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Le blog de Lucien PONS

Italie: Beppe Grillo, l'empêcheur de voter en rond. La rédaction de Médiapart.

21 Février 2013 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Europe supranationale

Italie: Beppe Grillo, l'empêcheur de voter en rond

Lombardie, de notre envoyé spécial Thomas Chabolle

« Mais c’est merveilleux, je n’aurais jamais cru qu’il y aurait autant de monde à Sondrio ! » Comme chaque soir depuis le début du « Tsunami Tour », la place est noire de monde. Beppe Grillo, emmitouflé dans son pardessus, bondit sur l’estrade installée aux pieds de la statue de Garibaldi. Tandis que le soleil disparaît derrière les montagnes, un vent glacial se lève et balaye la place de cette commune de 22 000 habitants, en Lombardie, à une centaine de kilomètres au nord de Milan.

L’humoriste est accueilli sous les applaudissements, acclamé comme le messie : « Merci Beppe », « Bravo Beppe », « Beppe, sauve-nous ! ». Les habitants de Sondrio n’ont vu aucun autre leader politique national au cours de la campagne prendre la peine de venir jusque-là. Ils les ont vus monopoliser les studios télévisés, transpirer sous les projecteurs mais déserter le terrain.

Ci-dessous, des images du début de son meeting à Sondrio :

 

Pour la première fois dans l’histoire récente, l’Italie vote en février, en plein hiver. Quand les autres partis, trop frileux, choisissent d’organiser leurs meetings dans des salles chauffées, aux places limitées, Beppe Grillo lui refuse de s’enfermer. Il fait froid ? Qu’à cela ne tienne, à peine monté sur scène, il enflamme tout et fait fondre la glace entre la politique et le citoyen.

Depuis des années, l’humoriste secoue le cocotier de la vieille politique italienne. Critiqué, vilipendé, dénoncé tant par la droite que par la gauche, considéré comme un dangereux populiste, celui qui a fondé le Mouvement 5 étoiles parcourt l’Italie depuis plus d’un mois à bord de son camping-car « prêté par des amis », bravant le froid piquant, la pluie, parfois la neige, les avalanches de critiques et l’indifférence des médias. À chaque étape de son « Tsunami tour », les places sont pourtant toujours plus noires de monde. À Turin, 70 000 personnes ont assisté à son show place Royale, à Milan, ils étaient près de 100 000 ! Dario Fo, l'écrivain et dramaturge d'ordinaire soutien de la gauche classique, est cette fois monté sur scène pour clamer son soutien.

Et voilà Grillo qui brouille une fois de plus le jeu électoral. Crédité de 16 à 18 % des intentions de vote dans les tout derniers sondages publiés le 9 février, son Mouvement 5 étoiles s’installe à la troisième place ! Le résultat des élections des 24 et 25 février sera-t-il identique ? Si oui, le bouleversement serait immense.

« Je ne sais pas comment ça va finir, mais je vois déjà que vous avez un regard différent. Tout cela se transforme en quelque chose à quoi je ne croyais pas », confie-t-il en hurlant à la foule présente devant lui et à tout le « Popolo della rete » – peuple d’internet – qui suit le meeting en direct sur internet. Car son blog (à consulter ici) est devenu l'un des plus visités. « Partout où je vais les gens demandent des solutions à des problèmes que les politiques ont créés eux-mêmes », lance Beppe Grillo en gesticulant dans tous les sens, l’air toujours aussi scandalisé.

Beppe Grillo, en gladiateur du peuple.Beppe Grillo, en gladiateur du peuple.© (dr)

Sur la place, Giorgio Libera, 63 ans, ne perd pas un mot du discours de celui qu'une bonne partie de la presse décrit comme « un petit homme excité », « un grassouillet », « un personnage détestable », « un populiste », « un danger ». Giorgio ne laisse transparaître aucune émotion particulière, mais il explique qu’il trouve que « le discours de Beppe Grillo est crédible ». « On en a tous marre, dit-il. Les candidats racontent tous n’importe quoi. Ils veulent juste être élus pour prendre un fauteuil au Parlement, mais ils ne font rien pour le peuple. » Avant Giorgio votait pour le Parti démocrate (PD), au centre gauche. Il ne veut plus en entendre parler

 

Un slogan : « Nul ne doit rester en retrait »

Patrizia Zanotta, elle, votait « à droite ». Mais elle ne dit pas quelle droite : celle de Berlusconi ou celle, extrême, de la Ligue du Nord, très implantée dans la basse vallée lombarde ? Cette entrepreneuse de 43 ans n’a plus aucun doute, ni aucun complexe : elle votera pour le Mouvement 5 étoiles. « Je me suis informée, je suis allée sur le site, j’ai lu les programmes et je trouve que les propositions qu’ils font concernant les PME sont celles dont les entreprises ont besoin. »

