Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog de Lucien PONS

Fraude et paradis fiscaux dans le viseur. Repris sur Médiapart.

11 Avril 2013 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Politique intérieure

Après les annonces de la semaine dernière, qui n'étaient qu'une reprise de mesures déjà dans les tuyaux, François Hollande a tenté de mettre en scène son autorité. Outre les mesures de moralisation de la vie publique, il a présenté ce mercredi tout un arsenal pour contrer la fraude et l'évasion fiscales. Sujets brûlants après le désastreux symbole du ministre censé mener la répression avouant qu'il possédait un compte caché, en Suisse puis à Singapour. Analyse de cette batterie d'annonces, qui prendront la forme d'un projet de loi, présenté le 24 avril en conseil des ministres.

Lutte conte la fraude fiscale

Le compte-rendu du conseil des ministres annonce un gonflement des effectifs « de la justice, de la police, et de l’administration fiscale pour lutter contre les fraudes fiscales les plus complexes et les réseaux de blanchiment ».

Renfort attendu : 50 enquêteurs de police judiciaire, 50 magistrats et 50 inspecteurs du fisc. L’annonce sera forcément reçue comme une bonne nouvelle par les principaux intéressés, mais aussi par tous ceux qui multiplient, ces derniers jours, les propositions pour muscler la lutte anti-fraude. Yan Galut, député PS du Cher et cofondateur de la gauche forte, a ainsi déposé lundi 8 avril une proposition de loi en ce sens avec une vingtaine de députés ; le parti socialiste a aussi examiné la question lors de son bureau national mardi 9 avril ; les Verts et le PCF ont annoncé leur intention de se saisir du sujet ; une mission d’information sur les paradis fiscaux est enfin en cours à l’Assemblée, sous la houlette d’Alain Bocquet (PC) et de Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République). Tous appellent en choeur à renforcer les moyens disponibles.

« Un parquet spécialisé ayant une compétence nationale sur les affaires de grande corruption et de grande fraude fiscale sera créé ».

Cette mesure est accueillie plus que fraîchement par les syndicats de magistrats : ils soulignent qu’il existe déjà des juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) et des pôles économiques et financiers dans la plupart des cours d’appel. « On ne voit pas l’intérêt d’un procureur national, et d’ailleurs sa création remet en question les attributions des JIRS et des pôles financiers », estime ainsi Virginie Duval, la secrétaire-générale de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), pour qui la question essentielle reste le manque de moyens dans les parquets financiers et chez les juges d’instruction.

Au Syndicat de la magistrature (SM, gauche), on est encore plus sévère. « Quelle pourra être l’indépendance de ce procureur national, alors que c’est toujours le pouvoir exécutif qui propose les nominations des procureurs au CSM, et non pas l’inverse ? » demande Françoise Martres, la présidente du SM. « Si, à l’avenir, ce procureur prend en charge toutes les questions touchant à la lutte contre la corruption et la délinquance économique et financière, et qu’il est nommé par le pouvoir, la situation sera même pire qu’avant. »

Surtout, ni le premier ministre ni le président n’ont évoqué un point clé, soulevé par tous les acteurs ayant phosphoré sur la lutte contre la fraude, y compris les deux organisations syndicales : l’actuel monopole de Bercy en matière de poursuites pénales. Seul le ministère du budget peut déclencher une procédure, en saisissant le parquet, après autorisation de la commission des infractions fiscales (CIF).

C’est une dérogation au droit commun (comme pour le trafic d’armes). Elle laisse – il est vrai – toute latitude à Bercy pour négocier discrètement avec les fraudeurs, mais elle est dénoncée de toutes parts. Ainsi Galut martèle qu’il « faut faire sauter le verrou de Bercy si l’on veut véritablement être efficace » et se déclare résolu à déposer amendement sur amendement pour améliorer le projet de loi qui sera présenté par le gouvernement s'il ne comporte pas cette mesure. Nicolas Dupont-Aignan souligne lui aussi que « c’est la base pour toute politique digne de ce nom contre les paradis fiscaux ». Un magistrat spécialisé commente, acide : « Si Bercy garde ce monopole, on pourra toujours muscler les sanctions, nous resterons dans les mains de l’autorité politique. »

 

Autoriser l'utilisation de listes volées

 

