La mise en œuvre des lois sarkozystes au domicile de Monsieur Mélenchon
Un très grand nombre de commentateurs a désapprouvé le comportement de Mélenchon lors de la perquisition à son domicile, en application de l’article 76 du Code de procédure pénale. Sans me positionner sur le fond du dossier que je ne connais pas, il me semble devoir rappeler ce que sont les textes dont ces commentateurs se félicitent de l’application.

Monsieur MELENCHON a subit une perquisition à son domicile en application de l’article 76 du Code de procédure pénale.

Un très grand nombre de commentateurs a désapprouvé son comportement.

Il a en effet osé mettre en cause, de façon virulente et sonore, la légitimité de cette perquisition.

L’explication la plus banale, reprise par l’ensemble des personnes en question est qu’il s’agissait d’une simple application de la Loi et qu’il n’y aurait donc aucune raison de s’en plaindre.

Sans me positionner sur le fond du dossier que je ne connais pas, il me semble devoir rappeler ce que sont les textes dont ces commentateurs se félicitent de l’application.

L’article 76 du Code de procédure pénale dispose que : 

« Les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction ou de biens dont la confiscation est prévue à l'article 131-21 du code pénal ne peuvent être effectuées sans l'assentiment exprès de la personne chez laquelle l'opération a lieu.

Cet assentiment doit faire l'objet d'une déclaration écrite de la main de l'intéressé ou, si celui-ci ne sait écrire, il en est fait mention au procès-verbal ainsi que de son assentiment.

Les dispositions prévues par les articles 56 et 59 (premier alinéa) du présent code sont applicables.

Si les nécessités de l'enquête relative à un crime ou à un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à cinq ans l'exigent ou si la recherche de biens dont la confiscation est prévue à l' article 131-21 du code pénal le justifie, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance peut, à la requête du procureur de la République, décider, par une décision écrite et motivée, que les opérations prévues au présent article seront effectuées sans l'assentiment de la personne chez qui elles ont lieu. A peine de nullité, la décision du juge des libertés et de la détention précise la qualification de l'infraction dont la preuve est recherchée ainsi que l'adresse des lieux dans lesquels ces opérations peuvent être effectuées ; cette décision est motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires. Les opérations sont effectuées sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées, et qui peut se déplacer sur les lieux pour veiller au respect des dispositions légales. Ces opérations ne peuvent, à peine de nullité, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions visées dans la décision du juge des libertés et de la détention ou la saisie des biens dont la confiscation est prévue à l'article 131-21 du code pénal. Toutefois, le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.

Pour l'application des dispositions de l'alinéa précédent, est compétent le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dont le procureur de la République dirige l'enquête, quelle que soit la juridiction dans le ressort de laquelle la perquisition doit avoir lieu. Le juge des libertés et de la détention peut alors se déplacer sur les lieux quelle que soit leur localisation sur le territoire national. Le procureur de la République peut également saisir le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel la perquisition doit avoir lieu, par l'intermédiaire du procureur de la République de cette juridiction. »

Le dispositif prévoyant la possibilité, dans le cadre d’une enquête préliminaire, d’effectuer des perquisitions sans l’assentiment des personnes résulte d’une évolution législative en plusieurs temps.

La loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, adoptée sur l’initiative du gouvernement dont Monsieur MELENCHON était membre, ouvrait cette possibilité pour les cas de trafics d’armes ou de stupéfiant.

La Loi PERBEN II du 9 mars 2004 a introduit le dispositif actuel codifié à l’article 76.

Cette loi a été unanimement critiquée par les organisations de défenses des droits de l’homme, les organisations professionnelles d’avocats et par l’opposition de gauche.

LE MONDE lui-même titrait « Loi Perben les 5 points inquiétants pour les libertés publiques (www.lemonde.fr/societe/article/2004/01/27/loi-perben-les-cinq-points-inquietants-pour-les-libertes-(publiques_350647_3224.html)

Cette loi fut soumise au conseil constitutionnel par des personnes aussi diverses que Robert BADINTER François HOLLANDE, Manuel VALLS, Martine BILLARD ou Marie Georges BUFFET.

