Amérique Latine. Une histoire récente d’ingérences et de résistances nationales.
Amérique Latine
Une histoire récente d’ingérences et de résistances nationales
Par Luis Fernando BASURTO CARRILLO. Enseignant, syndicaliste. Péruvien
Le terme même utilisé pour nommer notre espace géopolitique est une référence lourde au passé colonial puis néocolonial de l’ensemble des pays qui le composent. Le nom donné par les Européens à ce Nouveau Monde, Mundus Novus, au XVIème siècle est un hommage rendu par un obscur cartographe allemand à l’un des navigateurs qui parcoururent les côtes atlantiques caribéennes et sud-américaines, le commerçant florentin Amérigo, Americus, ou Albérico Vespucci, qui émit l’hypothèse que ces terres immenses n’étaient pas l’Asie, le Indes ou l’Extrême Orient. Les toponyme Indes Occidentales aussi donné, laissa la place exclusivement par la suite au nom propre América, apparut, proposé, en 1507.
Le nom « América Latina » fut créé par Francisco Bilbao, chilien, et par José Maria Torres Caicedo, colombien, nom apparut et référencé en 1856 et ensuite récupéré et galvaudé par Napoléon III, l’empereur des Français du Second Empire, pour justifier l’invasion du Mexique en 1861, expédition conquérante désastreuse finie en 1867. Pour être plus justes nous devrions utiliser le terme Indo-Amérique, Indo-Afro-Amérique, Indo-Afro-Euro-Amérique ou Amérique Créole. Ou plutôt tout simplement le terme Patria Grande ou encore « Abya Yala », terme d’origine cuna, groupe ethno-lingüistique panaméen, voulant dire «nuestra loma », notre colline ou notre terre, pour nommer notre ensemble géopolitique. Au passage nous signalerons l’utilisation toujours abusive et équivoque du gentilé, « gentilicio », Américain, rien que pour désigner les citoyens des Etats-Unis d’Amérique alors que le terme Etats-unien existe ou que l’on pourrait aussi les appeler tout simplement Nord-américains, l’ambiguïté serait restreinte qu’au Mexique et au Canada, ou encore Anglo-américains ou Yankees.
Le VIème « Sommet des Amériques », qui eut lieu les 14 et 15 avril 2012 à Cartagena de Indias, en Colombie, s’acheva sans déclaration finale. A ce sommet assistèrent presque tous les chefs d’Etat ou de gouvernement du continent sauf quelques absences remarquées et remarquables, voulues, Hugo Chavez le vénézuélien, Rafael Correa l’équatorien et Daniel Ortega le nicaraguayen. Barack Obama y était et essuya un échec diplomatique car malgré la diversité d’orientations idéologiques des pays participants, le bloc latino-américain se prononça contre la politique des USA d’embargo contre Cuba et l’ostracisme imposé par Washington : le mot d’ordre « plus jamais un sommet continental sans Cuba » fut massivement soutenu. Et la revendication de la République Argentine de voir l’archipel des Malouines retourner au giron de leur Etat fut aussi massivement appuyé contre la position des EEUU de soutien au Royaume Uni qu’y maintient une présence coloniale datant de l’occupation en 1833. Vieux litige, vielle revendication argentine, ayant provoqué en 1982 une guerre où le bloc occidental se rangea derrière l’expédition guerrière de Mme Thatcher pour réoccuper les îles, elles même ayant été récupérées par l’armée argentine peu avant. Les EEUU, avec Ronald Reagan, décidèrent alors de tourner le dos au TIAR - Traite interaméricain d’assistance réciproque- qui obligeait ses signataires de tout le continent américain à une riposte collective en cas d’agression d’une puissance extracontinentale, en le rendant caduque de fait pour soutenir, avec l’Otan, le Royaume Uni. Le Canada et la France (Mitterrand étant président, le soutien français aux britanniques fut alors très actif) se rangèrent aussi derrière Mme. Thatcher, ainsi que -cas isolé- le Chili de Pinochet.
