Des raccourcis comme des impasses - Par François Cocq
Avant-propos de Vincent Christophe Le Roux :
Je suis ébahi de lire dans ce nouveau texte de François Cocq l’ensemble des motivations qui m’ont conduit à émettre des critiques via deux billets à lire ici et ici.
Le billet de François Cocq est reproduit ci-dessous, à la suite de cet avant-propos, mais vous pouvez également le lire sur son blog auquel cas c’est ici.
François Cocq développe avec une pertinence saisissante les points de désaccord mais surtout les points qui ne peuvent que conduire la FI au désastre ! Ce sont ceux-là mêmes que j’ai pointés. Mais François Cocq le fait avec encore plus d’acuité que je ne l’ai fait moi-même.
Je voudrais reproduire tous les extraits qui me semblent les plus incisifs et les plus forts dans son argumentaire mais en réalité, à mes yeux, tout ce qu’il dit du 1er au dernier mot est fondamental. ll dissèque la nouvelle stratégie de la FI et en appuyant fortement sur le rôle de Bompard dans cette évolution stratégique, il ose reconnaître publiquement l’influence dominante de ce type sur Mélenchon et sur le cercle dirigeant de la FI. Et c’est une influence catastrophique. Là c’est moi qui use de cet adjectif, ce n’est pas François Cocq.
Cocq explique le danger immense à revenir à la stratégie de la gauche qu’il faudrait rassembler et relève ce que tout le monde a bien perçu, à savoir l’affadissement très net du projet à l’égard de l’UE. Notamment le quasi abandon du plan B qui a été entièrement transformé par rapport à ce qu’il signifiait il y a quelques mois. Le discours de Mélenchon que j’ai écouté hier m’a abasourdi sur ce sujet. Mélenchon en personne en parle désormais très différemment de ce qu’il faisait l’an dernier lors de la campagne. Lisez ce que dit François Cocq et vous comprendrez si vous ne l’aviez pas perçu de vous-même depuis des mois et en écoutant JLM ce samedi !
Oui, par ces lignes, François Cocq sonne le tocsin mais il donne également le sentiment que les jeux sont faits et que son billet n’aura aucun effet sur la nouvelle orientation décidée au sommet. Cet électoralisme à courte vue aura des conséquences dévastatrices.
Voici enfin le billet de François Cocq.
C’était avant l’été. Je relatais ici le grand bond arrière que s’apprêtait à faire La France insoumise en termes d’orientation. L’été a passé et malheureusement nous y voilà : la primauté accordée au rassemblement des scories de la gauche s’est traduite par une mise en compatibilité programmatique pour mieux les accueillir. Au risque je le crains de briser sur le temps long la reconquête de la crédibilité et de la cohérence d’action à laquelle aspirent si fort les citoyens pour accepter de rejouer à l’avenir le jeu dans cette grande comédie du politique.
Chacun aura cette fois noté le basculement stratégique qui s’est matérialisé lors des Amphis d’été de la France insoumise ce week-end à Marseille. A dire vrai, les responsables LFI l’ont clairement assumé à défaut de l’avoir discuté : Manuel Bompard, au micro de France Inter vendredi 24 août parlant carrément de « changement stratégique », ou encore Jean-Luc Mélenchon qui avait fixé rendez-vous à quelques journalistes dimanche 26 août pour l’expliciter.
La stratégie de La France insoumise reposait jusqu’à présent sur la recherche d’une forme de centralité de manière à créer une agrégation populaire autour de signifiants communs. Or désormais, ce qui est recherché se réduit à une centralité en seuls termes d’opposition : il faudrait être le pivot de l’opposition à Macron et espérer regrouper les mécontentements. D’où la ligne tracée pour les européennes d’un « référendum anti-Macron ». Dès lors le discours perd nécessairement de sa centralité. Alors même que l’électorat Macron ne saurait constituer pour celui-ci une base stable, solide et durable, le discours ne s’adresse plus au peuple tout entier en espérant infuser pour créer une hégémonie culturelle. Il s’auto-limite aux oppositions déclarées au pouvoir en place. Donc aux gens déjà mobilisés sous une forme ou sous une autre. Et encore ! Au sein même des ces oppositions à Macron, un second facteur réducteur apparaît alors. Choix est en effet fait du primat du rassemblement de celles issues de la gauche. Avec une conséquence immédiate : dès lors que l’on cible et non plus que l’on parle largement, des gages sont à donner, tant à l’électorat visé qu’aux personnalités espérées.