« Un office central de lutte contre la fraude et la corruption sera institué au sein de la direction centrale de la police judiciaire », annonce le compte-rendu du conseil des ministres. « Il reprendra les compétences de la division nationale des infractions financières et fiscales (DNIFF), et sera renforcé par des personnels du ministère des finances (effectifs DGFIP renforcés, DGCCRF, et Douane), soit un total de 95 personnels environ, contre 45 aujourd’hui à la DNIFF. »

A priori, la mesure ne peut qu’être saluée. Néanmoins, les syndicats de policiers et de magistrats accueillent plutôt cette annonce avec circonspection : ils attendent de voir s’il s’agit vraiment de créations de postes ou de simples redéploiements ou réaffectations d’effectifs, comme cela se passait sous Nicolas Sarkozy, ou l’on déshabillait Pierre pour habiller Paul.

Certes, des policiers en charge des affaires économiques et financières (à la DCPJ et à la brigade financière) demandaient de longue date un office central doté de vrais moyens. Mais la DNIFF est actuellement en sous-effectif : sur les 70 postes budgétisés, 25 n'ont jamais été pourvus, note le syndicat des cadres de la sécurié intérieure (SCSI), plutôt favorable aux annonces. Certains policiers craignent une opération « écran de fumée », si l'opération devait se résumer à ramener les effectifs de la DNIFF à leur niveau théorique.

L’expérience doit par ailleurs rendre prudent : l’Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), qui a été créé en 1990, n’a que des moyens et des résultats assez modestes. Quant au Service central de prévention de la corruption (SCPC), censé être pluridisciplinaire (justice, police, fisc, douanes), il a été privé dès sa création (en 1993) de moyens d’enquête, et n’émet que des rapports et des recommandations.

« Les sanctions pénales en matière de fraude fiscale seront renforcées.(...) Une inéligibilité de dix ans, ou définitive avec possibilité de relèvement, pourra être prononcée pour les élus condamnés pour fraude fiscale ou corruption. »

Ces dernières annonces sont essentiellement d’ordre symbolique. Faciles à inscrire dans la loi, elles se veulent dissuasives. Mais il faudra encore que les tribunaux aient des affaires de cette nature à juger, et que les juges souhaitent faire preuve d‘une plus grande sévérité. Actuellement, les peines de prison ferme prononcées pour fraude fiscale restent assez rares.

D’autres points auraient gagné à être abordés, estiment à la fois Nicolas Dupont-Aignan et Yann Galut. Pour sa proposition de loi, ce dernier a travaillé avec un petit groupe de magistrats, regroupés autour de Charles Prats. Ce magistrat parisien, ancien inspecteur des douanes, a travaillé de 2008 à 2012 à la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF). Il avait déjà été auditionné par la commission sénatoriale sur l’évasion, qui a rendu un très bon rapport en juillet. Et il a publié il y a quelques jours sur son blog Mediapart ses propositions, quasiment semblables à la proposition de loi des députés socialistes.

Prats, Gallut et Dupont-Aignan, tout comme le parti socialiste lors de son bureau national du 9 avril, estiment qu’il est indispensable de permettre au fisc d’exploiter les listes de fraudeurs qui pourraient être transmises par des employés de banques à l’étranger, quelle que soit la manière dont ils se les sont procurées. L’Allemagne n’hésite pas à acheter de telles listes. En France, en 2009, un salarié de HSBC Genève, Hervé Falciani, avait fourni à Bercy la fameuse liste de 3 000 contribuables français disposant de comptes en Suisse (lire notre enquête). Mais la Cour de cassation a estimé en 2012 que les données, volées, ne pouvaient pas être exploitées par le fisc.

Si la justice exploite ces données, il faudra bien sûr aussi offrir un statut protégé aux « lanceurs d’alerte » qui les fourniront. Autre idée partagée : permettre à l’État de retirer leurs licences bancaires aux établissements financiers qui refuseraient de coopérer pleinement avec le fisc et la justice. Et notamment à ceux qui ne fournissent pas tous les noms des contribuables français cachant leurs avoirs dans leurs coffres.

