Ce discours doit être porté par la gauche radicale pour une raison simple : aucune mesure ambitieuse de son programme n'est applicable dans le cadre de l'ordre juridique et monétaire européen. Le Front de gauche veut développer les services publics, créer un grand pôle bancaire nationalisé, taxer les richesses, interdire les cultures d'OGM ? Tout ceci est incompatible avec le droit européen qui, depuis l'adoption du traité de Maastricht, fait partie intégrante de la Constitution française. Toute proposition de loi en ce sens sera inconstitutionnelle.
« Sortir du Traité de Lisbonne », mais encore ?
Au Parti communiste, l'« euro-réformisme » est la ligne officielle depuis 1997, quand il fut décidé de rejoindre le gouvernement socialiste de Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn qui adopta le traité d'Amsterdam et instaura la monnaie unique. Du côté du Parti de gauche, qui semblait prêt à plus de radicalité sur les questions européennes, on mettait en avant la nécessité d'un compromis avec le PCF : les programmes de 2009 et 2012 n'étaient pas clairs, mais il fallait en passer par là... On pouvait espérer que, dans le débat interne au Front de gauche, le PG plaide pour une vraie désobéissance européenne et fasse pencher la balance du bon côté.
Désobéissance européenne VS fédéralisme
Cette divergence fondamentale – la désobéissance européenne d'un côté, un fédéralisme prétendument « écologique et social » de l'autre – devrait condamner de fait toute alliance nationale PG-EELV à l'approche d'élections européennes. Pourtant, dans une « adresse au Conseil fédéral d'EELV » publiée le 3 avril, le Secrétariat national du PG écrit : « Entre l’écologie politique que vous défendez et l’écosocialisme sur lequel nous proposons de refonder programmatiquement la gauche, nous avons matière à avancer (...) ensemble. Nous ajoutons pour notre part la désobéissance à l’actuelle Union Européenne pour refonder une autre Europe. Nous connaissons nos importantes différences sur cette dernière question, mais cela ne doit pas nous empêcher d’en discuter ensemble et d’envisager un rapprochement entre le FDG et EELV, notamment à partir de notre refus commun du Grand marché transatlantique ».
Marine Le Pen peut jubiler
Il faut au contraire retrouver, sur la question européenne, un discours cohérent et radical. Les écologistes de gauche doivent cesser de rêver la construction européenne telle qu’ils la désirent et la voir enfin telle qu’elle est : une structure conçue par et pour le capitalisme, devenue impossible à réformer. Pour gouverner à gauche, il faut rompre avec elle, et il faut l'affirmer clairement, à Europe écologie - Les Verts comme au Front de gauche. Il sera temps ensuite d'opérer des rapprochements.
(1) « Mots croisés », France 2, 9 décembre 2012.
* Aurélien Bernier est auteur de La gauche radicale et ses tabous (Seuil, 2014) et de Désobéissons à l'Union européenne ! (en accès libre sur abernier.vefblog.net).
- Les tribunes d’Aurélien Bernier déjà parues sur Marianne.net :
>>> Sortir de l'euro ne fera pas tout
>>> Pour que le Front de gauche rompe enfin avec l'Union européenne
- Les articles de Marianne sur le même sujet :
>>> Qu'est-ce qui fait échouer le Front de gauche ?, interview d’Aurélien Bernier par Bertrand Rothé
>>> Si le Front de gauche voulait vraiment lutter contre le FN…, par Gérald Andrieu
>>> Euro : le débat, enfin ?, par Gérald Andrieu