Sergio Mattarella, le Président italien, s’oppose vigoureusement à la nomination du Ministre des Finances, Paolo Savona, proposé par la coalition gouvernementale. Par Maxime Izoulet
27 Mai 2018
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Repris sur Billets de Maxime Izoulet
Comme on pouvait s’y attendre, c’est donc autour de la nomination du Ministre des Finances que la formation du nouveau gouvernement italien semble bloquée. En effet, d’accord sur le programme de gouvernement et sur une liste de noms entrant au gouvernement, les deux partis ont chargé Giuseppe Conte, le nouveau Président du conseil de nommer Paolo Savona à ce poste stratégique. Or, Paolo Savona est un économiste euro-critique, c’est le moins que l’on puisse dire. Agé de 81 ans, ayant déjà été membre d’un gouvernement dans les années 90 comme Ministre de l’industrie, et ayant dirigé la cofindustria, le Medef italien, Paolo Savona est un homme d’expérience, très lié aux milieux d’affaire internationaux, et au commerce, disposant d’une expérience politique. La ritournelle qu’on entend monter dans la presse européenne sur l’inexpérience et l’impréparation du gouvernement, avec un tel homme, serait difficile à défendre, et c’est sans doute pour cela que les deux partis ont pensé à lui. Mais pas seulement.
En effet, Paolo Savona est un économiste qui a compris, comme beaucoup d’économistes, l’inanité profonde de l’euro pour son pays. Dans une vidéo, il n’a pas hésité à dire que l’euro est la continuité du plan allemand nazi de 1936 de Funk, visant à développer l’industrie en Allemagne et à faire des autres pays des producteurs uniquement agricoles, Italie comprise. On voit donc à qu’il n’est pas homme à se laisser emberlificoter par la symbolique euro, qui emprisonne tant de militants, en particulier à gauche, dans l’impuissance politique.
Certes, ces mêmes militants de gauche ne manqueront pas de souligner que Savona est un pur représentant de la bourgeoisie et pour le coup, ils auront raison. Mais un représentant de la bourgeoisie qui n’hésite pas à citer Marx et qui est prêt à combattre le principal verrou néolibéral de notre temps : l’euro. Aussi son soutien est-il bon à prendre.
En vérité, des hommes comme Savona représentent un mouvement plus avancé en Italie qu’en France, et ce mouvement est la compréhension que l’euro dessert les intérêts de cette bourgeoisie nationale en détruisant la base de sa puissance à moyen terme. Certes, pour en arriver à cette analyse, il faut avoir un peu d’intelligence, pas trop d’idéologie et pas de volonté d’écraser le mouvement social à court terme, contrairement à de nombreux membres de cette bourgeoisie. Mais pour ceux qui répondent à ces conditions, la prise de conscience est possible et en fait évidente : l’euro tue l’économie italienne comme il tue l’économie française, et personne n’a intérêt à cela.
Dans ce contexte, Paolo Savona, par son intelligence et sa lucidité sur l’euro, représente une grande force pour le gouvernement, parce qu’il le crédibiliserait, en même temps qu’il assurerait sa défense rationnelle en cas de crise, évitant ainsi la panique qui s’était emparée du gouvernemnt grec pendant l’agression de la BCE en 2015. Rappelons que pour tordre le bras au gouvernement grec, et en outrepassant de façon flagrante son mandat et sa pseudo indépendance, la BCE n’avait pas hésité à couper le robinet monétaire à la Grèce en 2015, provoquant immédiatement une panique bancaire qui avait conduit à la capitulation politique de Syriza.
Face à une telle attaque, un gouvernement de combat doit nécessairement disposer d’un Ministre compétent et solide pour répondre en faisant circuler une monnaie, quelle qu’elle soit, et ainsi maintenir l’activité économique et sa liberté d’action politique. C’est pourquoi il est fondamental que le Ministre des Finances ait réfléchi à la question de l’euro et au moyen d’en sortir, comme Paolo Savona l’a vraisemblablement fait. C’est pourquoi également, l’Union européenne, par la voix de Sergio Mattarella, le Président italien, s’oppose vigoureusement à la nomination d’un tel Ministre des Finances. Voilà la raison profonde du temps que met à se constituer le gouvernement italien.
En utilisant tous les moyens les moins légitimes qu’offre la légalité constitutionnelle formelle, Sergio Mattarella fait tout pour s’opposer à la seule chose qui l’intéresse : la nomination d’un économiste anti-euro au Ministère des Finances. Il est à noter que l’UE est parfaitement consciente, au contraire de nombreux militants de gauche sincères, ici en France, que la seule question qui importe est celle de l’euro, parceque c’est d’elle que procèderont toutes les autres.
Sans sortir de l’euro, il est impossible d’apppliquer n’importe quel programme social, et les gens qui continuent en France, à tourner pudiquement la tête devant ce fait devraient observer attentivement l’attitude de l’Union Européenne sur ces questions. Pour elle, comme pour ses serviteurs, les choses sont claires, tout est du vent à part le problème de l’euro, parce que toute politique, aussi originale et progressiste semble-t-elle, peut être défaite par un simple assèchement des liquidités par la BCE, comme en Grèce en 2015, afin de briser un gouvernement politiquement. Ce point stratégique est indispensable à comprendre.
En Italie, cependant, il est bien possible que la situation politique soit trop avancée pour que le Président de la République, isolé face à une majorité parlementaire baroque mais semblant se souder de plus en plus face à l’adversité, soit en mesure de s’opposer à la nomination de Paolo Savona. Le bras de fer du Ministère des Finances, qui retarde la nomination définitive du nouveau gouvernement italien, pourrait bien être remporté par l’alliance populiste. Si c’est le cas, bien d’autres difficultés de bien plus grandes ampleurs attendront cette nouvelle équipe, mais au moins disposeront ils d’une formation armée techniquement et idéologiquement pour affronter l’union européenne et l’eurogroupe, bien plus que ne l’était la Grèce en 2015.
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