J’ai bien entendu certains tenter de (s’auto) persuader en avançant que les ralliements à venir se font sur les bases programmatiques de La France insoumise. Si tel était le cas, je me réjouirais le premier de ce franchissement de seuil important. Pourtant force est de constater que la manœuvre passe par un affadissement programmatique soit à visées purement électoralistes, soit (non exclusif) pour rendre compatible l’Avenir en commun avec les attentes des futurs anciens nouveaux venus (et je ne parle pas là d’Emmanuel Maurel qui apparaît désormais à bien des égards comme plus convaincu sur la logique plan A / plan B que ceux qui hier encore pourtant la portaient…). Trois points décisifs en attestent.
Le référendum anti-Macron est la première de ces concessions. Passons sur le fait que cette stratégie vise à faire élire des représentants par référendum (!), ce qui génère plus de confusion sur l’objet du vote qu’elle ne l’éclaire. Elle vise surtout à créer une échappatoire sur la question européenne. Il y a là un refus de la confrontation qui à mon sens permettrait pourtant par l’élection l’élévation du niveau général de conscience en se saisissant de l’objet structurant qu’Emmanuel Macron a posé sur la table : la souveraineté européenne, contournement s’il en est de la souveraineté populaire, qui, plutôt que de livrer les peuples aux mains de l’imperium technocratique bruxellois, permettrait de ferrailler sur la reprise en main de notre destin collectif par la préservation de notre liberté démocratique individuelle. Bref de reconstruire un horizon commun, partagé et transversal. Au lieu de cela, le référendum anti-Macron ramène à un calendrier social, celui de la réforme des retraites, et inévitablement à une réinscription dans une relatéralisation gauche-droite du champ politique et social. Ne faisons pas comme si la retraite par points n’était pas en effet une mesure de longue date préconisée par la droite libérale, déjà soumise à son électorat, lequel ne semble pas s’en effaroucher.
Le référendum anti-Macron induit également que Macron en tant que tel est le problème. On se souvient que la même démarche avec Sarkozy avait pourtant conduit à Hollande. Que la même démarche avec Hollande avait conduit à Macron. Who’s next ? L’effet de système est occulté. L’accélération de son inscription institutionnelle est invisibilisée. La caste et Bruxelles peuvent tranquillement préparer leur prochaine marionnette pour venir à la suite de celui-ci jouer les émissaires coloniaux dans notre pays. Par ailleurs LFI va-t-elle pareillement faire des élections locales des référendums locaux anti-Macron ? Dans un cas comme dans l’autre, à prendre des raccourcis électoralistes, LFI se prive de l’occasion d’engager une guerre de position et de saisir chacune des étapes du mandat actuel pour faire avancer sur différents terrains l’entreprise de conviction, aujourd’hui sur l’UE, demain sur la gestion locale. C’est là un retard qui pourrait s’avérer irrémédiable dans la perspective de la bataille décisive de 2022 où tout sera alors à reprendre à zéro sur chacun de ces sujets alors qu’un sens commun aurait pu commencer à se dégager préalablement.
Les autres reculades concernent plus directement l’Union européenne ou plutôt le programme de LFI. Exit ainsi la désobéissance aux traités européens. Le mot est devenu progressivement tabou depuis le printemps et la convention du parc floral. Elle est désormais remplacée par l’opt-out. La différence est de taille : la désobéissance est une mesure immédiatement applicable car qui peut être prise unilatéralement par un pays s’appuyant sur la volonté populaire ; l’opt-out au contraire n’est pas une clause de retrait mais une clause de non participation, fruit d’une négociation avec l’UE en amont de l’adoption soit d’une modification des traités, soit de l’intégration d’un grand dispositif qui modifie la souveraineté de l’Etat membre (cas de la Suède pour la non rentrée dans l’euro rendu possible car l’une des conditions d’entrée est justement la ratification des peuples). On voit mal au nom de quoi, et surtout sur la base de quel rapport de force, l’UE concèderait donc demain de telles possibilités d’opt out.
L’abandon de la désobéissance a logiquement induit une mise sous l’éteignoir de la stratégie plan A/ plan B. Jusqu’alors, la désobéissance était l’outil du rapport de force qui visait à crédibiliser la possibilité du plan A : on désobéit unilatéralement sur un certain nombre de sujets (une dizaine était prévue), et pendant ce temps on se pose pour discuter en ayant donc au préalable créé une ambiance de travail. Le 24 août, sur France Inter, Manuel Bompard reléguait pourtant la désobéissance au plan B, faisant de la désobéissance l’objet d’une négociation ( !) dans le cadre du plan A. Cela rend de fait celui-ci totalement illusoire et inopérant. Ne resterait en effet donc plus dans l’escarcelle des négociateurs que le plan B sur l’air du « Retenez-moi ou je fais un malheur ! ». Dans ces conditions impossible d’espérer voir le plan A aboutir. A trop affadir la méthode, on en serait donc presque à radicaliser la conclusion !
