Au moment où Laurent Fabius entame en Jordanie une tournée arabe de promotion des bandes armées islamistes et de sa propre personne, il est bon – et il était plus que temps – qu’une personnalité de gauche – et associée à l’actuel gouvernement – donne enfin de la voix pour dénoncer et la désinformation et la dérive de la diplomatie française. C’est chose faite depuis mercredi après-midi 15 août : depuis que Jean-Pierre Chevènement, dans une déclaration à l’AFP, a dénoncé les « professionnels de l’ingérence » qui poussent la France « à intervenir militairement » en Syrie.
Réquisitoire complet
Jean-Pierre Chevènement a une bonne connaissance de la région, de ses contradictions et des enjeux qu’elle suscite, ce qui le distingue de la plupart des commentateurs médiatiques français de la crise syrienne. Il est aussi très « autonome », intellectuellement et politiquement, vis-à-vis du diplomatiquement correct pro-OTAN et pro-Israël, ce qui le sépare cette fois de la plupart de ses amis politiques socialistes (de pas mal de journalistes aussi). N’étant plus ministre (de la Défense), il a donc choisi d’ »ouvrir sa gueule » sur la Syrie, ce qui compte tenu de ce qu’on en dit depuis des mois et de ce qu’il est lui-même, devait le démanger depuis un certain temps.
Et donc, l’ancien député – et actuel sénateur – de Belfort, et (mauvaise) conscience « républicaine » d’une gauche libéralisée, se lâche : « La Syrie n’est ni la Tunisie ni l’Égypte. C’est un pays plongé dans une guerre civile inspirée et alimentée de l’extérieur », estime-t-il.
Selon l’ancien ministre de la Défense, « des professionnels de l’ingérence poussent aujourd’hui la France à intervenir militairement, fusse par la seule voie aérienne, en violation de la légalité internationale et au côté de pays dont les ambitions et les intérêts ne sont pas les nôtres » : l’ombre immense de BHL se précise à ce moment. Rappelons seulement que mardi 14 août dans le quotidien Le Monde, Bernard-Henri Lévy, en pointe lors de l’intervention occidentale en Libye en 2011, a lancé un appel à une action militaire aérienne en Syrie.
« Le précédent libyen ne saurait être invoqué », ajoute Chevènement. Dans ce cas, martèle-t-il, la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU de mars 2011 a « été interprétée au-delà de son objectif proclamé -la protection des civils-, jusqu’à un changement de régime dont l’une des conséquences a été la déstabilisation du Mali ».
Jean-Pierre Chevènement rappelle que le président François Hollande « a plusieurs fois souligné que la France n’interviendrait pas en dehors d’un résolution du Conseil de sécurité des Nations-unies ». « La politique de la France repose sur des principes et aucune campagne d’opinion ne doit l’en faire dévier », affirme-t-il. Et là encore, c’est la petite mais influente clique bien connue, sioniste germanopratine, qui est précisément visée par la voix de la gauche patriote et souverainiste.
Et du précédent libyen, Chevènement passe au précédent irakien, pour tous ceux qui ont la mémoire courte – ou débranchée : « La politique de changement de régime a été pratiquée en Irak » par l’ancien président américain George Bush en 2003, mais une réédition de cette politique pour la Syrie « ne saurait aujourd’hui recevoir la caution de la France ».
On n’avait pas beaucoup entendu Jean-Pierre Chevènement sur la crise syrienne, depuis son commencement. Était-il las, ou son ralliement à François Hollande lui imposait-il un devoir de réserve ? Eh bien, visiblement, pour le « Che » aussi, l’état de grâce c’est fini. Marginal au sein de la gauche française, et guère remplacé par l’artefact Jean-Luc Mélenchon, Jean-Pierre Chevènement, de par sa stature politique, intellectuelle, voire morale, est cependant écouté – sa déclaration a d’ailleurs été largement diffusée. Qu’il soit entendu est une autre question…