Le régime de Macron est en train de craquer aux coutures, par Jacques Chastaing
Ce que changent les grèves des Ehpad, des prisons et des jeunes, et la victoire de NDDL.

5 février 2018

Ces derniers jours les grèves des agents des Ehpad, des lycéens, étudiants et enseignants et des gardiens de prison ont par leur ampleur révélé au grand jour un mouvement social profond qui vient de loin, ne cesse de progresser et que je mesure au quotidien dans LuttesInvisibles. Ces grèves marquent un infléchissement remarquable de la situation sociale, mais aussi politique. 

La grève des gardiens de prison est un exemple de cet infléchissement. Bien qu'agents de la répression, leur mouvement  dans ce contexte général a pris un caractère très différent de celui des policiers à l'automne dernier. 

Ce dernier était très marqué par l'extrême droite, ses valeurs et ses objectifs. Celui des gardiens de prison, bien que déclenché sur un problème sécuritaire, a été marqué du timbre d'une révolte de ceux d'en dessous, de fonctionnaires méprisés et pressurés. Ainsi, la tonalité générale ressemblait plutôt à celle "d'ouvriers" dénonçant leurs conditions de travail – faisant même grève alors qu'ils n'en ont pas le droit - et la prison dans laquelle ils se disaient tout autant enfermés que les prisonniers eux-mêmes. Malgré les déclarations sécuritaires de quelques dirigeants syndicalistes, ce  n'est pas la couleur sécuritaire qui est ressortie de ce conflit, mais les problèmes de tous les prolétaires. On a même vu lors de la manifestation du 1.02 des agents d'insertion et de probation de la pénitentiaire à laquelle participait des gardiens de prison, la revendication du « moins de prison possible ».

Les élections partielles en sont un autre exemple : plus de 80% d'abstention voire plus de 90% dans les quartiers populaires, 95% dans certains bureaux de vote. L'abstention est fréquente dans les scrutins partiels mais rarement à ce niveau là, ce qui confirme l'abstention déjà massive des présidentielles et législatives du printemps. Si elle discrédite les solutions institutionnelles et tous les partis, c'est particulièrement l'autorité du gouvernement qui en est affectée et son isolement qui est souligné. 

Aussi commence-t-on à entendre des commentateurs politiques qui se demandent s'il n'y a pas un risque de contagion et de convergence des luttes, s'il n'y a pas  là une situation dangereuse pour le pouvoir et l'ordre social.  Il n'y a pas encore de lâchage mais on sent que ce n'est peut-être pas loin.

Le changement commence doucement à se sentir mais pourrait bien s'amplifier rapidement. Le sondage qui donne 87% de soutien aux grèves actuelles comme un autre hier qui indiquait que 63% des jeunes étaient  prêts à participer à un mouvement de grande ampleur montrent que le temps de Macron est compté.

La rupture avec le dialogue social et le retour à l'action

Ces grèves de cette fin janvier et début février marquent une rupture avec le sentiment "d'impuissance" et "d'échec" vécu lors de la division et de la dispersion  organisée par les directions syndicales et politiques face aux ordonnances durant toute la période du printemps et de l'automne. Elles montrent surtout que ce ne sont pas les salariés qui ont perdu mais les directions syndicales et leurs tactiques. Avec en plus la victoire de NDDL, premier recul de Macron, ces grèves renforcent la confiance dans la lutte, impulsent d'autres manières de se battre et incitent à d'autres perspectives.

Cette ambiance nouvelle colore non seulement la grève des gardiens de prison mais aussi les manifestations des motards ou automobilistes contre les taxes de la « sécurité rentière » et les manifestations qui ont regroupé dans nombre de petites villes des retraités contre les petites pensions, la hausse de la CSG, mais aussi des salariés contre le blocage des salaires,  ou encore des militants contre la destruction du code du travail. 

Cette ambiancechange aussi le caractère des manifestations des paysans en colère des zones défavorisées ou de ceux qui dans le lait ou la viande se battent contre les tarifs que leur impose la grande distribution, en les intégrant dans un tout plus large. 

Elle transforme également – tout particulièrement par le mouvement des jeunes scolarisés - les multiples grèves et luttes dispersées des enseignants du primaire – comme des parents – en ce début février contre les fermetures de classe, d'écoles ou suppressions de postes. 

Elle crée un halo autour des grèves : les agents des Ehpad ont entraîné  des agents hospitaliers aux problèmes semblables, des aides à domiciles, des travailleurs sociaux, des organisations de retraités, des associations familiales, des résidents, des parents. 

Parallèlement, on assiste à l'apparition sur internet  de réseaux de pré-coordination tels que #balancetonporc, #balancetonhosto, #balancetonehpad et à des premières tentatives de mises en réseaux de militants et salariés.

La dynamique de la situation avec toutes ces luttes construit peu à peu dans les esprits un tout et pousse à percevoir tout cela comme un mouvement général... qu'il resterait à organiser consciemment.

Ce qui change c'est en effet que l'envie - et la possibilité -  du tous ensemble grandit, que les frontières entre les professions et catégories s'estompent et que de plus en plus le camp du travail sento que le mouvement nécessaire pour affronter Macron ne dépend pas tant de dirigeants auto-proclamés, maisde la participation tout un chacun. 

Si la résignation fruit d'années et d'années de "dialogue social"  frappe encore de nombreux secteurs militants traditionnels, le mot d'ordre qui se lève maintenant pour beaucoup est : Action ! 

Les secteurs en grève témoignent de changements en profondeur

Ce n'est pas étonnant que ce soient les secteurs les plus périphériques qui aient "craqué" les premiers : Ehpad, gardiens de prison, jeunes... comme par ailleurs les secteurs du commerce, du nettoyage, de la restauration rapide, des secteurs ubérisés ou de l’hôtellerie, qui mènent actuellement de nombreuses luttes souvent assez longues et victorieuses.

Les agents des Ehpad sont les prolétaires de la santé, les gardiens de prison sont les méprisés de la fonction d'Etat et les jeunes ont un statut ou un avenir de précaires sur-exploités et sans droits. Les ordonnances Macron, l'absence de code du travail, ils connaissent déjà. La sélection à l'université que Macron veut réserver aux enfants des riches est la démonstration quasi revendiquée qu'il n'y a pas de futur pour les enfants d'ouvriers et qu'il n'y a plus d’ascenseur social  qu’il n’y a que des classes sociales. 

Ces secteurs sont plus exploités ou exploitables, souvent peu syndiqués ou organisés. Par contre ils sont moins soumis à l'autorité et au conformisme des organisations politiques et syndicales traditionnelles. Aussi quand les choses bougent, ils sont  des plaques sensibles révélant par leurs mouvements ce qui se meut plus en profondeur.

Cela signifie que si les ordonnances ont été votées... elles sont loin d'être appliquées. Avec Pimkie, PSA ou la Société Générale tout le monde a vu les dégâts que pourraient entraîner les ruptures conventionnelles collectives... Et si dans bien des endroits cela peut passer, il n'est pas dit dans une ambiance générale où beaucoup de salariés ne se résignent pas, que cela ne déclenche pas une vague générale de révoltes qui pourraient contribuer à faire ressentir encore plus fortement la nécessité de s'unir, de construire des fronts de lutte, des "Fronts Sociaux".

Le "Front Social" qui a émergé ce printemps est l'expression organisée de la situation : non pas une organisation de plus, mais la conscience grandissante que par delà nos diversités professionnelles ou organisationnelles il nous faut nous unir dans l'action pour dégager Macron et sa politique.

Jacques Chastaing le 4 février 2018