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Le blog de Lucien PONS

Grèce : Deux points de vue intéressants parus dans le quotidien parisien Libération ce mardi matin 15 mai. Impasses réelles et solutions imaginaires au «problème grec»

15 Mai 2012 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Grèce

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Grèce : Deux points de vue intéressants parus dans le quotidien parisien Libération ce mardi matin 15 mai.
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Par COSTAS BOTOPOULOS Constitutionnaliste, ancien eurodéputé (PSE), président de l'Autorité des marchés financiers en Grèce.

La Grèce semble prise dans trois cercles vicieux. Le premier, et le plus permanent, est économique : les maux les plus profonds du pays, le manque de compétitivité et l’archaïsme des structures ne sont pas visés par le «plan d’aide» concocté par la «troïka» (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international). Ou plutôt, ces problèmes sont, en théorie, au centre du programme de gouvernement imposé par l’extérieur (le «mémorandum»), mais de façon à rendre les réformes nécessaires plus difficiles, voire impossibles.

Car les structures (administration et système de santé et de fiscalité en premier lieu) ne sont pas réformables en quelques moi, par ordonnances et par le biais de méthodes simplistes et non adaptées à la réalité du pays (licencier, s’attaquer principalement au prix des médicaments, menacer d’augmenter les peines pour corruption). Se tromper de méthode s’avère pire que de se tromper d’objectif. Dans la même veine, les coupes dites «horizontales» (touchant tout le monde de la même manière, ce qui est le contraire de l’équité) des salaires, des pensions et des prestations sociales, au lieu «d’économiser», épuisent l’économie réelle, puisqu’on ne peut pas la faire redémarrer sans pouvoir d’achat, sans espoir ni sans perspectives. Plus on serre la vis, moins on se désendette et plus on s’enfonce dans la récession. Ce qui pose un grave problème, non seulement du point de vue économique, mais aussi moral, puisque les sacrifices consentis pour de si maigres résultats sont énormes.

La deuxième impasse, plus récente, est politique. A cause des manquements dans la gestion de la crise, mais aussi de la quasi-assimilation des deux partis qui ont gouverné la Grèce depuis la chute de la dictature en 1974 (les socialistes ayant négocié et accepté le mémorandum et la droite, après un temps d’opposition verbale, s’y étant ralliée) la tentation du «non» était plus que prévisible. Elle s’est exprimée, de façon diffuse mais pas confuse, dans les urnes du 6 mai : les divers partis opposés au mémorandum et à la politique qui en découle ont obtenu plus que la moitié des suffrages et le parti de la gauche radicale, qui s’était le plus distingué dans la contestation sociale, est devenu la deuxième force politique du pays, sans laquelle aucune solution n’est désormais possible. Malheureusement, ce même parti est exclusivement un parti d’opposition et non de proposition, qui ne peut fonctionner qu’en restant flou et antisystème, ce que lui impose une stratégie d’esquive permanente. Il ne veut, légitimement, pas laisser gouverner ceux qui ont été discrédités par les urnes, mais il ne veut pas non plus prendre sa part dans l’exercice d’un «autre» pouvoir. L’impasse est totale, puisqu’on s’achemine vers des nouvelles élections qui donneront probablement le même résultat. Et pendant ce temps-là, la crise s’aggrave et les partenaires de la Grèce s’éloignent.

Le troisième cercle vicieux, le plus structurel, est européen. Car ces partenaires-là, ont choisi l’orthodoxie à la place de la politique, le statu quo au moment où il fallait réinventer l’Union européenne. L’Europe a, pour le moment, sauvé la Grèce en lui prêtant beaucoup d’argent, mais elle lui a peut-être barré, comme à elle-même d’ailleurs, la porte du renouveau. Il ne s’agit pas de «mutualiser» quoi que ce soit, et surtout pas la dette ; il s’agit de fédérer dans les moments les plus difficiles, et, osons le mot, «fédéraliser», construire une Europe de solidarité et de projet commun.

Sous ces conditions, comment la Grèce peut-elle s’en sortir ? Par plus de croissance : la cure prescrite lui en ôte les moyens. Par une entente politique : mais l’intérêt des partis prime sur l’intérêt général, qui n’est, par ailleurs, jamais clairement défini. Par une autre Europe : mais ceux qui devraient la faire ne sont pas décidés à s’y aventurer. Cela pourrait s’appeler un nœud gordien. Sauf qu’il n’y pas d’Alexandre à l’horizon.

 

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Syriza ou le moment de changer l’Europe
Par CÉDRIC DURAND Maître de conférences en économie à Paris-XIII, RAZMIG KEUCHEYAN Maître de conférences en sociologie à Paris-4

Le succès remporté par Syriza lors des législatives grecques du 6 mai est un événement pour toute l’Europe. Arrivée en deuxième position, cette formation de la gauche radicale est désormais la principale force d’opposition aux politiques de la «troïka» (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) relayées par les partis du centre, gauche et droite réunies. Dans un pays en décomposition accélérée, où s’étend l’ombre délirante des néonazis, elle incarne la seule lueur d’espoir. Face à la dégénérescence de l’Europe néolibérale, c’est par Athènes que passe aujourd’hui l’alternative.

