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Le blog de Lucien PONS

Présidentielle J-50 : la campagne vue par Marie-Monique Robin.

3 Mars 2012 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Politique intérieure

 

 Présidentielle J-50 : la campagne vue par Marie-Monique Robin attila_sarko-02-52a58.jpg

Jusqu'au 1er tour tour de la présidentielle, Télérama.fr publie le journal de campagne de cent personnalités du monde culturel. Aujourd'hui, la réalisatrice Marie-Monique Robin.

 

Allez, courage, il faut que j’écrive le papier que j’ai promis à Télérama.fr ! Ça fait plusieurs jours que je tourne autour du pot, griffonnant des mots épars sur une feuille de papier, relisant désespérément ma revue de presse hebdomadaire, parlant avec ma famille, mes amis, mes collègues. L’obsession du satané papier m’a poursuivie jusque sur les pistes de ski ariégeoises où j’essayais de recharger mes batteries, avant d’entrer dans un tunnel aussi angoissant que palpitant : la réalisation d’une nouvelle enquête sur l’agro-écologie (film et livre) que je dois livrer impérativement avant le 31 juillet.

 

Autant dire que je suis débordée, et que j’ai vraiment d’autres chats à fouetter que d’écrire mes impressions sur une « campagne électorale », qui, à de rares exceptions, ne décolle pas du plancher et est complètement à côté de la plaque ! Voilà ce que je me disais lorsque le télésiège m’emportait au-dessus des montagnes enneigées d’Ax Les Thermes…
En fait – pourquoi le nier ? –  je suis en colère et si j’ai eu du mal à attaquer ce fichu papier, c’est parce que je pensais qu’il fallait d’abord que je me calme, avant de me mettre à écrire. La colère, ça fait pas sérieux, n’est ce pas ? Surtout quand on est journaliste : les journalistes réputés « sérieux » sont des gens « neutres » et « objectifs » — il y a toujours un « pour » et un « contre », ainsi qu’on l’enseigne dans les écoles n’est ce pas ? – et exprimer ma colère c’est courir le risque d’être cataloguée comme une journaliste « pas sérieuse » car trop « émotive », pas assez « détachée » car trop « partisane », pas assez « clinique » car trop « militante », n’est ce pas ? Bref, le problème de ce papier c’était de lui trouver le bon ton. Le ton journalistique s’entend, au risque de me faire allumer par quelques lobbyistes puissants qui ne m’ont pas pardonné quelques documentaires et livres ayant connu (il faut bien le dire) un succès planétaire…

Sortie de crises

Et puis, au plus fort de mon désarroi, je suis tombée sur deux interviews accordées par de dangereux révolutionnaires qui résumaient très bien ma pensée (ouf ! un alibi à ma colère). L’une, publiée dans Libération, était de Roberto Lavagna, l’ancien ministre de l’économie argentin, qui parvint à sortir le pays de la banqueroute en envoyant promener le FMI et ses sinistres recettes. J’ai effectué un voyage en Argentine au moment de la crise et les images que j’en garde me rappellent étrangement la situation grecque d’aujourd’hui : dette colossale, chômage massif, ruine des petits épargnants, paupérisation galopante, faillite en chaîne des PME et mouvement de résistance des citoyens violemment réprimé (30 morts).

« Dès mon entrée en fonction, en avril 2002, j’ai décidé de changer radicalement notre manière de penser la sortie de crise, explique Roberto Lavagna. Les sorties de crise se font en dehors des chemins tracés par le FMI. Cette institution propose toujours le même type de contrat d’ajustement fiscal qui consiste à diminuer l’argent qu’on donne aux gens – les salaires, les pensions, les aides publiques et les grands travaux publics qui génèrent de l’emploi – pour consacrer l’argent économisé à payer les créanciers (…) ce sont les mêmes éternelles erreurs. C’est le secteur financier qui impose sa manière de voir les choses au monde entier ».

Je ne dis pas que la situation en Argentine est la panacée, car aujourd’hui au moins 30% de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, mais que se serait-il passé si le pays avait suivi le traitement de choc préconisé par le FMI ? En tout cas, je trouve révoltant le silence assourdissant de nos candidats (à l’exception de Jean-Luc Mélenchon) sur le traitement infligé au peuple grec par des technocrates à la solde des « marchés » (Ah ! Ce mot utilisé à tort et à travers par tous les médias) et des bandits de la finance internationale prêts à mettre le monde à genoux pour satisfaire leur cupidité (revoyez l’excellent Inside Job de Charles Ferguson). François Hollande eût été bien avisé de défendre haut et fort à Londres la seule phrase courageuse qu’il ait prononcé à ce jour, car effectivement « (Notre) véritable adversaire n’a pas de nom, pas de visage (…) Cet adversaire, c’est le monde de la finance ».


Quelques jours plus tard, c’était au tour du Monde de publier un entretien avec Michel Rocard, à l’occasion de la sortie de son livre Mes points sur les « i ». « Le capitalisme est entré dans une crise profonde, aucun retour à la normale n’est envisageable, rien ne sera plus comme avant, y affirmait l’ancien premier ministre. Il faut le dire clairement et essayer de penser un monde qui sera radicalement nouveau. » Et de constater : « On parle de nos petites affaires sans vouloir regarder le reste du monde ». Oui, mille fois oui !