Les décennies des années 1960-1970 furent néfastes pour l’Amérique Latine, sauf exceptions notables comme par exemple l’élection du socialiste Salvador Allende au Chili puis sa chute orchestrée par des généraux fascistes, le patronat chilien et les USA (sept. 1970 à sept 1973) ; le court régime du général progressiste Juan José Torres en Bolivie, octobre 1970 à août 1971 ; l’expérience, inédite, du général Juan Velasco Alvarado au Pérou avec un régime anti-oligarchique, réformiste radical, entre octobre 1968 et août 1975 ; et le régime du général Omar Torrijos, mars 1969 à juillet 1981, qui obtint, en septembre 1977, après la signature d’un traité, la restitution par les USA en 1999 du canal interocéanique et de sa zone adjacente.
Le Brésil vit en mars 1964 l’arrivée d’un régime militaire inspiré par la doctrine de la « sécurité nationale », anticommuniste, avec ce remarquable volet de « guerre [interne] contre-révolutionnaire ». Le maréchal Castello Branco prit le pouvoir suite à un coup d’Etat et les juntes militaires successives ne partirent qu’en mars 1985 laissant le pouvoir à un civil élu vice-président d’abord, José Sarney qui dû être investi à la place du président élu mais décédé peu avant l’investiture, Tancredo Neves . Vingt et un ans de dictature et un départ tranquille, couvert par une loi d’autoamnistie promulguée en 1979.
L’Uruguay vécut une forte dégradation des libertés individuelles, publiques et politiques, dès l’arrivée au pouvoir de Jorge Pacheco Areco en 1967 qui instaura un régime autoritaire cherchant la militarisation du pays. Il interdit en décembre 1967 le Parti Socialiste et d’autres partis de gauche, avec mesures d’exception, état de siège, avec censure et détentions sans inculpation, et répression du mouvement social, mesures reconduites systématiquement jusqu’à la fin de son mandat marqué par le forte présence au gouvernement des ministres issus de la haute oligarchie et l’apparition des escadrons de la mort issus de l’appareil de l’Etat et de l’armée, organisant assassinats politiques et attentas. Les gauches formèrent un Frente Amplio -Front Large- allant du Parti démocrate chrétien au Parti communiste, auquel se rallia le Mouvement 26 mars fondé par le FLN –Tupamaros-, mouvement guérillero. Ce Frente Amplio présenta la candidature du général libéral Liber Seregni qui subit une tentative d’assassinat en novembre 1971 peu avant le scrutin présidentiel. Ce leader fut emprisonné de juillet 1973 à novembre 1974, puis de janvier 1976 à mars 1984 par les militaires putschistes de juin 1973. En effet, en novembre 1971 le candidat du Partido Colorado Juan-Maria Bordaberry fut élu président dans un scrutin entaché d’irrégularités. Il continua la politique répressive de Pacheco Areco. Un coup d’Etat fut organisé par des généraux le 27 juin 1973 et Bordaberry resta à la présidence, à la tête d’un régime militaire dictatorial car le modèle du précédent régime, civil mais répressif, ne suffisait pas à l’armée. La fin du régime militaire, avec le début d’une transition démocratique, eut lieu en novembre 1984 avec l’élection du civil J.M. Sanguinetti du Partido Colorado, le même de Pacheco Areco et de Bordaberry. Liber Seregny n’eut pas le droit de se présenter pour le Frente Amplio. En 1985 une loi d’amnistie fut votée empêchant toute poursuite judiciaire contre les militaires, poursuites seulement autorisées avec l’autorisation de l’exécutif. L’hypothèque militaire ne fut jamais levée en Uruguay.
A la fin des années 1970 les dictatures militaires réactionnaires et anti-communistes, soutenues ouvertement ou en sous-main par les USA étaient la règle et non l’exception. En Amérique du Sud l’Argentine avait le général Jorge R. Videla, arrivé par coup d’Etat en mars 1976 ; le Chili le général A.Pinochet, qui avait commit le célèbre coup d’Etat du 11 septembre 1973 et ne quitta le pouvoir qu’en mars 1990 ; la Bolivie vit l’arrivée de la dictature anticommuniste du général Hugo Banzer en août 1971, qui resta au pouvoir jusqu’au mois de juillet 1978, rappelant ici que ce cycle de dictatures militaires boliviennes fut ouvert en novembre 1964 par le général René Barrientos, en tandem peu de temps après avec le général Alfredo Ovando Candia, celui qui organisa la chasse et l’exécution d’Ernesto «Che» Guevara en 1967, cycle qui prit fin avec le général Guido Vildoso C. en octobre 1982 quand il céda le pouvoir à Hernan Siles Suazo, civil élu démocratiquement, cycle qui comprit l’arrivée au pouvoir entre juillet 1980 et août 1981 du général Luis Gracia Meza, financé par le narcotrafic; au Paraguay le général Alfredo Ströessner, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en août 1954 et qui fut renversé par un autre coup d’Etat militaire en février 1989… trente cinq ans de dictature ; le Pérou eut le général Francisco Morales Bermúdez, qui renversa par coup d’Etat le général J. Velasco Alvarado, au pouvoir du 29 août 1975 au 28 juillet 1980.
