Article de Strategic-Culture, traduit par Soverain
Bien que le référendum de changement de nom du 30 septembre 2018 en Macédoine qui devait mettre cette ex-République fédérale yougoslave sur la voie d’une adhésion à l’OTAN (certaine) et (joyeusement promise mais beaucoup moins certaine) à l’UE ait lamentablement échoué (36,91% des électeurs ayant voté, bien en dessous des 50% + 1 nécessaires pour sa validité) , rien ne le laisse penser dans la réaction des occidentaux. En effet, un nouveau terme est sans doute nécessaire pour décrire avec justesse les réactions des principaux représentants du reliquiae reliquiarum de l’époque unipolaire de l’après-guerre froide dirigée par les Occidentaux. Les « fausses nouvelles » ne leur rendent tout simplement pas justice. Peut-être peut-on appeler ça « fausse réalité » ?
Le Département d’État américain a fermement démenti cette réalité en publiant la déclaration suivante :
« Les États-Unis se félicitent des résultats du référendum organisé le 30 septembre par la République de Macédoine, lors duquel les citoyens ont exprimé leur soutien à l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne (UE) en acceptant l’accord Prespa entre la Macédoine et la Grèce. Les États-Unis appuient fermement la mise en œuvre intégrale de l’accord, qui permettra à la Macédoine de prendre la place qui lui revient au sein de l’OTAN et de l’UE, contribuant ainsi à la stabilité, la sécurité et la prospérité régionales. Alors que le parlement macédonien entame ses délibérations sur les changements constitutionnels, nous exhortons les dirigeants à dépasser la politique partisane et à saisir cette occasion historique d’assurer un avenir meilleur au pays en tant que membre à part entière des institutions occidentales ».
Le commissaire européen chargé des négociations européennes de voisinage et d’élargissement, Johannes Hahn, n’était pas en reste dans son mépris pour les 63% des « déplorables » macédoniens qui sont restés chez eux pour exprimer leur désaccord avec le renoncement à leur identité nationale et à leur nom de pays (il devait devenir la « Macédoine du Nord ») en échange du double plaisir de a) devenir la chair à canon de l’OTAN dans son dangereux jeu du poulet avec la Russie et b) de devenir des nouveaux esclaves de la dette européenne : « référendum en Macédoine : Je félicite les citoyens qui ont voté lors du référendum consultatif d’aujourd’hui et qui ont fait usage de leurs libertés démocratiques. Avec le vote très significatif du « oui », il y a un large soutien à l’accord #Prespa + à la voie #Euroatlantique du pays. J’attends maintenant de tous les dirigeants politiques qu’ils respectent cette décision et qu’ils la fassent progresser avec la plus grande responsabilité et la plus grande unité entre les partis, dans l’intérêt du pays. » Il a été secondé le lendemain, dans une déclaration commune, par Federica Mogherini, Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et Vice-présidente de la Commission européenne.
Naturellement, en tant qu’acteur public de premier plan, le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a été particulièrement (hyper)actif. Au fur et à mesure que les résultats décevants commençaient à se faire sentir, Stoltenberg s’est immédiatement mis à contrôler les dégâts en envoyant un tweet : « Je me félicite du oui au référendum en Macédoine. J’exhorte tous les dirigeants et partis politiques à s’engager de manière constructive et responsable pour saisir cette occasion historique. « La porte de l’OTAN est ouverte, mais toutes les procédures nationales doivent être achevées. » Le lendemain, il a renforcé sa missive délirante en publiant une déclaration similaire cosignée par le président de l’UE, Donald Tusk. Et le lendemain, lors d’une conférence de presse, Stoltenberg a même offert une adhésion fulgurante à l’OTAN aux Macédoniens réticents – janvier 2019, pour être exact – s’ils avaient la gentillesse de mettre en œuvre d’urgence l’accord qui avait précisément été rejeté si fermement par ces Macédoniens. Quand l’OTAN dit qu’elle promeut les valeurs démocratiques – elle le pense !
Mais ce n’était pas la fin de la « fusion démocratique » autour de ce qui pourrait bien s’avérer être le Waterloo des Balkans de l’OTAN, de l’UE et du reste de la fin de l’histoire de l’Occident. Par exemple, le groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates du Parlement européen, tout en regrettant que le taux de participation ait été inférieur à 50%, a néanmoins salué les résultats du référendum et appelé l’opposition à respecter la volonté exprimée par la majorité (sic) des électeurs. Le leader du groupe, Udo Bullmann, tout en affirmant que, d’une certaine manière, un taux de participation inférieur à 37% représentait encore une « majorité », a profité de l’occasion pour fustiger le président macédonien pour avoir eu le culot d’appeler au boycott du référendum (il a commis le crime de l’appeler « suicide historique » dans son discours à l’Assemblée générale des Nations unies) ainsi que pour dénoncer, – devinez quoi? – des « rapports sur l’ingérence russe dans le processus électoral. » Il va sans dire que Bullmann n’a offert absolument aucune preuve de ses affirmations. D’autre part, selon de nombreux médias, à l’approche du 30 septembre, alors qu’aucun haut responsable russe ne se trouvait dans les environs, une véritable procession de personnalités politiques occidentales a fait le pèlerinage à Skopje afin de révéler aux autochtones leurs « véritables » intérêts : Sebastian Kurz, « Mad Dog » Mattis, l’infatigable Stoltenberg, Federica Mogherini, Johannes Hahn, Angela Merkel. Pas d’ingérence, évidemment….