 

Les ONG se félicitent

Lutte contre les paradis fiscaux

C’est une avancée incontestable. Dans les annonces de François Hollande et du conseil des ministres, une série de mesures devrait permettre de faire reculer l’opacité qui entoure les paradis fiscaux. Les ONG, qui demandent de telles mesures depuis des années, applaudissent. Oxfam France salue « des annonces fortes », et Transparency International se félicite « de voir les lignes enfin bouger sous l’impulsion de plusieurs pays dont la France ».

« Les banques françaises devront rendre publique chaque année la liste de toutes leurs filiales, partout dans le monde, et pays par pays. » 

Non seulement les banques devront indiquer dans quels pays elles sont implantées, mais aussi détailler la nature de l’activité de chacune de leurs filiales et fournir, pour chaque pays, le chiffre d’affaires, les effectifs employés, les résultats financiers, les impôts payés et les aides publiques reçues. Aujourd’hui, c’est loin d’être le cas, les banques se contentant généralement de donner tous les ans un chiffre d’affaires « consolidé » pour chaque continent.

Vraie révolution, donc. Mais qu’on ne doit ni au gouvernement, ni au président : il s’agit en fait de la reprise d’amendements parlementaires socialistes, déposés et votés lors de l’examen de la loi sur le contrôle bancaire (avec l’aval plus ou moins forcé du gouvernement). La liste des données à rendre publiques, reprise par Hollande, a été en fait adoptée au Sénat, le 22 mars. Les sénateurs avaient durci les exigences déjà votées par les députés le 19 février.

Comme le revendique le gouvernement, cette obligation de transparence a effectivement été intégrée à une future loi européenne, par le biais d’amendements des Verts au Parlement européen. D’ici 2015, l’ensemble des banques européennes seront donc soumises à cette règle. Et la France entend imposer le même type de règles pour toutes les grandes entreprises (lire notre entretien avec le ministre Pascal Canfin).


« La liste des paradis fiscaux fixée chaque année par le Gouvernement sera revue (…) en s’attachant à une évaluation de la réalité de leur mise en œuvre. »

Jusqu’à présent, la liste noire des paradis fiscaux établie par l’OCDE était facile à éviter : il suffisait de signer au moins douze conventions d’échange d’informations fiscales avec d’autres pays, ainsi qu’avec tous les pays en faisant la demande. La liste française, elle, ne dénombrait que huit paradis fiscaux, sur le même type de critères… Mais l’OCDE est en train d’évaluer une centaine de pays, pour vérifier s’ils appliquent bien les principes de la bonne transparence fiscale entre États, ce qui devrait déboucher sur une liste aux critères bien plus sévères en 2014 (lire notre enquête à ce sujet). La France emboîte donc le pas à l’institution internationale.

 

« L’échange automatique d’information doit devenir la règle, pour l’ensemble des éléments de revenu et de patrimoine. »

François Hollande formalise là aussi une mesure déjà lancée. Mardi, nous annoncions que la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne indiquaient à la Commission européenne leur intention de mettre en place et de promouvoir un système d’échange automatique d’information : dès qu’un de leurs contribuables déposera de l’argent sur un de ces territoires, l’information sera directement envoyée aux autorités fiscales de son pays d’origine. Modèle avoué, le Fatca, la loi américaine votée par le Congrès en 2010, et qui entrera en vigueur en 2014.

Le timing de l’engagement français est excellent. Sous l’impulsion des États-Unis, et sous la pression des révélations de l’initiative « Offshore Leaks », les pays européens les plus réticents, farouches défenseurs du secret bancaire, sont en train de craquer. Après le Luxembourg, lundi, c’est l’Autriche qui a indiqué mardi qu’elle devrait céder à ce modèle d’ici le 1er janvier 2015.

Par ailleurs, le gouvernement a rappelé qu’il soutenait les initiatives internationales, menées par l’OCDE à la demande du G20, pour lutter contre l’optimisation fiscale des grandes entreprises. Google, Apple ou Starbucks sont dans le collimateur international parce qu’ils sont passés maîtres dans l’art de ne pas payer d’impôt, en jonglant avec les filiales judicieusement placées dans des paradis fiscaux (lire notre article). Un « avantage indu » fortement dénoncé par l’OCDE, qui devrait être abordé lors de la prochaine réunion du G20 qui s’ouvre demain.

 

 

http://www.mediapart.fr/journal/france/100413/fraude-et-paradis-fiscaux-dans-le-viseur

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article