Tout « en même temps » !
Dimanche 9 septembre 2018
Écrit par Bertrand Renouvin
Comme c’est bizarre, la vie… Tout ne peut pas se faire « en même temps » mais « tout » peut arriver en même temps – y compris les erreurs et les fautes qui compromettent une aventure. L’affaire Benalla avait occupé la seconde quinzaine de juillet (1). La fin du mois d’août a été marquée par la démission de Nicolas Hulot et par les paroles de mépris qu’Emmanuel Macron a jugé bon d’adresser au peuple français depuis le Danemark. Le « Gaulois réfractaire au changement » observa ensuite comment Jupiter en personne pouvait jeter le doute sur les conditions techniques du prélèvement à la source, créer un débat confus puis décider qu’on ferait… ce qui avait été décidé !
Comme les marchés financiers qui passent de l’euphorie à la panique sans qu’il y ait eu de profonds changements dans les données économiques, les chaînes d’information en continu agitent alternativement l’encensoir et le coutelas sans s’intéresser aux données fondamentales car les deux ustensiles font vendre de l’espace publicitaire. Après avoir concélébré Macron et la macronie selon une classique combinatoire d’arrogance et de veulerie, les médias dominants donnèrent de la voix au début de l’affaire Benalla puis claironnèrent que la rentrée présidentielle avait été « catastrophique » en s’étonnant que les génies élyséens de la communication se prennent les pieds dans tous les tapis.
Nous aurons dans les mois qui viennent d’autres récits médiatiques – le calme après les tempêtes, les réformes courageuses engagées par le Président – mais ils ne nous feront pas oublier les faiblesses constitutives de la macronie :
Le chef de clan n’a pas été porté au pouvoir par un vaste mouvement d’adhésion populaire mais par le « dégagisme » et la peur du Front national. La faiblesse du vote de conviction en faveur d’Emmanuel Macron annonçait l’impopularité dont les sondages sont aujourd’hui l’écho.
Toutes les affaires de l’été, aussi différentes soient-elles, mettent en évidence la fragilité d’un homme qui n’est pas le président de la République défini par la Constitution mais le chef d’une équipe gouvernementale qui veut tout organiser et tout contrôler – par la création d’une garde prétorienne qui aurait été dirigée par Benalla, par les interventions incessantes dans les domaines qui sont de la compétence des ministres…
La volonté élyséenne de toute puissance se heurte à des obstacles qui sont apparus au grand jour pendant l’été. Il est avéré que l’équipe dirigeante est trop peu nombreuse, en proie à l’usure physique et nerveuse et composée d’éléments douteux : Alexandre Benalla jusqu’en juillet, Alexis Kohler, le directeur de cabinet soupçonné de conflits d’intérêt, Richard Ferrand, candidat à la présidence de l’Assemblée nationale qui risque une mise en examen dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne. Surtout, le clan au pouvoir se heurte à l’hostilité d’une grande partie de l’administration centrale, des personnels de la Police nationale et de la fonction publique hospitalière – sans oublier tous ceux qui sont sortis défaits et humiliés des batailles menées depuis septembre 2017 sur le front social. Cela fait vraiment beaucoup de monde et certains observateurs avisés s’inquiètent d’une révolte possible des salariés (2).
Pourtant, Emmanuel Macron est obligé de lancer, en même temps qu’il vacille, de nouvelles réformes ultralibérales car ses commanditaires ne permettront pas qu’il décrète une pause. Souvenons-nous qu’en juillet 2017 Edouard Philippe avait annoncé le report de la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune et de la baisse de la fiscalité du capital. Il fut désavoué par Emmanuel Macron qui décida d’en revenir au programme initial sous la pression du patronat et des milieux d’affaires s’exprimant par le biais de L’Opinion, de Challenges et de chiens de garde déguisés en « experts ». Ce sont ces milieux qui décideront de l’arrêt de telle ou telle réforme s’ils se sentent directement menacés.
C’est sur ces bases fragiles qu’Emmanuel Macron lance sa campagne pour les européennes, s’affichant comme le champion du « progressisme » contre les nationalistes hongrois, italiens et français qui sont les produits directs de ce « progressisme » européiste et ultralibéral. Ce n’est pas la moindre de ses contradictions.
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(1) CF. sur mon blog la chronique publiée le 2 août : http://www.bertrand-renouvin.fr/affaire-benalla-les-suites-dune-effraction-chronique-146/
(2) Cf. Patrick Artus, Marie-Paule Virard, Et si les salariés se révoltaient ?, Fayard, 2018.