Parlant d’Angela Merkel, elle s’est également jointe au mépris unanime de ses collègues démocrates occidentaux pour l’opinion majoritaire des électeurs macédoniens, exhortant le pays à « faire avancer » l’application de l’accord rejeté à la majorité, citant le « soutien massif » des électeurs et faisant valoir par la bouche de son porte-parole que la participation requise de 50% + 1 était « très élevée » car les listes électorales auraient inclus de nombreuses personnes ayant depuis longtemps quitté le pays.
Coïncidence ( ?), le même argument a été utilisé par le ministre grec des Affaires étrangères Nikos Kotzias, qui a estimé que les « oui » exprimés lors du référendum « représentent en fait la majorité malgré la faible participation, car la Macédoine ne compte pas 1,8 million d’électeurs inscrits sur ses listes électorales mais seulement 1,2 million depuis que 300 000 personnes ont quitté le pays, et cela depuis la dernière actualisation des listes électorales, qui date de 20 ans. Il suffit de jeter un coup d’œil aux résultats des dernières élections législatives en Macédoine (décembre 2016), où le taux de participation a été légèrement inférieur à 1,2 million d’électeurs (1 191 832 pour être exact), soit officiellement 66,79%, pour se rendre compte de la fausseté de son affirmation contestée par la réalité. Si l’on en croit Kotzias et Merkel (qui ne s’y sont pas opposés à l’époque), le taux de participation aux élections de 2016 aurait été de 99%, un chiffre qui aurait fait rougir d’envie tout dictateur totalitaire. D’autre part, ces élections ayant produit le « résultat souhaité » permettant la formation du gouvernement actuel, fortement pro-OTAN/UE, dirigé par Zoran Zaev, qui les a automatiquement rendues « valides » aux yeux des grands prêtres de la démocratie à Bruxelles, Berlin, Londres et Washington.
Il va sans dire que M. Zaev s’est joint à la mascarade de ses patrons occidentaux, saluant le référendum comme un « succès démocratique » et annonçant qu’il demanderait le soutien du Parlement macédonien pour modifier la Constitution et faire ratifier l’accord avec la Grèce (selon l’accord Prespa, le Parlement macédonien doit adopter les amendements constitutionnels nécessaires avant fin 2018) afin que le Parlement grec puisse en faire autant et conclure l’affaire. Toutefois, M. Zaev et ses partenaires politiques albanais sont actuellement bien loin de la majorité des deux tiers nécessaire (ils peuvent compter sur 71 députés, soit 9 de moins que les 80 nécessaires), et ils devront organiser des élections anticipées s’ils ne parviennent pas rapidement à les obtenir.
Cependant, il ne faut pas oublier que Zaev chantait un air assez différent avant le référendum, assurant que » les citoyens prendront la décision » et que le Parlement votera sur les changements constitutionnels nécessaires seulement si le référendum est un succès. Mais c’était à l’époque, alors que la confiance était encore élevée et que la combinaison habituelle de la pression occidentale, de l’argent et de la domination écrasante de l’éventail des médias permettrait de faire le travail. Et puis la réalité a frappé le 30 septembre….
Malgré tout, au milieu de tous les faux applaudissements et de toutes les manifestations publiques de confiance de la foule pro-OTAN/UE, un sentiment palpable de malaise plane dans l’air. Comme l’a dit un article d’opinion de la Deutsche Welle, « le faible taux de participation au référendum en Macédoine est un mauvais point de départ pour le développement futur du pays ». Et, selon DW en serbe, un commentaire du Frankfurter Allgemeine Zeitung a averti que « les politiciens qui ne cessent de parler de la démocratie comme d’un « bien inestimable » ne devraient pas demander au Parlement de Skopje d’accepter les résultats du vote ». En d’autres termes, le peuple macédonien (lire – une large majorité de la population slave majoritaire) a « voté avec ses pieds » et rejeté l’accord, et aucune nouvelle élection parlementaire, quels qu’en soient les résultats, ne peut changer ce fait déplaisant mais immuable. Rien que pour cette raison, tout effort mené par l’Occident pour « fabriquer le consentement » en faisant passer l’accord par le Parlement actuel ou futur sera délégitimé – même si, comme nous le savons, l’OTAN n’accorde pas trop d’importance aux référendums de toute façon, tandis que l’UE ne s’oppose pas à faire voter les citoyens aussi souvent qu’il le faudrait pour obtenir le « bon » résultat.
Mais l’Occident n’a pas seulement perdu de sa légitimité en Macédoine – il a entaché sa réputation, peut-être irrémédiablement. Comme l’a dit l’ancien conseiller présidentiel Cvetin Chilimanov, « L’Occident nous a humiliés… Les Macédoniens ont rejeté cette agression médiatique, psychologique, politique et de propagande contre le peuple, et c’est ce qui explique toute la tragédie actuelle : un pourcentage élevé de gens qui étaient réellement orientés vers l’Ouest a changé d’avis et ne regarde plus l’Ouest comme une démocratie, une avancée et une réussite… Voilà pourquoi le boycott a été décidé. Des pressions ont été exercées contre la Macédoine, un pays qui avait toujours été ouvert aux rapprochements avec l’Occident, mais qui ne voulait pas faire ce compromis écœurant et s’humilier devant les pays voisins, devant les pays occidentaux. Nous ne comprenions pas pourquoi cette humiliation était nécessaire pour que nous puissions devenir membres de l’Europe. Le pire, c’est peut-être la pensée d’une majorité silencieuse de la population, qu’elle n’oubliera pas cette insulte et cette attaque contre la Macédoine. »
Aleksandar Pavic
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