Ces régimes militaires, auxquels il faut ajouter les dictatures militaires en place au Brésil, en Uruguay et en Equateur (dont le dernier cycle de dictature militaire date de 1972 à 1979), mirent secrètement en place un macabre système appelé « Opération Condor », né officiellement le 25 novembre 1975, lors d’une réunion sécrète parrainée par le général A. Pinochet. Une sorte d’internationale de la répression anticommuniste et anti-démocratique, toujours soutenus par la CIA, le FBI et le Département d’Etat à Washington. Ce système répressif fit des milliers des victimes dans le Cône sud sud-américain, mais aussi ailleurs dans le monde où des militants sud-américains de gauche ou de simples démocrates exilés furent exécutés par des commandos.
Parallèlement dans la même période, années 1960-1970, en Amérique centrale, au Nicaragua le général Anastasio Somoza Debayle était en fin de règne car combattu efficacement par les sandinistes (s’inspirant des luttes du général Augusto-César Sandino, patriote anti-oligarchique et anti-impérialiste, anti-yankee, assassiné en février 1934 par l’ordre de Somoza-père) du FSLN, malgré le soutien de Washington. La chute di dictateur eut lieu en juillet 1979, mettant fin à quarante trois ans de dictature dynastique où lui, son père et son frère aîné se succédaient au pouvoir depuis 1936, avec l’actif et solide soutien des EEUU.
Au Salvador, le Front Farabundo Marti de Libération Nationale-FFMLN combattait dès 1980, lors de sa création -unifiant partis, syndicats, branches politiques et groupes armés de gauche-, le régime répressif au pouvoir soutenu par les USA, un régime qui utilisait à la fois la répression militaire et policière que des escadrons de la mort d’extrême droite, régime répressif issu du renversement en 1979 d’un gouvernement militaire. Faut rappeler que depuis 1931, lors de l’arrivée au pouvoir du général Maximiliano Hernandez Martinez -fasciste et proche de l’Allemagne nazie, au pouvoir jusqu’à 1944- se sont succédés dans ce pays une série de régimes militaires anticommunistes et répressifs. S’en suivirent après 1979 douze ans d’affrontements et répressions sanglantes jusqu’à la signature en 1992 d’un accord de paix au Mexique (accords de paix de Chapultepec) mettant fin à la guerre civile. Le FFMLN fut légalisé et devint la première force politique du pays mais ne gagna les élections présidentielles qu’en mars 2009, avec Mauricio Funes.
Les cas de l’Honduras et du Guatemala ne sont guère différents des parcours des deux pays centroaméricains que nous venons de citer où ingérences politiques et militaires directes de Washington réussirent à maintenir à la tête de ces pays des régimes répressifs, antidémocratiques et maccarthystes. En 1954 les EEUU, D. Eisenhower avec la CIA, organisèrent un coup d’Etat au Guatemala contre le président Jacobo Arbenz Guzman, élu démocratiquement, car il venait de décider d’une taxe sur les exportations et d’une réforme agraire affectant entre autres les intérêts de la multinationale bananière nord-américaine United Fruit. Ils y installèrent une junte militaire présidée par le général Carlos Castillo Armas et fut ainsi ouverte une longue période de résistances populaires et paysannes -avec résistances armées par des guérillas- et de répression avec actes génocidaires de l’armée et de groupes paramilitaires de droite. Cette sombre période prit fin en 1996 lors de la signature d’un accord historique entre l’Etat guatémaltèque et la guérilla.
