L’endettement perpétuel, l’arme de choix de l’élite financière
Dans les dernières années les citoyens de nombreux pays industrialisés, de la Grèce à la Grande-Bretagne en passant par les États-Unis, sont soumis à des mesures d’austérité draconiennes afin, dit-on, de lutter contre la dette étatique. Après avoir ravagé les pays en développement dans les années 1980 lors de la crise de la dette sous la forme d’ajustements structurels, les conséquences du néolibéralisme se font maintenant sentir dans les pays dits « riches ».
Mais qu’est qu’une dette? Et d’où provient cet endettement qui ravage des économies entières? Quels en sont les mécanismes? Dans quelle dynamique et dans quelle logique s’inscrit-il? Les médias posent rarement ces questions fondamentales qui sont les seules à pouvoir nous sortir de cette spirale infernale de la surconsommation et de la surproduction.
Dans la foulée de la révolte populaire printanière au Québec, menée par le mouvement étudiant opposé à la hausse des droits de scolarité, le Collectif Dissensus a présenté le 21 août dernier, dans le cadre de l’Université populaire de Parc-Extension, Créditeur/Débiteur : La guerre. Et si la dette était la clé pour « tout » comprendre? Dissensus s’oppose à « l’élargissement du recours au marché dans l’organisation de la société et au détournement des richesses collectives au profit d’intérêts privés ».
Cette présentation a exposé une vision globale de ce que signifie cette forme moderne d’endettement, rejeton du capitalisme financiarisé, d’où elle vient et comment elle conduit invariablement à la faillite économique et morale des États et des individus. Mondialisation.ca vous offre un résumé des présentations en trois volets, un pour chacun des conférenciers : Maxime Ouellet, Louis Gaudreau et Éric Martin.
Partie 1 – Maxime Ouellet*
« La dévalorisation du monde humain va de pair avec la mise en valeur du monde matériel. » Karl Marx, Manuscrits de 1844, cité par Maxime Ouellet dans La fabrique du consommateur endetté
Le rapport créancier-débiteur est un rapport de domination présenté comme un rapport d’émancipation : la vente du crédit se fait par une rhétorique de liberté. « La liberté n’a pas d’âge », nous disait une pub de Visa.
Ce rapport est plus violent et plus brutal que celui du capitalisme antérieur, car il nous replonge dans un système féodal, dans une sorte de péonage, c’est-à-dire un droit non écrit attachant le travailleur à la propriété sur laquelle il travaille, en l’obligeant à s’endetter.
Pour comprendre ce rapport, il faut d’abord comprendre ce qu’est une dette. La dette est le fondement du bien social. Dans les sociétés primitives, la dette est une forme de crédit. Avant d’être une dette économique elle est une dette de sens : on doit la vie aux générations antérieures, il s’agit d’une dette symbolique.
Ce rapport a été naturalisé en normalisant l’endettement chez les classes populaires. Au début et vers la moitié du 20e siècle, les grands capitalistes, les « capitaines conscience » ont compris qu’ils devaient intervenir dans la culture afin d’assurer la continuité du capitalisme : ils devaient susciter le désir de la consommation, une idéologie à l’opposé de la vision de Weber, axée sur l’épargne. Cela a donné naissance à de nouvelles disciplines comme le marketing.
Après la Seconde Guerre mondiale le crédit a été généralisé et on a recouru massivement à l’endettement. À l’époque les règles ne permettaient pas de s’endetter facilement et les gens s’endettaient uniquement pour de gros achats, comme celui d’une maison. On n’avait peu ou pas recours à l’endettement privé.
Dans la dynamique actuelle, une crise survient lorsqu’il y a décrochage entre la surproduction et la surconsommation et pour arrimer la surproduction à la surconsommation, on fait appel au crédit. L’endettement des ménages est essentiel à cette logique.
Les banques ont joué un rôle central dans cette dynamique. Dans les années 1980-1990 la principale source de profit des banques est devenue l’endettement des ménages. Le but de cette opération : faire que l’individu soit incapable de payer le solde complet de sa carte de crédit pour que les banques perçoivent des intérêts. C’est pourquoi on a facilité l’accès au crédit. L’intégration des personnes à faible revenu dans ce système a permis aux États-Unis de maintenir la surconsommation de la population.
Par ailleurs, la consommation devient souvent ostentatoire. Il y a un impératif de consommer à la seule fin de montrer que l’on consomme.
Ce rapport créditeur-débiteur s’arrime sur les anciens rapports de domination, dont celui que le salarié entretient avec le travail et son intégration dans la société. L’immobilier est l’État providence de remplacement : le filet social étatique est remplacé par l’augmentation de la valeur de l’actif financier, la maison, et cela transforme le rapport de l’individu à l’habitation.
La transformation est fondamentale : on passe de la relation capital-travail à une relation crédit-débit. Aujourd’hui, le rôle du travail consiste à donner aux ménages la capacité d’obtenir du crédit. On vise un salaire qui nous permettra à son tour d’obtenir la crédibilité financière qui nous donnera accès au crédit. Il s’agit donc d’une forme de féodalisme : on doit à l’avance une rente au capital.
