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Le blog de Lucien PONS

(PHOTOS) Village de Kominternovo : « Même le ciel ne veut pas de nous ». Par Svetlana Kissiléva.

8 Avril 2019 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Ukraine, #Europe supranationale, #La Russie

6 avril
 

Le village de Kominternovo est situé sur le front sud de la République populaire de Donetsk dans la « zone tampon » définie par les accords de Minsk qui sépare les forces républicaines et les forces ukrainiennes loyalistes. Ces dernières la bombardent constamment en dépit du cessez-le-feu.

La route qui y mène de Novoazovsk traverse le champ des éoliennes préservées des bombardement ukrainiennes : « Elles valent 1 million d'euros chacune et demeurent la propriété de l'Union Européenne », - nous explique le commandant d'une unité de la RPD qui conduit la voiture.

La route conserve les traces des combats acharnés qui se sont déroulés ici en hiver 2015. Les tourelles des chars arrachées par l'explosion qui rouillent sur le bord du chemin en témoignent. Le commandant nous montre les poteaux, nous disant que les corps des soldats ukrainiens était propulsés là et sont restés accrochés sur les fils électriques.

Le village est fait de deux parties : petit et grand Kominternovo. Depuis le grand Kominternovo, on peut déjà apercevoir le drapeau ukrainien qui flotte au-dessus des positions de l'armée kiévienne. Le petit Kominternovo se trouve à trois kilomètres en arrière, mais il est bien touché par la guerre, lui-aussi. 1500 personnes vivaient au grand village avant la guerre, il n'en reste aujourd'hui pas plus de 150, dans leur majorité des femmes et des personnes âgées.

Dans le petit Kominternovo, seulement 7 maisons sont habitées actuellement. Nous arrivons en fin de journée du 7 mars, accueillis par la canonnade des mortier ukrainiens nous obligeant à descendre dans la cave en courant. Une demi-heure après, un obus endommage la ligne électrique, nous privant du courant. Il ne pourra être rétabli que 5 jours plus tard, quand nous serons partis. Quant à l'eau, les habitants du village sont obligés de la chercher dans des puits et sa qualité est très mauvaise. Ils la proposent aux soldats de la RPD en échange de l'eau potable.

Le lendemain matin, nous faisons le tour du village, partant à la rencontre de ces habitants. La plupart refusent d'être photographiés, ils ont de la famille de l'autre côté de la ligne de front, et ne veulent pas exposer leurs proches. Pratiquement toutes les maisons sont en ruine et, le trait caractéristique du Donbass en guerre, les portails sans clôtures.

Olga se déplace en s'aidant d'un déambulateur. Il faut savoir que la guerre accentue toute sorte de maladies dues au stress. En plus, les soins médicaux restent inaccessibles pour la plupart des gens vivant près du front. Même pour faire ses courses, il faut se rendre au grand Kominternovo où il y encore un magasin très peu fourni et cher. Et pour l'atteindre il faut marcher au moins pendant une demi-heure par une route découverte et exposée aux bombardements ukrainiens. Inimaginable pour une personne âgée et infirme qui n'a pas de véhicule. Il y a un abribus à la sortie du village, mais le bus ne passe plus ici depuis bien longtemps.

Le toit de la maison d'Olga a été remplacé plusieurs fois avec l'aide des soldats de la milice populaire, les ouvertures des vitres sont condamnées par du contre-plaqué. « Vous savez, nous sommes tellement lassés de cette guerre qui n'en finit plus, même le ciel ne veut pas de nous ». La lassitude et le désespoir d'Olga sont arrivés à leur paroxysme à tel point qu'à chaque fois que le village se fait bombarder, plutôt que de descendre dans une cave, elle sort au milieu de la route et y reste au milieu des obus qui sifflent autour d'elle.

Zina, une autre femme qui nous accueille dans sa maison, mais refuse qu'on la prenne en photo ; « A quoi bon ? De toute façon, cela ne changera pas quoi que ce soit.