L’Honduras est peut-être encore le pays le plus touché pat l’ingérence politique et militaire des USA en Amérique centrale. En 1972 le président Ramon Cruz fut renversé par un coup d’Etat militaire. S’ouvrit une décennie des régimes autoritaires militaires avec les généraux Lopez Arellano, Melgar Castro et Paz Garcia qui servirent les stratégies de Washington pour déstabiliser le Salvador et le Nicaragua où les résistances populaires, armées ou pacifiques, tentaient de renverser des régimes dictatoriaux et répressifs. Les conflits en Amérique centrale allaient être combattus par les régimes autoritaires sur place, au Guatemala, El Salvador et au Nicaragua, et le Honduras allait être la base arrière sûre de l’interventionnisme nord-américain direct, pour éviter un deuxième Cuba et l’extension de l’influence de l’URSS à travers le Nicaragua sandiniste.
La chute de Somoza au Nicaragua en 1979 précipita les actions militaires depuis la plateforme hondurienne. Un régime civil de façade fut installé en 1982 avec Roberto Suazo Cordova jusqu’à 1986, relevé ensuite par un autre civil, José Azcona del Hoyo, jusqu’à 1990. Le Honduras servit pendant toute la décennie des années 1980 comme base arrière pour permettre aux USA de mener ce « low intensity conflit » contre le Nicaragua sandiniste, avec les guérillas « contra » entraînées, financées et armées secrètement par la CIA –rappelons-nous de « l’Irangate » et de l’implication du général panaméen Noriega dans cette sale guerre- dispositif marqué par la désignation de John Négroponte comme ambassadeur de Washington à Tegucigalpa en 1981.
Le Panama du général Omar obtint de James Carter la signature, en septembre 1977, d’un Traité pour la dévolution définitive en 1999 du canal interocéanique annexé par les USA dès son ouverture en 1914. La Zone du Canal, aussi sous souveraineté états-unienne, abritait l’Ecole des Amériques, une école militaire yankee où les officiers des armées latino-américaines étaient entraînés à la lutte anti-subversive, contre-révolutionnaire, c'est-à-dire contre les révoltes paysannes ou urbaines ou toute protestation démocratique et collective. Expériences, manuels et instructeurs, vétérans de l’armée française lors de la guerre d’Algérie, y étaient les bienvenus. Le spectre de la révolution cubaine de 1959 était le grand épouvantail et les USA et les dictatures ou régimes civiles réactionnaires voulaient à tout prix éviter cet éventuel deuxième Cuba.
L’usure des dictatures militaires ou civiles –en Argentine la défaite de l’armée lors de la Guerre des Malouines-, les cycles de crises économiques, commencées dès 1973 à cause du premier choc pétrolier, le début des crises de la dette des Etats, les plans d’ajustement structurels provoquant les cycles de misère accrue et de protestations populaires, les luttes et résistances politiques actives des partis d’opposition des différentes gauches, des syndicats et même d’une fraction de l’Eglise catholique –la Théologie de la libération fut latino-américaine et née au Pérou dans les années 1960-, les changements temporaires de paradigmes politiques autant à Washington –rappelez-vous de la doctrine Carter- que dans les classes dominantes latino-américaines, produirent un passage aux régimes civiles, respectueux à minima au moins des standards de la démocratie formelle occidentale. Ces nouvelles formes politiques, nouvelles normes de domination, furent accompagnés presque partout des lois d’amnistie et d’impunité des tenants des anciennes dictatures, civiles ou militaires, et restèrent en vigueur longs temps après les départs des donneurs d’ordre, des responsables politiques, des tortionnaires, des exécutants de bases besognes et des complices des crimes contre l’humanité commis. Rappelons-nous du cas d’A. Pinochet, emblématique de cette impunité.
Les régimes civils installés dans les années 1980 arrivèrent à l’époque flamboyante du « Consensus de Washington ». L’application de la doctrine néolibérale provoqua des désastres sociaux et économiques mais aussi politiques. Un riche pays pétrolier comme le Venezuela, sous la présidence du social-démocrate Carlos-Andrés Pérez, appliqua la potion néo-libérale lors de son deuxième mandat, réélu en décembre 1988, provoquant le 27 février 1989 une ferme riposte populaire noyée dans le sang, le « caracazo », avec un nombre très important de victimes, entre 300 reconnues et 3000 estimées. Ce fut le début de la fin de l’alternance bipartite –Accion Democràtica (social-démocrate) / Copei (démocratie chrétienne)- et l’annonce de l’arrivée d’un régime anti-néolibéral dès 1992, Hugo Chavez, élu démocratiquement en décembre 1998.
