«On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens.»
Cette affirmation du cardinal de Retz ne s’est jamais aussi bien appliquée qu’au magnifique pataquès sur les engagements français vis-à-vis de Bruxelles.
L’Elysée avait habilement entretenu l’espoir au sein de la majorité de renégocier avec Bruxelles au moins le «rythme» de la réduction de son déficit public. Les députés ont eu d’autant plus envie d’y croire qu’ils l’avaient longtemps espéré.
Avec l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, la petite musique subliminale a pris un peu plus de consistance. La France allait «discuter» avec Bruxelles, promettait même Michel Sapin, le tout nouveau ministre des Finances.
Sauf que pas du tout. Il n’y aura finalement ni inflexion, ni changement de rythme, ni modification de calendrier. Non pas parce que Bruxelles aurait dit niet aux revendications de Paris, mais tout simplement parce que l’Elysée a renoncé à ses requêtes, de peur de se voir infliger une fin de non-recevoir.
«Coups de sonde».«La France n’a jamais demandé formellement un report, donc nous n’avons pas eu à lui répondre formellement négativement», ironise un haut fonctionnaire européen.
Selon nos informations, la réunion qui a eu lieu jeudi à Bruxelles entre Emmanuel Macron, le secrétaire général adjoint de l’Elysée, Philippe Léglise-Costa, le conseiller Europe du chef de l’Etat, et Johannes Leitenberger, le chef de cabinet de José Manuel Barrosou, le président de la Commission, n’a absolument pas porté sur la question du délai (contrairement à ce qu'affirmait Le Figaro du 15 avril) :«Il s’agissait d’une réunion comme nous en avons régulièrement, au cours de laquelle nous avons présenté nos réformes, en particulier le "pacte de responsabilité", et les économies que nous allons faire pour rentrer dans les clous, un effort exigeant, mais tout à fait supportable», raconte un proche du chef de l’Etat.
Une version confirmée par Bruxelles.
Après deux reports successifs, Paris avait promis de revenir sous la barre des 3% de déficit public en 2015, contre 4,3% en 2013. Une pente pour le moins abrupte, pour ne pas dire impossible à tenir.
Alors, pour se donner un peu d’air, l’Elysée a longtemps espéré arracher un peu de mou dans ce calendrier. «Il y a eu des coups de sonde, mais qui ne datent pas du gouvernement Valls, confirme un diplomate européen. Jean-Marc Ayrault et Pierre Moscovici avaient déjà tâté le terrain à la suite des déclarations de Matteo Renzi, le Premier ministre italien, qui a demandé davantage de souplesse.»
L’Elysée ne renonce pas pour autant. C’est ce que laisse entendre François Hollande lors de son allocution télévisée du 31 mars, prononcée le lendemain de la claque des municipales. «Le gouvernement aura aussi à convaincre l’Europe que la contribution de la France à la compétitivité et à la croissance doit être prise en compte dans le respect de ses engagements.»
Certes, le chef de l’Etat ne parle pas de«renégociation» du calendrier, mais la majorité le comprend comme ça. D’autant que le fidèle Michel Sapin, tout nouvellement nommé, déclare trois jours plus tard vouloir «discuter» avec Bruxelles le «rythme» de réduction des déficits.
Mais les retours de Berlin et de Bruxelles ne sont pas bons : il n’y aura pas de négociation possible.
Un diplomate européen confie : «Si Paris avait voulu demander un délai, il se serait heurté à un mur. Si on a accordé à la France un report de deux ans supplémentaires, c’était parce que la conjoncture était mauvaise. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : la croissance est de retour et il n’y a vraiment aucune raison que la France, seul pays de la zone euro à ne pas être sous les 3%, ne fasse pas les efforts promis.»
Lors de son discours de politique générale, le 8 avril, Manuel Valls entretient à la fois le flou et l’espoir dans les rangs socialistes. «Je suis pour le respect de nos engagements pour le sérieux budgétaire, pas pour l’austérité… Ce nécessaire équilibre, nous allons l’expliquer à nos partenaires européens», déclare le nouveau Premier ministre.
Chacun veut entendre ce qu’il espère. Mais deux jours plus tard, depuis Washington, Michel Sapin déclare que «l’objectif dit des 3% [en 2015, ndlr]est un objectif que nous devons maintenir».
Et aujourd’hui, l’Elysée se donne le beau rôle en assurant que «demander un report, ça n’est pas le sujet, tout simplement parce que ça serait donner le sentiment à nos partenaires que nous ne sommes pas capables de tenir nos engagements et, sur le plan intérieur, que la France agit sous contrainte européenne».
Trop tard.
Photo: Reuters
N.B.: aricle paru dans Libération du 16 avril et cosigné avec Grégoire Biseau