Il y a un an, nous avons eu de la visite de la Croix-Rouge tchèque, ils ont vu mon toit endommagé et m'ont promis des matériaux pour faire les travaux. J'ai été toute contente, mais pas de nouvelles d'eux pendant plusieurs mois. Puis un jour les miliciens m'appellent... J'ai accouru et j'ai apprends qu'on leur a donné pour moi un poulet et un peu d'autres produits alimentaires. Mais je ne me plains pas, c'est toujours ça de pris ».

Seul un bout de carton portant le sigle de la Croix-Rouge qui remplace une de vitres soufflée par l'explosion, nous témoigne aujourd'hui de leur visite. Mieux que rien, évidemment, mais pas grand chose non plus. Zina nous fait rentrer dans la maison en éclairant le chemin avec une torche: comme les fenêtre n'ont pas de vitres et il y a une panne de courant, il fait très sombre à l'intérieur.

« Hier soir encore les Ukrainiens nous ont bombardés, je suis sauté dans la cave et j'y suis restée toute la nuit, Au moins, j'ai pu trier les pommes de terre. C'est le moment de commencer les semis, j'ai reçu des semences comme aide humanitaire. Mais le temps passe, les bombardements continuent et il est fort probable que nous ne pourrons pas sortir dans nos potagers. En attendant, je plante mes légumes sur ma fenêtre ».

Zina a des enfants qui viennent régulièrement la voir. Pourquoi alors elle ne part pas vivre chez eux ?

« Ils ont un tout petit appartement, que voulez-vous que j'aille faire chez eux ? Je ne veux pas être un boulet ! » Les enfants devaient venir la voir le 8 mars, la journée de la femme qui ici fait aussi l'office de la fête de Mères depuis l'époque soviétique, mais Zina le leur a interdit à cause de bombardements qui s'étaient intensifiés depuis quelques jours. Avant qu'on parte, elle insiste pour nous donner des œufs et un morceau de lard. Aucune de nos objections n'a pas été acceptée. « Ne vous en faites pas pour moi, j'ai assez de la nourriture, je tiens un poulailler. J'ai préparé des œufs pour mes enfants. Mais comme ils ne viendront pas, autant les donner aux garçons (par « les garçons », elle entend les miliciens de la RPD). Qu'est-ce qu'ils mangent les pauvres ? Là, ils pourront se faire des œufs au plat, c'est très bon avec du lard. » Les plus démunis sont souvent les plus généreux.

Au moment où nous partions, Zina nous confie qu'elle a très envie de champagne : « Juste un doigt ! D'habitude, je n'en bois pas, mais aujourd'hui, c'est la fête ». Une bien triste fête et le champagne, on n'en trouve pas ici actuellement.

Le lendemain, nous partons à pieds visiter le grand Kominternovo. Trois voitures de l'OSCE nous précèdent. Au moment où nous les rejoignons sur la place centrale, les Ukrainiens se mettent à bombarder le village et l'OSCE se barre aussitôt. Les habitants nous conseillent de ne pas nous attarder : tout le monde sait que lorsque l'OSCE s'en va, les bombardements s’intensifient. En plus, on voit de loin que nous sommes des étrangers et donc, pouvons être pris pour cible aussi bien par une partie du conflit que par l'autre. Nous avons eu néanmoins le temps de discuter un peu avec deux hommes que nous croisons là, au centre du village, en attendant une pose dans les bombardements et utilisant pour nous protéger des tirs ce que jadis fut un magasin, mais qui est maintenant détruit et brûlé par les obus. Un des deux hommes d'origine arménienne nous frappe par sa culture ; ayant appris qu'un photographe français se trouve parmi nous, il nous parle de Charles Aznavour et du maréchal Murat à qui on attribue des origines arméniennes.

Les temps de réaliser quelques photos et c'est là que nous apercevons un homme qui arrive avec sa voiture qui accepte de nous ramener. Le grand Kominternovo, ce sera donc pour une autre fois.

Texte et photos de Svetlana Kissileva

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