Ce qui frappe dans cette campagne électorale c’est son étroitesse de vue et d’esprit, ses programmes riquiqui, rabougris, étriqués, l’absence d’audace et de prise en compte des enjeux qui menacent la planète, non pas dans cinq cents ans, mais demain. Je veux parler, bien sûr, de la crise écologique, à laquelle s’ajoute la crise financière, qui sont l’expression d’une crise plus large, « systémique » – pour reprendre l’expression de Nicolas Hulot (Le Monde du 9 février) – celle du système capitaliste ultralibéral basé sur une exploitation criminelle des ressources humaines et naturelles. Or, pas besoin d’avoir fait l’Ena pour comprendre que le monde est littéralement au bout du rouleau et que si nous voulons le sauver avant qu’il ne soit trop tard, il nous faut de toute urgence penser et agir de manière radicalement différente, comme le disent d’une même voix Lavagne et Rocard.

Cette exigence aurait pu être portée par Europe Ecologie Les Verts, mais leur candidate est malheureusement inaudible et je ne suis pas sûre que ce soit dû aux seuls « commentateurs mondains » de la presse parisienne, mais plutôt à une erreur de casting malgré toute l’estime que je porte à la juge Eva Joly… Je le reconnais volontiers : je suis une privilégiée car mon métier me permet de faire régulièrement le tour du monde. Partout où je vais, je rencontre des gens qui font le même constat : la misère et les inégalités progressent, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres toujours plus nombreux ; partout, aussi, la « crise financière » et la loi implacable des spéculateurs sans âme ni conscience jette à la rue des millions d’hommes, de femmes et d’enfants, comme au Mexique (voir mon reportage Les Déportés du libre échange) ou en Grèce, devenue le laboratoire européen du modèle que les « marchés » aimeraient étendre à l’ensemble du vieux continent.

Changer de paradigme

Partout encore, l’environnement et les conditions de vie se détériorent ; les paysans, quand ils ne sont pas malades, crèvent la dalle et le réchauffement climatique fait déjà des ravages, comme au Malawi où la saison des pluies est en train de disparaître des calendriers agricoles annonçant de graves crises alimentaires. Partout enfin se profilent des conflits meurtriers pour le contrôle des ultimes réserves de pétrole et autres énergies fossiles, sans lesquelles le modèle consumériste occidental qui gangrène désormais tous les continents s’effondrera comme un château de cartes. Cette campagne électorale aurait pu être l’occasion de propositions courageuses pour repenser de fond en comble notre production et notre consommation énergétiques, avec à la clé la sortie programmée du nucléaire. Car le désastre de Fukushima (où je vais me rendre bientôt) confirme que le choix de l’atome comme source d’énergie est tout simplement irresponsable. Et qu’on cesse de prétendre que les accidents n’arrivent qu’ailleurs (aux Etats-Unis, en Ukraine ou au Japon)  ou d’invoquer les emplois supprimés de la filière. L’heure n’est pas au repli sur les technologies du passé (le nucléaire, la révolution verte) mais à l’innovation et à la créativité trop longtemps bridées par les monopoles et la pensée unique.

Or, si le constat est dramatique, rares sont les candidats qui osent appeler à un changement radical de paradigme dans cette campagne électorale au ras des pâquerettes clientélistes. Par « changement de paradigme », j’entends une remise en cause fondamentale des mythes du « progrès » et de la « croissance » qui appartiennent au XXe siècle et qui, de toute évidence, nous mènent droit dans le mur. Pourtant, contrairement à ce que croient les prétendants à la charge suprême, l’opinion publique est mûre pour « entendre des discours plus volontaristes, car l’inquiétude est forte partout », ainsi que le révélait un sondage réalisé dans dix-sept pays par la TNS Sofres, en avril 2009.

On y découvrait que 78% des Français interrogés estiment que «  l’environnement est en mauvaise santé » et que la « réponse à la crise écologique est jugée insuffisante ». « Dans les pays développés, le lien entre crise économique et crise écologique est de plus en plus établi », notait aussi la directrice déléguée de la TNS Sofres, qui ajoutait : « L’hyperconsommation est non seulement perçue comme le syndrome des dysfonctionnements de notre modèle économique, mais aussi comme une des causes des problèmes environnementaux ». On me dira : « Ce n’est qu’un sondage. » Certes, mais dans le marasme actuel qui menace durablement la (sur)vie de l’humanité, il est temps que les politiques se remettent à faire de la … politique, – je veux dire de la vraie « politique », celle qui trace les chemins du futur dans le souci du bien collectif – en brandissant comme un flambeau les vers prémonitoires d’Aragon dans Le roman inachevé :

« Vous diré ce que vous voudré
il y a prograis et prograis »


En attendant, c’est aux citoyens-consommateurs de montrer la voie, en s’organisant localement et en posant des actes quotidiens qui permettent d’amorcer l’indispensable révolution mentale sans laquelle, tels les moutons de Panurge, nous finirons tous au fond du précipice.

est journaliste, documentariste et écrivain. Elle est notamment l’auteure de Escadrons de la mort : l’école française,  Le Monde selon Monsanto et Notre poison quotidien. Elle a créé sa maison de production m2rfilms et réalise actuellement une enquête sur l’agro-écologie, intitulée provisoirement Comment on nourrit les gens ? pour laquelle elle a lancé un appel à souscriptions.

 

<p>photo : F.Pardon</p>

photo : F.Pardon

Marie-Monique Robin

 

 

   

 

Le 2 mars 2012

http://www.telerama.fr/idees/presidentielle-j-50-la-campagne-vue-par-marie-monique-robin,78511.php

 

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