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Le blog de Lucien PONS

L’autre Allemagne » de Joachim Gauck. Le blog de Descartes.

6 Septembre 2013 , Rédigé par lucien-pons Publié dans #Histoire

Publié le 4 Septembre 2013 par Descartes  

Ces dernières années, il est devenu de bon ton d’inviter des dirigeants allemands à accompagner nos autorités à nos célébrations publiques. On peut longuement débattre sur ce qu’on peut tirer de la vue des soldats de al Wehrmacht – pardon, de la Bundeswehr – défilant le 14 juillet sur le pavé parisien. Mais là où cela devient indécent, c’est lorsqu’on invite des dirigeants allemands a assister à ces commémorations liées aux deux guerres mondiales.

 

A ce propos, il n’est pas inutile de rappeler que dans ces affairs ce sont les allemands, et pas nous, qui ont quelque chose à se faire pardonner. Ce serait donc à eux, s’ils veulent venir, de solliciter humblement la possibilité d’y participer, ce n’est certainement pas à nous d’en prendre l’initiative. Ces invitations ont d’ailleurs un côté indécent : je peux éventuellement pardonner l’homme qui a tué mon père, mais je ne l’inviterai certainement pas à se recueillir avec moi sur sa tombe. Pardonner, pourquoi pas. Mais le pardon n’efface pas la faute, et la présence d’un dirigeant allemand à Oradour est pour moi une insulte aux victimes. Joachim Gauck aurait du le comprendre et refuser poliment l’invitation : si son but est d’exprimer le repentir de la nation allemande – un repentir dont je doute personnellement qu’il soit très partagé, mais cela est une autre histoire – répondre « non somus dignus » aurait eu bien plus de gueule. L’utilisation de ces tragiques évènements aux fins de « com » et de propagande pour la « construction européenne » est pour moi totalement inacceptable.

 

Mais la manière dont Joachim Gauck, président de la République fédérale d’Allemagne qui doit accompagner François Hollande sur le site d’Oradour sur Glane, explique le but de sa visite ajoute l’insulte à l’injure. Voici ses propres termes, s’adressant au président français : « Vous avez bien voulu que je sois à vos côtés à Oradour pour qu’on se souvienne ce que des Allemands d’une autre Allemagne ont commis comme atrocités ». Et il ajoute, s’adressant cette fois-ci aux survivants et aux familles des victimes: « je n’hésiterai pas, en pleine conscience politique, à dire que cette Allemagne que j’ai l’honneur de représenter est une Allemagne différente de celle qui hante leurs souvenirs ». Résumons donc : l’Allemagne dont les soldats de la division « Das Reich » ont assassiné collectivement 642 civils dont plus de 200 enfants le 10 juin 1944 dans des conditions horribles – après avoir assassiné 99 personnes à Tulle quelques jours plus tôt – est un « autre Allemagne », tout à fait « différente » de celle qui hante nos souvenirs.

 

Je me demande si Joachim Gauck a déjà entendu parler d’un certain Lammerding. Et c’est fort dommage, car ce n’est pas n’importe qui. Né à Dortmund en 1905, adhérent au parti Nazi depuis 1931, entré en 1935 à la SS, il gravira tous les échelons jusqu’à sa promotion au grade fort élevé de SS-Brigadenführer (général de brigade) et accessoirement « lieutenant-général de la Waffen SS » en 1944. Il doit cette promotion à sa fidélité personnelle à Himmler et à ses exploits sur le front de l’Est, particulièrement dans la politique d’exécution de civils et de destruction de villages pour combattre les partisans. En 1944, il commandera la division « Das Reich » qui s’illustrera par des actes de barbarie similaires à Tulle et Oradour-sur-Glane. Il fera d’ailleurs partie du dernier carré de fidèles, commandant la division « Nibelungen », la dernière à se battre pour son Führer dans les ruines de Berlin…

 