Avec la titrisation, qui consiste à transformer une créance, comme une hypothèque, en titre financier échangeable sur les marchés financiers et sur lesquels on peut spéculer, on transfert le risque social vers les individus. On l’a bien vu lors de la crise des subprimes (prêts hypothécaires à risque) aux États-Unis, où les gens ont perdu leurs maisons, l’individu est devenu ce que l’on a appelé le shock absorber of last resort, l’amortisseur de dernier recours.
L’Homo œconomicus est pris dans un endettement perpétuel, dépossédé de son temps, car endetté à vie. La dette étudiante participe de cette logique : on souhaite déposséder l’étudiant de son avenir en l’intégrant dans ce système avant même qu’il soit sur le marché du travail.
Remettre en question la fraude institutionnalisée
Cela n’est rien d’autre qu’une pyramide de Ponzi : intégrer constamment des individus dans une dynamique financière. Comment s’en sortir?
Il faut remettre en question la légitimité des institutions bancaires, la privatisation des profits et la socialisation des pertes. Ce que l’on nous propose sont des mesures de sortie de crise apolitiques comme des discours moralisateurs sur l’endettement. Toutefois, si les gens ne sont pas endettés le système s’effondre. Il faut aller au-delà de ça et repolitiser le crédit, penser à le socialiser.
Il faut repenser la création monétaire qui se fait de nos jours par les banques privées et non plus par l’État. Personne ne remet en question le fait qu’une institution publique a donné aux banques privées le droit de créer l’argent à partir de rien et d’en faire du profit. L’argent doit être créé par les banques centrales, comme c’était le cas autrefois. Et c’est d’ailleurs le transfert de ce droit des banques centrales aux banques privées qui est à l’origine de la crise économique et financière actuelle.
* Maxime Ouellet, professeur associé à l’École des médias, chargé de cours en sociologie à l’UQÀM et co-auteur d’Université Inc. Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, publié chez Lux.
Pour compléter cet exposé, rappelons que les médias parlent peu de la révolution née en Islande après la faillite du pays. Est-ce parce que les Islandais ont repris leur pays en mains et que les mesures employées ne plaisent pas aux grands décideurs mondiaux?
La croyance selon laquelle les citoyens [islandais] devaient payer pour les erreurs d’un monopole financier, qu’une nation entière devait être taxée afin de rembourser les dettes privées, fut brisée. (Deena Stryker, La révolution en cours en Islande, Mondialisation.ca, 30 mars 2012.)
Malgré les menaces de l’élite politique et financière, les Islandais ont refusé de payer une dette ayant explosé en raison de la privatisation des banques :
Cinq ans d’un régime néolibéral ont conduit à une privatisation de toutes les banques en Islande, (320.000 habitants, pas d’armée), afin d’attirer les investisseurs étrangers. Ces banques offraient des services bancaires en ligne dont les coûts minimes leur ont permis de fournir des taux de rendement relativement élevés.
Ces comptes bancaires, appelés Icesave, ont attiré de nombreux petits investisseurs anglais et néerlandais. À mesure que les investissements augmentaient, les dettes étrangères des banques augmentaient aussi. En 2003, la dette de l’Islande équivalait à 200 fois son PNB (produit national brut), et en 2007, elle était de 900 pour cent. (Ibid.)
Les Islandais ont refusé de payer une dette dont ils n’étaient pas responsables, ont nationalisé les trois principales banques, chassé le gouvernement qui a voulu, sous la pression internationale, imposer des mesures draconiennes et poursuivi en justice les responsables du krach :
Contrairement aux attentes mondiales, la crise a conduit la population à prendre le contrôle de son pays, à travers un processus de démocratie participative directe. Ceci a finalement conduit à une nouvelle constitution, mais seulement après une persévérance féroce [...]
Lors du référendum du mois de mars 2010, 93% de la population votèrent contre le remboursement de la dette. Le FMI gela immédiatement son prêt. Mais l’Islande n’allait pas se laisser intimider. Comme Grimsson le dit: « On nous a dit que si nous refusions les conditions de la communauté internationale, nous deviendrions le Cuba du nord. Mais si nous les avions acceptées, nous serions devenus l’Haïti du nord » [...]
Les Islandais se mirent également d’accord sur certaines mesures de réduction budgétaire comme le démantèlement de leurs infrastructures militaires – l’Islandic Defense Agency (Agence islandaise de la défense, ou IDA), cessa d’exister en janvier 2011.
Afin de libérer le pays du pouvoir exagéré de la finance internationale et de l’argent virtuel, le peuple islandais décida de rédiger une nouvelle constitution. (Ibid.)
Par ailleurs, aux États-Unis le mouvement en faveur d’un système bancaire public prend de l’ampleur. À ce jour 18 États ont déjà fondé ou sont en voie de créer une banque publique. Pour mieux comprendre l’escroquerie bancaire et la contester, voici une vidéo du Public Banking Institute :
Victoria Grant, canadienne de 12 ans, nous explique l’escroquerie bancaire de l’argent-dette.