Le parquet de Paris est saisi de
l'affaire Alstom
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Olivier Marleix, ancien président de la commission parlementaire sur les décisions de l’État en matière de politique industrielle, a saisi le parquet de Paris sur l’affaire Alstom. Le député LR s’interroge sur les conditions de vente qui ont abouti au démantèlement du groupe industriel. Emmanuel Macron, ministre de l’économie à l’époque, est clairement visé.

L’ancien président de la commission parlementaire sur « les décisions de l’État en matière de politique industrielle », Olivier Marleix, a saisi le parquet de Paris, le 17 janvier, au titre de la procédure de l’article 40 du code de procédure pénale, sur l’affaire Alstom. Dans une lettre, révélée par Le Monde, le député LR, qui s’était beaucoup interrogé dans le cadre de la commission d’enquête sur les conditions de vente d'Alstom à GE en 2014, a décidé de signaler au parquet certains faits au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Cet article oblige toute autorité ou tout fonctionnaire à informer la justice de tout fait qui pourrait s'apparenter à un crime ou un délit.

Olivier Marleix s’interroge d’abord sur l’étonnante impunité judiciaire dont a bénéficié le groupe en France, alors qu’Alstom avait reconnu des faits de corruption dans plusieurs pays entre 2000 et 2011. En l’absence de poursuites pénales en France, le département américain de justice (DoJ) s’était emparé du dossier. Cette action judiciaire avait servi de levier pour permettre à son concurrent américain GE de s’emparer de la branche énergie d’Alstom, comme nous l’avions raconté à l’époque.

 

Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, et Patrick Kron, alors pdg d'Alstom en 2015Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, et Patrick Kron, alors pdg d'Alstom en 2015
Un ancien cadre d’Alstom, Frédéric Pierucci, emprisonné pendant plus de 3 ans aux États-Unis, revient dans un livre, Le Piège américain, sorti cette semaine, sur les circonstances de cette vente et sur la façon dont la justice américaine a été utilisée comme outil pour démanteler le groupe français.

 

Dans sa lettre au parquet, Olivier Marleix s’interroge aussi sur l’existence d’un possible « pacte de corruption » au bénéfice du ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron, qui a signé l’autorisation de rachat de la branche énergie Alstom par GE.

Lors d’une première commission parlementaire en 2015 sur les conditions de vente d’Alstom, Emmanuel Macron avait alors déclaré que « le gouvernement avait été mis devant le fait accompli » et « s’était trouvé face à un projet totalement ficelé ». En bref, le gouvernement n’avait rien pu faire pour arrêter le projet de démantèlement d’Alstom conçu entre les dirigeants des deux groupes.

Dans les faits, la commission d’enquête parlementaire de 2018 a mis en lumière, à la suite de l’audition de David Azéma, alors responsable de l’Agence des participations de l’État (APE), qu’un projet de démantèlement avait bien été étudié directement par AT Kearney dès décembre 2012.

Celui-ci prévoyait notamment la vente de la branche énergie à GE et la création d'« un Airbus du rail » avec Siemens. Ce projet avait été remis à Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Élysée, mais avait été gardé secret, comme notre enquête l’a démontré. Aucune alerte n’avait été donnée ni aux ministres ni à l’administration sur les risques de démantèlement encourus par Alstom.

« Le fait que l’on puisse retrouver dans la liste des donateurs ou des organisateurs de dîners de levée de fonds des personnes qui auraient été intéressées aux ventes précitées [Alstom, Technip, Alcatel…] ne peut qu’interroger, souligne le député dans son courrier. S’il était vérifié, un tel système pourrait être interprété comme un pacte de corruption. »

Au moment où l’affaire Alstom rebondit, ce qu’il reste des activités industrielles d’Alstom en France est clairement menacé. Bien que GE n’ait tenu aucun des engagements contractés auprès du gouvernement français au moment du rachat, notamment en termes de création d’emplois, le gouvernement et Alstom ont abandonné au groupe américain le contrôle complet des co-entreprises qui avaient été constituées en 2015, et particulièrement celui sur les brevets industriels liés à la turbine Arabelle qui équipe toutes les centrales nucléaires et les sous-marins français.

La nouvelle direction de GE, qui considère désormais qu’elle a fait une mauvaise affaire en reprenant les activités énergie d’Alstom, a déprécié de 23 milliards de dollars la valeur de ce rachat qui ne lui en avait coûté que 10 milliards. Une opération comptable lourde de conséquences pour la branche énergie d’Alstom : aux yeux de GE, celle-ci ne vaut plus rien.

Quant à l’Airbus du rail, il semble être sur le point de dérailler. De nombreuses autorités de la concurrence, notamment britannique et allemande, ont fait savoir que le rapprochement entre Siemens et Alstom leur paraît nuire à la concurrence du ferroviaire en Europe. La direction de la concurrence de la Commission européenne a déjà fait savoir combien elle n’était pas convaincue par l’argument de la concurrence chinoise avancé pour justifier ce mariage entre les deux groupes.

Elle estime en outre que les « remèdes »  – en d’autres termes les cessions ou abandons d’activités – proposés par les deux groupes ne lui paraissaient pas suffisants pour supprimer les situations de monopole dans lesquelles pourrait se retrouver le nouvel ensemble.

Très inquiète, l’intersyndicale d’Alstom redoute que le projet n’aboutisse à un démantèlement complet des activités ferroviaires d’Alstom, puisque c’est Siemens qui a clairement la main sur le projet de fusion. L’ensemble des syndicats du groupe demande donc l’abandon total d’un projet qui à leurs yeux n’a qu’un seul motif : verser 1,8 milliard de dividende exceptionnel aux actionnaires, dont Bouygues.

Pour l’instant, le gouvernement se tait, le dossier devenant de plus en plus encombrant .

 

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