Ca, me direz vous, c’était « l’autre Allemagne ». Mais qu’est devenu Lammerding dans la nouvelle Allemagne, celle dont Gauck nous explique qu’elle est « différente » ? Et bien, Lammerding sera jugé sous l’inculpation de crime de guerre pour les massacres de Tulle et d’Oradour, est sera condamné à mort par contumace par le tribunal de Bordeaux en 1949. Cette condamnation ne changera guère sa situation. L’Allemagne fédérale ne donnera jamais aucune suite aux demandes répétées d’extradition venues de la France. Lammerding n’aura même pas besoin de se cacher ou de changer d’identité. Il s’offrira même le luxe de proclamer en 1962 et sur procès verbal qu’il ne ressent aucune culpabilité et de faire un procès à un journaliste qui avait eu l’outrecuidance de penser autrement et de le dire. Il poursuivra une juteuse carrière d’ingénieur jusqu’à sa retraite, et décédera d’un cancer en 1971 entouré d’une famille aimante et de nombreux amis. A ses obsèques, qui réuniront le ban et l’arrière ban des anciens des SS, personne n’aura le mauvais goût d’évoquer les hommes pendus de Tulle ou les femmes et les enfants carbonisés dans l’église d’Oradour sur Glane.

 

On peut donc se demander si la « nouvelle Allemagne » que Gauck est si fier de présider a vraiment tourné le dos aux fantômes de « l’autre Allemagne ». Si Joachim Gauck veut nous rassurer, au lieu de déverser les poncifs habituels sur l’indéfectible amitié franco-allemande et sur la barbarie d’une « autre Allemagne » qui n’est plus, il pourrait peut-être nous expliquer pourquoi la nouvelle Allemagne, celle « qu’il a l’honneur de présider » a permis à des gens comme Lammerding – et bien d’autres, parce que Lammerding n’est qu’une goutte d’eau dans la mer – de mener des vies heureuses et tranquilles sous sa protection (1). Et pourquoi cette Allemagne ne se décide finalement à poursuivre timidement quelques anciens nazis qu’après avoir attendu qu’ils soient morts ou grabataires, pour les libérer ensuite rapidement « pour raison de santé ».

 

Non, monsieur le président Gauck. L’Allemagne que vous présidez n’est pas une « autre Allemagne », et l’histoire ne se découpe pas en tranches. On ne peut pas prendre la période nazi, la mettre dans un coffre fermé à double tour, jeter la clé à la mer et faire comme si elle n’avait aucun rapport avec vous. Les allemands vivants, c’est entendu, n’ont pas à être tenus pour responsables de ce qu’on fait les allemands morts, et il serait injuste de leur reprocher leurs crimes. Mais les allemands vivants sont tout de même responsables de ce qu’ils ont eux-mêmes fait. L’Allemagne de Gauck n’est pas coupable d’avoir massacré les habitants d’Oradour, mais elle est coupable d’avoir laissé des gens comme Lammerding impunis. Et les dirigeants de l’Allemagne qui a permis et toléré ce déni de justice devraient avoir la décence de ne pas mettre les pieds à Oradour.

 

PS: Depuis que j'ai écrit cet article, la visite a eu lieu et j'ai pris connaissance du discours du président Gauck à Oradour. En le lisant, je me suis dit que j'avais peut-être été trop sévère à son égard. Après tout, il faut lui reconnaître d'avoir répondu en partie à mon objection en déclarant, s'adressant aux familles des victimes, "Je partage votre amertume par rapport au fait que des assassins n'ont pas eu à rendre des comptes ; votre amertume est la mienne, je l'emporte avec moi en Allemagne, et je ne resterai pas muet". Ce sont des fortes paroles, dont il faudra juger la sincérité à l'aune de ce que Joachim Gauck dira publiquement une fois rentré dans son pays. Mais je ne peux que me demander comment Gauck peut d'un côte proclamer la fierté de présider une "autre Allemagne" tout en ressentant l'amertume qu'elle ait laissé impunis les crimes de l'ancienne...

 

Descartes

http://descartes.over-blog.fr/«-l’autre-allemagne-»-de-joachim-gauck

 

(1) Heinz Barth, un autre participant au massacre d’Oradour sur Glane, avait lui été obligé de vivre caché en RDA. Il avait finalement été démasqué, condamné et emprisonné par en 1983. Il sera libéré par la « nouvelle Allemagne » après la réunification en 1997 « pour raison médicale », et vivra libre les dix dernières années de sa vie. Je laisse le lecteur tirer ses propres conclusions.

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