De tels changements de pieds sont source de beaucoup de confusion et brouilleront plus encore les cartes qu’ils ne les éclaireront. Quel est au juste la position de LFI ? Celle-ci est-elle suffisamment stabilisée pour que je m’y retrouve et que je puisse leur confier mon vote ? Ces concessions ne peuvent que provoquer dans l’électorat un mouvement de reflux pour celles et ceux qui aspirent à une cohérence et à une conviction dans l’action pour revenir à la politique. Elles ne peuvent pareillement que décevoir celles et ceux, nombreux, qui, issus hors des rangs traditionnels de la gauche, se sont retrouvés en 2012 et plus encore en 2017 derrière la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle car celle-ci incarnait une entreprise de reconquête de la dignité populaire en réaffirmant le citoyen dans sa souveraineté et le retour à l’ordre des droits. Ceux-là n’ont que faire des propos visant à rassurer l’establishment et l’électorat de la vieille gauche bien-pensante : ce qui peut être regagné d’un côté, maigre au regard de ce qu’il en reste, sera reperdu de l’autre alors que la construction d’une hégémonie passe par l’élargissement de la base dans la société et non pas dans la gauche.
Effet induit : le Rassemblement national ex FN se trouverait à nouveau en situation de force pour exprimer et donc capitaliser sur une forme de radicalité. En 2017, c’est à LFI que l’on doit que Mme Le Pen n’ait pas été plus haute lors de la présidentielle (souvenons-nous que celle-ci recouvrait encore plus de30% des intentions de votes quelques mois avant l’élection). En voulant « rassurer le bourgeois », on réouvre paradoxalement un espace à l’extrême-droite.
C’est en étant constant et résolu dans ses convictions que l’on construit une hégémonie culturelle, pas en cédant face aux sirènes médiatiques. Voyez la sortie de l’OTAN : LFI porte cette idée dans le débat public avec résolution depuis son lancement. On peut même dire que cette idée ne vit dans le débat public que parce que LFI assume cette tâche (même si d’autres formations sont également sur cette position sans pour autant s’atteler à la valoriser avec autant d’engagement). Et bien lorsque M. Macron déclare le 27 août devant les ambassadeurs que « l’Europe ne peut plus remettre sa sécurité aux seuls Etats-Unis […] Nous devons tirer toutes les conséquences de la fin de la guerre froide », il accrédite l’idée qui avait été posée sur la table et qui peu à peu s’apprête à devenir l’issue naturelle à la situation. Peu importe donc que M. Macron s’y rallie. Ou plutôt non : tant mieux qu’il le fasse ! Car la conclusion du pas qu’il vient de faire devrait inéluctablement le conduire à la sortie de l’OTAN. Ainsi va la construction d’une hégémonie culturelle, en tenant des tranchées, pas en les rebouchant. Preuve est apportée que LFI a le savoir faire et la conviction pour mener de telles batailles. Pourquoi alors ne pas s’y tenir sur la confrontation européenne ?
Au lieu de cela, c’est la confusion qui prime. Le renversement stratégique est en effet paré d’un pseudo habillage populiste que ne cessent de rabâcher celles et ceux qui sont chargés d’assurer le service après-vente. Au risque d’affaiblir l’idée même d’un populisme humaniste et émancipateur, en le faisant passer pour ce qu’il n’est pas. C’est le « en-même temps » de LFI : croire ou faire croire que l’on que l’on est en même temps encore dans un processus destituant ET déjà entré de plain-pied dans un temps purement institutionnel. Les deux sont pourtant incompatibles dans une même temporalité, du moins dans un régime comme celui que nous avons en France avec la 5ème République. Se résoudre au deuxième, c’est accepter de voir se tarir le premier. Je regrette que la construction sur la durée d’un quinquennat d’une majorité populaire puisse être de la sorte sacrifiée sur l’autel de l’électoralisme à courte vue par des raccourcis qui risquent bien d’opérer malheureusement comme des impasses. Car c’est quand LFI est dans le rôle qu’elle s’est assignée qu’elle apporte au pays l’issue positive dont celui-ci a chaque jour un petit peu plus besoin.
François Cocq
PS : je vous donne rendez-vous dans quelques jours pour prolonger ces réflexions sous la forme de débats contradictoires à vocation constructive dans une nouvelle émission : « A bâtons rompus »
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