Dans ce Nord de l'Italie, les petites et moyennes entreprises, terreau de la richesse et de la puissance économique, accusent en effet particulièrement le coup de la crise. En proie aux usuriers ou aux huissiers, nombreux sont les entrepreneurs qui se retrouvent dans l’impasse en pleine crise, certains décidant même de mettre fin à leurs jours. « On a entendu trop de promesses non tenues de la part de la vieille classe politique, qui a échoué à résoudre les problèmes », proteste Patrizia.

Or c'est au Sud du pays, en Sicile, qu'une tout autre histoire s'est écrite : les élus du Mouvement 5 étoiles à la région ont tenu leurs promesses et montré l’exemple. Chaque mois, ils versent plus de la moitié de leur salaire mirobolant de conseiller régional dans une caisse servant à faire du micro-crédit pour les entreprises. Et ça marche. Pour l’instant. L’œil de « la rete » – la communauté sur internet – surveille de près les comptes et les déclarations des élus. Il s'agit là d'une transparence révolutionnaire alors que les scandales de corruption et de détournement de fonds publics éclatent à la chaîne depuis le début de la campagne.

Clip de campagne du Mouvement 5 étoiles « un revenu de citoyenneté », le volet économique et social :

 

« Le pays a besoin de nouveaux visages et de nouvelles propositions, les 24 et 25 février, ce sera un vote de révolte qui fera changer l’Italie », prévient Patrizia. En suivant Beppe Grillo dans son « tsunami tour », en observant les immenses foules de ses supporters, on voit que ces nouveaux visages n’ont rien du profil « salles d’attente du dentiste », ou « caisses de supermarché », caricaturés par les médias et les adversaires de gauche et de droite. Comme Giorgio ou Patrizia, ces visages sont ceux d’adultes responsables et informés, inquiets pour l’avenir et non pas ceux d’une bande de beatniks idéalistes, de « communistes », ajouterait Silvio Berlusconi. 

« J’ai entendu que si seuls les 18-23 ans allaient voter, le mouvement gagnerait les élections », s’enthousiasme Cristian, jeune étudiant « bien sous tous rapports ». Pour son premier vote aux législatives, il sait déjà qu’il va voter #M5S – abréviation utilisée comme hashtag sur Twitter. « Je pense que c’est la seule force politique en mesure de représenter les jeunes en Italie. Il apporte un peu de révolution, alors que tout est devenu répugnant, dit-il en grimaçant. Pour nous les jeunes, il n’y a aucun espoir en ce moment. Si tu n’étudies pas à l’université, tu es presque sûr de ne pas trouver de travail, mais en sortant de l’université si tu veux travailler à hauteur de tes compétences, tu es obligé d’aller à l’étranger. »

Cristian explique d’ailleurs qu’il a lu que le Mouvement 5 étoiles était en tête dans les sondages pour le vote des Italiens de l’étranger. « Moi, je n’ai le droit de vote que depuis deux ans, précise-t-il. A priori, j’aurais voté au centre gauche, même si je trouve que sur les questions économiques, le centre droit est plus crédible, sauf que les idéaux de la droite sont en décalage total avec la situation actuelle. »

À écouter les déclarations des candidats du Mouvement 5 étoiles aux élections régionales ou législatives, il apparaît clairement que ce rassemblement se situe à gauche. Parmi les slogans du mouvement – qui refuse l’étiquette de parti politique et les remboursements électoraux qui en découleraient –, le plus rassembleur est sans doute « nessuno deve rimanere indietro », « Nul ne doit rester en retrait ».

Cette inspiration de gauche sert aux adversaires de droite – Silvio Berlusconi en tête – pour diaboliser le mouvement. Sauf que, comme le reconnaît Denis Ferro, candidat du M5S sur la liste des régionales en Lombardie, ces derniers temps « affluent de plus en plus d’anciens sympathisants de droite, même des électeurs de la Ligue du Nord ». De larges sympathies qui valent au M5S d’être dénoncé de plus en plus fortement par la gauche. « Le Mouvement 5 étoiles est un mouvement de citoyens. Nous défendons des idées, pas des idéologies », se défend le jeune candidat, pourtant issu d’une « culture de gauche ».

