Camarades matinautes, c'est un électeur qui vous parle. Un électeur qui redécouvre, stupéfait, un étrange plaisir, oublié depuis quelques décennies, le plaisir d'aller voter. Un plaisir sans mélange. Et plutôt deux fois qu'une. Et plutôt dix fois, si c'était possible. Vous me verriez, depuis hier, depuis que le Conseil constitutionnel a validé le principe d'un référendum contre la privatisation d'Aéroports de Paris ! Je vibre, je frétille, je vibrionne, j'ai déjà des fourmis dans l'index droit, celui qui appuiera à la première heure sur le bouton, pour dire que oui, je suis l'un des 4 717 396 pétitionnaires qui le réclament, ce référendum. Oui, je me précipite dans la faille, la faille étroite du pauvre petit RIP (référendum d'initiative partagée), vilain petit canard de la démocratie directe, appelé peut-être à devenir un cygne majestueux. Et que ce soit l'excellent Christophe Castaner, qui mette ce bouton à ma disposition, ne fera que décupler mon plaisir. En vrai, je crois que je n'ai jamais été ainsi excité par un événement politique depuis 1981, ce qui ne nous rajeunit pas.
Ô délices d'imaginer, à travers le transistor, la triste figure de mon confrère Dominique Seux, que j'imagine, pour une fois, porter le grand deuil. Le deuil de ces infortunées heures de débat parlementaire, tout ce magnifique travail si démocratique, si magnifiquement respectueux des droits de l'opposition, sous la férule des Ferrand, des Rugy, des Le Gendre, qui passent ainsi au vide-ordures ; le deuil de la "démocratie parlementaire", balayée par la démocratie directe. Ecoutez sa chronique de ce matin. Ecoutez la et ré-écoutez la. Ecoutez la sous la douche, dans votre bain, faites en votre gel douche, vos huiles essentielles. Ah comme c'est bon ! Comme c'est parfumé ! Faites la écouter à vos amis, à vos tontons ronchons, à toute l'armée des "ça marchera jamais". A elle seule, davantage que toute ma propagande à moi, elle convaincra les sceptiques, et guérira les rhumatismes.
Comment je me suis convaincu que la privatisation d'Aéroports de Paris était une catastrophe majeure, pas seulement économique mais surtout écologique, je vous l'ai raconté dans cette réponse à Thomas Legrand, le binôme de Seux. Ce n'est pas seulement pour perturber le banquet des gavés, ce banquet dont la désormais immortelle vidéo versaillaise de Carlos Ghosn nous donne une représentation qui nous laisse sans voix. C'est presque par inadvertance. En lisant cet article magique du Monde
, qui expliquait en toute innocence les raisons de Vinci de guigner le beau fruit juteux. Pour le développer, pardi ! Pour enfourner toujours davantage de passagers dans davantage d'avions vers nulle part, en les faisant passer par davantage de duty frees, ces palais de l'inutile. Davantage d'avions, davantage de kérosène, davantage de CO2. Toujours davantage. Une cause moins "large" que la pétition sur l'Affaire du siècle, qui réclame une action en justice contre l'inaction climatique de l'Etat, comme l'estimait Dominique Seux -béni soit son nom- ce matin ? Mais non, Dominique. C'est justement parce qu'elle est moins large, qu'elle est bien plus redoutable. Lutter contre cette privatisation, c'est une manière très concrète de se battre pour la planète. Très concrète, et à portée de bouton (coucou Christophe, il vient, ce bouton ? Tu peux lâcher tes LBD, deux secondes ?)
Camarades matinautes, je ne rêve pas debout. Ce n'est pas gagné. Demeurent de multiples obstacles. Ils vont tout essayer. Par exemple, la culpabilisation : alors quoi, vous n'allez pas mêler vos voix à celles (rayer les mentions selon les bords) de la droite, des socialos, des fachos, des gauchistes ? Ah mais si ! Et comment, nous allons mêler nos voix pour (attention, grand mot) faire peuple ! Et comment, nous allons, ensemble, élargir la brêche ! Car ce référendum, si nous y parvenons, va évidemment créer un précédent. "Demain, une réforme des retraites, de la santé, fiscale, votée par le Parlement mais non encore promulguée pourrait-elle emprunter le même long chemin ?"
s'interroge, épouvanté Dominique Seux. Eh oui. C'est exactement ça. Ah, Dominique ! En gel douche. En huiles essentielles.