Sociale, antiraciste, écologiste, Syriza et son jeune leader, Alexis Tsipras, représentent une nouvelle gauche radicale dont l’identité s’est forgée dans le creuset altermondialiste. Fille du mouvement ouvrier né au XIXe siècle et des mouvements sociaux apparus au lendemain de 1968, elle constitue une synthèse politique inédite.

Cette nouvelle gauche radicale est celle des travailleurs mais aussi des dépossédés. L’anticapitalisme qu’elle promeut ne se limite pas à l’antagonisme capital-travail. Comme l’a montré David Harvey dans son ouvrage récemment publié en français, le Nouvel Impérialisme, le capitalisme ne repose pas seulement sur l’exploitation des salariés. Il procède aussi par la dépossession des populations. Privatisations, réduction des droits sociaux, marchandisation de la nature, fiscalité antiredistributive, prolétarisation de gigantesques masses rurales sont autant de modalités extra-économiques permettant de générer du profit lorsque la machine productive s’enraye. La dépossession est ainsi reconnue pour ce qu’elle est : un pivot de la lutte des classes tout aussi essentiel que l’exploitation salariale.

Cette nouvelle sensibilité politique a appris à articuler la diversité lors des forums sociaux et contre-sommets altermondialistes. La dépossession capitaliste affecte des populations hétérogènes. Si la déforestation et le crédit impôt recherche ont tous deux pour fonction de soutenir la rentabilité du capital, l’alliance politique des paysans expropriés et des universitaires ne va pas de soi. La lutte contre la dépossession, son articulation avec les mouvements ouvriers, féministe et antiraciste implique en ce sens de fédérer des incommensurables : nul axe ne peut être subordonné à un autre et tous participent de la résistance à la logique du système. La construction d’un projet politique commun suppose de penser l’articulation de ces combats.

Pour autant, cette nouvelle gauche radicale n’est pas une simple addition de mouvements, elle propose une stratégie pour l’émancipation. Résolument politique, elle sait que la conquête de l’Etat est un élément décisif pour engager un processus de transformation social. Mais elle sait aussi que cette conquête sera impuissante si elle n’est pas portée par des mobilisations populaires de grande ampleur. Les idées ne font leur chemin que lorsque des forces sociales les poussent.

A tous égards, Syriza vient de nous donner une leçon. Intransigeante sur l’essentiel - le refus de l’austérité - mais ne récusant pas la discussion, elle vient de renvoyer la social-démocratie grecque, le Pasok, à sa préférence pour une alliance avec la droite, tout en engageant un dialogue avec les syndicats et les mouvements sociaux pour expliquer sa démarche. Sa montée en puissance lors d’un éventuel nouveau scrutin le mois prochain est inéluctable.

Face à l’extrême droite, à la tentation du recours militaire ou à une intervention antidémocratique supplémentaire de l’Union européenne, la solidarité avec le peuple grec est une nécessité impérieuse. En France, l’appui du Front de gauche est acquis, mais qu’en est-il de l’attitude du nouveau pouvoir socialiste ? Les décisions de François Hollande dans les semaines à venir vont non seulement marquer sa présidence, mais sceller le sort de la social-démocratie à l’échelle du continent.

François Hollande va-t-il considérer, comme l’ont réaffirmé Angela Merkel et Jörg Asmussen de la BCE qu’«il n’y a pas d’alternative» aux réformes exigées par la troïka ? Il n’y aurait dès lors que deux solutions : soit donner un blanc-seing à une solution autoritaire qui officialiserait le rabaissement de la souveraineté de la Grèce à celle d’un protectorat, soit expulser le pays de l’euro, donnant le coup d’envoi de la dislocation géopolitique du continent.

Va-t-il au contraire entamer, comme Syriza l’y invite, un processus de relégitimation de l’Europe en subordonnant les formes de l’intégration économique à la réalisation d’objectifs de convergence sociale et de transformation écologique ? Un tel engagement impose de rompre le consensus avec la droite européenne et d’assumer une crise politique au sommet. Se pourrait-il que le soutien à la gauche radicale grecque devienne, pour les nouvelles générations, ce que le soutien au Vietnam fut pour la génération 68, à savoir un puissant levier de mobilisation à l’échelle globale ?

 soluptopontikifr

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Information qui n'a rien à voir : (mais rappellons aux étourdis que le premier "sinistre", pardon :-) ministre, de la France, désigné à l'instant, est député-maire de la ville de Nantes, ville point de départ de l'Appel "Par solidarité, je suis grec aussi".)

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