Au Pérou le rejet d’un radical plan néolibéral annocé, celui de Mario Vargas Llosa, candidat aux élections présidentielles du cartel des droites en 1980, permit l’élection de l’outsider Alberto Fujimori qui, tout de suite après son investiture fin juillet 1990, appliqua … le même plan en pire et à peine plus d’an et demi après organisa lui-même un coup d’Etat, en fermant le Congrès et ses deux chambres et mettant en suspens l’application de la Constitution de 1979, pour museler toute opposition à son régime -soutenu par le patronat, l’armée, et les partis de droite- et à l’application de son radical plan d’ajustement structurel. Il resta finalement dix ans à la tête d’un régime autoritaire, répressif et très corrompu. En novembre 2000 Fujimori fuya le pays et la démocratie formelle fut rétablie mais la politique néolibérale reste en vigueur encore de ces jours au Pérou. Fujimori fut finalement extradé et condamné à 25 ans de prison pour crimes contre l’humanité pendant ses dix ans au pouvoir. La résistance civile, politique et syndicale, fut presque laminée au Pérou dans les années 1990 sans pour autant disparaître car dès 1998 elle pût resurgir. Le président péruvien actuel, Ollanta Humala, un ancien militaire de centre-droit, fut élu début juin 2011 grâce au soutien des syndicats et partis de la gauche péruvienne. Le 5 juin 2011 c’était lui et la fille du dictateur Fujimori qui se disputaient le fauteuil présidentiel. Les péruviens élirent le moindre mal. Comme ailleurs, l’alternative entre le mauvais, ou très mauvais, et le pire.
Les Etats-Unis ont essayé et essayent encore d’amarrer économiquement l’Amérique Latine à ses stratégies continentales et mondiales. Mais les pays et les peuples latino-américains ont réussi à résister, conservant leur intégrité territoriale et leur souveraineté et des Etats minimalement solides et viables, avec aussi un minimum de paix civile pour que la vie politique, la primauté du politique, permette des avancées sociales et économiques internes. Cet amarrage économique solide n’a pu s’opérer à cause de la résistance latino-américaine dans un monde économiquement –mais pas militairement- de plus en plus multipolaire. Georges W. Bush échoua avec fracas dans sa tentative de faire signer son projet de traité de libre-échange des Amériques -ALCA, ZLEA ou FTAA- lors du IVème Sommet des Amériques de l’OEA ténu à Mar del Plata en Argentine les 4 et 5 novembre 2005. La négative latino-américaine fut claire pour cause de « proposition inéquitable et déséquilibrée » et un contre sommet fut organisé parallèlement, le « Sommet des peuples ». Les USA se tiennent à leur traité avec le Canada et le Mexique, l’ALENA -entré en vigueur le 1er janvier 1994- et des traités bilatéraux. Et les Mexicains regrettent de plus en plus avoir signé ce traité, et le disent de plus en plus fort, car il est léonin et préjudiciable pour eux. Pays où le maïs est autochtone, le Mexique est devenu dépendant et à présent importateur de ce produit, subventionné et exporté sans entrave par les agriculteurs états-uniens dans le cadre de l’ALENA-TLCAN.
Les initiatives venant de l’Amérique du sud ont le vent en poupe, associations régionales de libre-échange, de circulation des citoyens, associations politiques au delà de l’ALALC, de l’ALADI, du MCCA, du Pacte Andin, du Mercosur, du Caricom et de l’ALBA. Il existe à présent l’UNASUR, le Banco del Sur et la CELAC tout dernièrement, des outils voués à permettre de tourner le dos aux institutions de Bretton Woods –FMI et BM- et à l’OEA, institutions d’ingérence économique et politique destinées au contrôle des pays du sud, du Tiers Monde, pour le plus grand bien et la perpétuation de l’hégémonie des pays occidentaux, de l’axe USA-Canada-UE plus le Japon.
Les forums tel les Sommets des Amériques de l’OEA et les Sommets Ibéro Américains (dont on se rappelle d’un roi espagnol, Juan Carlos de Bourbon, en novembre 2007 criant à Hugo Chavez, le président vénézuelien, à Santiago du Chili « …por qué no te callas … » …tais-toi ! ) sont des survivances d’une histoire qui est en train d’être rapidement dépassée.