Ces requérants faisaient valoir que :

« ces dispositions, par leur " caractère particulièrement général et permanent ", ne protègent pas suffisamment la liberté individuelle et ne garantissent pas " de façon adéquate " l'inviolabilité du domicile » (considérant 49 de la décision du conseil constitutionnel : www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2004/2004492DC.htm) 

Le syndicat de la magistrature dans des observations transmises au Conseil constitutionnel décrivait le caractère factice et illusoire de l’intervention du Juge des libertés et de la détention ;

« En premier lieu, il convient de souligner qu’à la différence du juge d’instruction qui ne peut être déchargé de ses fonctions sans l’intervention du Conseil supérieur de la magistrature, le juge des libertés et de la détention est désigné par le président du tribunal de grande instance, qui peut, du jour au lendemain, lui donner une autre affectation sans justification aucune. Ces décisions prises par le chef de la juridiction ne sont pas soumises à avis de l’assemblée générale des magistrats du siège. Cette instabilité fonctionnelle n’est pas une vue de l’esprit. En effet, ce juge est très exposé, nous avons pu le constater dans notre réalité judiciaire. Certes, ce juge est déjà compétent dans le domaine de la mise en détention provisoire. Mais les décisions en ce domaine sont entourées de garanties qui n’existent pas ici : débat contradictoire en présence de l’avocat, voies de recours à effet très rapide. Il ne dispose d’aucune garantie de maintien dans ses fonctions et peut recevoir une autre affectation au sein du tribunal s’il déplaît par ses décisions à ses interlocuteurs institutionnels, à sa hiérarchie judiciaire, voire même aux médias. En second lieu, ce juge, intervenant ponctuellement dans l’enquête à la demande du parquet, ne peut pas assurer un contrôle effectif des mesures qu’il est chargé de décider. En effet, ne connaissant ni l’amont ni l’aval de la procédure, il ne sera pas en mesure d’appréhender la réelle portée de la décision qu’il prendra. En outre, la multiplicité des tâches qui lui sont confiées ne lui permet pas de maîtriser chaque dossier dans son intégralité. D’ores et déjà, nombreux sont les juges des libertés et de la détention qui se plaignent de n’avoir qu’une vision parcellaire du dossier. La loi déférée ne pourra qu’augmenter ce déficit de contrôle. » (http://www.syndicat-magistrature.org/IMG/pdf/jessaime8avril2004.pdf)

La réalité recouvre pleinement la description du Syndicat de la Magistrature.

Le juge des libertés et de la détention  accède en réalité à toutes les demandes du parquet et l’allégation d’une intervention d’un juge indépendant est bien une tartuferie.

Par ailleurs, à ma connaissance, la question n’a jamais été posé à la Cour Européenne des Droits de l’Hommes à propos de la conformité de ce dispositif à la Conventions européenne de sauvegarde des droits de l’Hommes et des libertés fondamentales.

La Cour a en revanche eu l’occasion de condamner la France pour d’autres dispositifs de perquisition proche de celui subit par MELENCHON( RAVON ET AUTRES C. FRANCE 21 février 2008)  ou par l’utilisation abusive des magistrats des possibilités de perquisitions qui leur sont ouvertes (RESSIOT ET AUTRES C. FRANCE 28 juin 2012)

Cette affaire MELENCHON sera peut-être l’occasion d’interpeler la Cour en lui rappelant que :

« ces dispositions, par leur " caractère particulièrement général et permanent ", ne protègent pas suffisamment la liberté individuelle et ne garantissent pas " de façon adéquate " l'inviolabilité du domicile »

Et faire ainsi avancer les libertés publiques en France.

 

Emmanuel GAYAT

Avocat au Barreau de Paris