxonnes d’aller faire leurs emplettes de capital humain en sélectionnant localement les meilleurs avant d’espérer pouvoir les rapatrier un jour… Illusion similaire à celle des transferts de technologies qui, à terme, se retourneront contre nos propres entreprises !
Plus dissert sur les murs qu’il fait construire dans le monde, et pas seulement sur la frontière mexicaine, Donald Trump n’est pas très loquace non plus sur ses mesures protectionnistes. Dernièrement, son administration a décrété – de manière unilatérale – une hausse de 30 à 50% des droits de douanes sur les panneaux solaires et les machines à laver, en provenance de Chine, de Corée ou du Mexique. Ne parlons pas des entraves visant les productions européennes, notamment allemandes et françaises !
Avec les Américains, c’est souvent la même chose : faites ce que je dis, mais pas ce que je fais… Ne cessant de prôner les bienfaits du libéralisme économique et l’ouverture des frontières, Washington érige barrière sur barrière afin de protéger sa propre économie, faussant d’autant le jeu de la concurrence internationale ! On l’a vu dans l’affaire de l’avion militaire ravitailleur, remporté par Airbus, avant d’être attribué à une société américaine – en flagrante violation toutes les règles d’appels d’offres -, décision justifiée par des questions de… sécurité. Au nom du Homeland Security et de la lutte anti-terroriste, Washington n’hésite jamais à enfreindre les règles de l’OMC, dès lors qu’un marché est en jeu…
Mais ce cynisme ne s’exprime pas seulement dans les mondes des affaires et de la finance. Pour gagner des positions sur le champ de bataille des marchés internationaux, et selon la métaphore belliciste du secrétaire d’Etat au commerce, les stratèges de la Maison Blanche sont prêts à jouer sur tous les registres de la puissance, jusqu’aux plans diplomatiques et militaires. Et, ils ne s’en privent pas. Aujourd’hui, la politique étrangère de Washington, c’est, notamment la fin, sine die, des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens avec de nombreux nouveaux morts à la clef ; c’est une nouvelle intervention turque en Syrie et la tentative de dynamiter la prochaine conférence de paix de Sotchi ; c’est la destruction du Yémen et de ses populations ; c’est le retour des Taliban à Kaboul, etc.
Bref et comme le disait Cécile Rhodes, ce grand humaniste inventeur de l’apartheid : « l’argent, c’est le sang des autres… »
Richard Labévière
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Source : Proche & Moyen-Orient, Richard Labévière, 29-01-2018