L’Amérique Latine des années 2000 n’est plus celle des années 1970, 1980 ou 1990 où Washington et l’Occident en général faisaient la pluie et le beau temps par le biais du FMI, la Banque Mondiale, le Club de Paris et le Club de Londres (les créanciers privés et publics des pays développés des Etats débiteurs du Sud) …, mais aussi de la CIA et du Pentagone. Les USA ne se permettront pas à présent si facilement d’envahir l’île antillaise de Grenade comme en 1983 (car « coupable » d’être proche du gouvernement cubain) ; d’intervenir militairement à Santo Domingo en république Dominicaine comme en 1965 (pour empêcher le retour au pouvoir de Juan Bosch, un président démocratiquement élu, soupçonné aussi d’être « procubain ») ; d’envahir le Panama et bombarder sa capitale, pour ne pas oublier l’expédition meurtrière –qui provoqua entre deux mille et cinq mille civils tués- de l’armée USA appelée opération « Juste cause » –plus de 58 000 mille militaires et 300 avions de guerre- en décembre 1989 pour déposer du pouvoir et capturer le général Manuel Noriega, ancien agent de la CIA devenu l’homme fort puis chef de l’Etat panaméen –dictateur et allié lâché par Washington en 1987- accusé ensuite d’être un agent double et trafiquant de drogue, occasion profitée par les USA pour décréter la dissolution des Fuerzas de Defensa de Panama FDP –l’armée panaméenne - ; ou, pour finir cet échantillon, d’organiser et armer une guérilla contre-révolutionnaire contre le Nicaragua, car gouverné par les sandinistes, détestés par Washington et tout spécialement par Ronald Reagan, comme pendant la décennie des années 1980. Tout cela entre autres « perles » conspiratrices, d’organisation de coups d’Etat et de soutien aux dictatures.
Les ingérences actuelles les plus condamnables des USA sont économiques et financières -par le biais de ses multinationales, des accords bilatéraux de libre-échange et des organismes multilatéraux, FMI, BM, BID-, avec ses limites grandissants ; politiques, avec les tentatives de déstabilisation du Venezuela, de la Bolivie, de l’Equateur, entre autres ; ingérences politiques et militaires aussi avec le soutien du régime putschiste du Honduras ayant déposé le président Manuel Zelaya en 2009 avec la complicité de l’administration de Barack Obama, ou le « Plan Colombia » contre les FARC, guérilla marxiste ; ingérences aussi par les biais des plans et opérations antidrogue, vecteurs d’interventionnisme.
Ingérences politiques et économiques avec l’embargo économique et commercial contre Cuba –accompagné de cette volonté inébranlable de l’ostraciser-, embargo illégal et illégitime ciblé contre le peuple cubain visant à le paupériser et l‘affamer, rappelant aussi l’occupation de l’enclave de Guantanamo, petit territoire devenu base militaire, confisqué aux Cubains et devenu tristement célèbre, où tous les droits humains sont violés 24h/24 depuis 2001 quand George W. Bush décida d’y envoyer des prisonniers de guerre suite à sa guerre d’agression contre l’Afghanistan .
Nous rappellerons finalement cette ingérence inacceptable qui est la mise sous tutelle d’Haïti, depuis 2004, opérée par les Etats-Unis -suite au coup d’Etat qu’il y organisèrent pour enlever Jean-Bertrand Aristide de son poste de chef de l’Etat élu- avec la complicité de la France, du Canada et de l’ONU. Celle-ci installa sa MINUSTAH, qu’y commit dès cette époque exaction sur exaction contre la population civile et qui fut responsable de l’épidémie de choléra apparue après le séisme de janvier 2010.
Et l’existence encore dans notre espace géopolitique latino-américain, ainsi nommé, des restes des empires coloniaux, britanniques, néerlandais et français ou … états-uniens, des colonies « récentes » comme Puerto Rico, envahi et occupé par les USA depuis 1898. Les Départements d’Outre Mer français -DOM échappant « opportunément » à la décolonisation car « départementalisés » depuis 1946. En Guyane comme à la Martinique ou à la Guadeloupe, les Haïtiens, échappant à la misère et aux désastres de leur pays à présent sous tutelle, sont poursuivis par la police française et font l’objet de xénophobie et de racisme.
Ces derniers sujets mériteraient d’être traités à part, et longuement
Luis Fernando BASURTO CARRILLO
Enseignant, syndicaliste. Péruvien
04 juin 2012