 

La fin de l'impunité et du bunga bunga

Fustigés pour ces liaisons dangereuses, les candidats à la députation ou à des postes de conseillers régionaux du M5S le sont également pour leur « inexpérience politique » qui pourrait représenter « un danger pour le fonctionnement des institutions ». « En revanche, les poupées sans cervelle, les bourrins dégoûtants qui ont acheté leurs diplômes et les mafieux qui ont été élus sur les listes de Berlusconi, dont nous payons les salaires et les retraites, sont compétents selon vous ? » rétorque un observateur de la vie politique italienne. Face à une classe politique qui s’est largement servie dans les poches des citoyens – en témoignent les scandales en série éclaboussant la région Lazio et la région Lombardie par exemple –, le Mouvement 5 étoiles veut sonner le glas de l’ère de l’impunité et du bunga bunga.

Un clip de campagne du Mouvement 5 étoiles contre la professionnalisation de la vie politique, la corruption et les scandales :

 

En pleine crise, l’heure est au « bon sens » et à la « sobriété ». Federica Daga, tête de liste Lazio 1 pour la chambre des députés, a désormais 99 % de chance de siéger au Parlement au lendemain du scrutin. De longs cheveux bruns rassemblés en queue de cheval, veste claire, jeans et chaussures plates un peu râpées, elle n’a pas l’intention de changer un seul détail de son look le jour où elle devra passer les portes de Montecitorio. Les hommes seront eux contraints, protocole oblige, de porter au moins chemise et cravate. Mais pas question de se faire appeler « Onorevole », titre honorifique pour s’adresser aux députés. Non, les élus du Mouvement 5 étoiles seront de simples « citoyens ». Ils s’y sont engagés.

Beppe Grillo ne sera pas non plus le « despote » souvent décrit. D’ailleurs, le fondateur du Mouvement 5 étoiles n’est pas candidat à ces élections. Il ne se présente ni sur les listes parlementaires, ni sur les listes régionales, ni à la présidence du Conseil. Déroutant pour les commentateurs politiques et pour ses adversaires. Si le Mouvement 5 étoiles devait remporter les élections, nul ne sait qui le président de la République choisirait pour assurer la direction du gouvernement.

« Beppe Grillo, c’est un porte-voix pour le mouvement », explique Fabio Massimo Castaldo, candidat à la région Lazio. Pour Federica Daga, « Beppe Grillo, c’est un ami, un homme qui fait partie du mouvement et qui, comme nous, étudie la situation locale, nationale, globale, essayant de chercher des solutions ». Vu son succès populaire, vu l’enthousiasme sur les places de l’Italie du Nord au Sud, Beppe Grillo a un programme jugé crédible et qui porte. « Le Mouvement n’invente pas ces solutions mais il les trouve dans les territoires, dans les groupes, les comités, les associations qui connaissent et agissent sur des problèmes concrets », explique la jeune candidate à l’assemblée.

Parmi les propositions avancées, celle de l’instauration d’un « revenu de citoyenneté », un revenu minimum garanti par l’État en cas de licenciement ou de difficultés à trouver un emploi pour les jeunes – équivalent du RSA français, qui n’existe pas en Italie. Beppe Grillo et les siens veulent aussi internet gratuit pour tous et que la priorité soit donnée aux énergies renouvelables dans tous les cas. Ils promettent l’abaissement des coûts de la politique et la réduction du nombre de parlementaires, la suppression des financements publics à la presse…

Pour tenir ses troupes, le fondateur du mouvement de citoyens a néanmoins imposé des règles de conduite à ses candidats et interdit notamment toute alliance avec quelque parti que ce soit après les élections. « Je pense tout simplement la même chose, je ne le considère pas comme un ordre de Beppe Grillo », précise Federica Daga.

Appel au meeting de Rome, le 22 février.Appel au meeting de Rome, le 22 février.

L’après élections reste une grande inconnue, mais déjà les « grillini » frétillent à l’approche du dernier meeting du « tsunami tour » à Rome, le 22 février, piazza San Giovanni. Objectif : rassembler un million de personnes pour un méga-show mêlant humour et politique, musique rap et quolibets, cris de rage et éclats de rire.

« Les Italiens blaguent un peu en permanence, c’est pour ça que Beppe Grillo a réussi à impliquer autant de monde dans le mouvement parce qu’il a combiné ces deux choses : l’humour et la dénonciation des scandales », assure Selena Caputo, 32 ans, candidate pour la région Latium. Pour Grillo et son équipe, le pari est déjà gagné. Selon eux, lundi 25 février, ceux qui ont moqué le mouvement et l’ont ignoré en ricanant risquent de perdre subitement tout sens de l’humour à l’heure du dépouillement du vote.

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